Portraits de l'écrivain contemporain

par Thierry Ermakoff
textes réunis et présentés par Jean-François Louette et Roger-Yves Roche. Seyssel : Champ Vallon, 2003. – 340 p. ; 22 cm. – (Essais). ISBN 2-87673-378-1 : 24,50 €

Sous ce titre, est publiée une série de contributions d’universitaires, d’écrivains, de photographes sur la présence médiatique de l’écrivain aujourd’hui, et qui fait suite à des journées organisées en juin 2001 à la Villa Gillet.

L’essentiel anonymat du livre

Ah, voilà une question lancinante : qu’est devenu celui que Roland Barthes tenait pour mort, l’écrivain ? Qu’est devenu le lecteur : un intime, un voyeur, un obscène ? Accessoirement, dans quelle mesure le visage de l’écrivain, sa pose, sa stature (sa voix), ses goûts, nous importent quand nous sommes emportés par l’œuvre ?

L’ensemble répond de façon bien inégale à ces interrogations et constitue un millefeuille bien indigeste. Si Anne-Marie Garat ouvre le feu des phrases amphigouriques (« Car le temps rapide de la photo, instable, vibratile, volubile, volatil, versatile, est trace d’épilepsie temporale, laps infime de spasme lumineux »), elle est vite rattrapée par Bruno Blanckeman, à propos de Patrick Modiano : « L’écrivain impressionne l’image, à perte. La perte impressionne l’œuvre, à gain. » Et Jean-François Louette, qui ouvre le volume, ne néglige pas non plus la formule un peu lourde qui ne permet guère l’illumination : « Une fois entré dans l’empire de la vidéosphère, l’écrivain ne cesse plus de se compliquer de ses doubles, de s’augmenter de ses portraits multipliés. Il se diffracte… Et du même coup disparaît ? Ou apparaît en Gloire ? »

Fort heureusement, de solides et fines contributions donnent à ces questions quelques pistes de réflexion. Celle de Christian Doumet, d’abord : « Qui parle dans un livre ? À cette question, tout lecteur ne connaît qu’une réponse : le livre même. Qui ne croit pas que les livres parlent d’eux-mêmes n’est pas lecteur. Or, cette croyance dissimule une vérité : l’essentiel anonymat du livre. » Cet anonymat, cette ambition d’intelligence, de sensibilité du lecteur, ce désintéressement du sujet, n’est aujourd’hui qu’un souvenir : « Nous naviguons aux antipodes […] dans les eaux du personnel et de l’intime. Le portrait hissé haut du romancier au grand mât de son rafiot n’est que le dernier signe visible d’un naufrage du romanesque dans l’ordinaire économie des échanges de services. »

Révéler l’humanité derrière l’homme

Mais alors, pourquoi en arriver à accepter que son visage apparaisse sur les premières de couverture, à la télévision ? Parce que, d’une part, il est dit que le portrait fait vendre, que, d’autre part, la rémunération narcissique est importante et qu’enfin, la photo prise éventuellement dans l’intimité, prouve que l’écrivain est aussi comme nous lorsqu’il n’écrit pas : « Cette duplicité favorise la reconnaissance par identification. » Voir à ce sujet, pour d’ultimes travaux pratiques, Christine Angot, Marguerite Duras, Serge Doubrovsky, Annie Ernaux…

Cette position est explicitée de l’intérieur par Patrick Devret pour qui le portrait, qu’il refuse a priori, le renvoie à « une finitude que je m’obstine passionnément, irrationnellement à contester. C’est contre cette finitude de toute image que […] je suis amené à écrire de nouveau, laissant derrière moi, comme autant de mues, ou d’esquisses, de brouillons. » Ubiquité ? Ambivalence ? Le lecteur projette sur les portraits de l’écrivain « l’émotion que lui ont donnée ses ouvrages. Ce ne sont pas les portraits qu’il voit et, s’ils le surprennent, ou peut-être même le déçoivent, il les dépasse, il les regarde pour autre chose ».

Qu’en disent les photographes ? La difficulté d’approcher l’œuvre au plus près (Évelyne Rogniat, photographe de Patrick Devret), ou, plus radicale, mais sans doute plus proche de la position de l’artiste, la nécessité de faire fi de la situation de lecteur, pour se rapprocher de ce que disait Cartier-Bresson : « Il vaut mieux ne pas trop connaître la personne. Il n’y a pas meilleur moyen pour qui veut révéler l’humanité derrière l’homme » (cité par Jean-Claude Couval, photographe).

Le temps de la conversation

Face à l’exubérance de l’image, il nous reste la radio : Pierre Dumayet, le Pierre Dumayet de L’autobiographie d’un lecteur, nous livre, en quelques pages éblouissantes d’érudition, de finesse, l’approche d’un lecteur interrogateur, selon sa propre expression. Coller au plus près du texte, au plus près du ton du texte, implique un rapport qui doit se développer sur une durée qui n’est plus celle de l’image vibratile et versatile, qui est le temps de la conversation. « Paulhan ? Quelle voix et quelle façon de parler. En l’écoutant, on comprenait qu’il avait écouté des générations de voix et qu’elles étaient présentes dans sa voix d’aujourd’hui. Il devait avoir gardé dans l’oreille la voix de Copeau, la voix de Gide parlant à Copeau, un peu de Claudel dans les basses. »

Parmi les quelques (rares) trouvailles de ce recueil, citons encore Hervé Micollet qui, à partir d’une photo de Jacques Réda, nous livre un vrai-faux texte d’analyse de l’image, qui est un vrai texte littéraire. Une pure merveille.

Le propos général, qui aurait pu être utilement traité par un maître des agents doubles littéraires, tant il se cache à force de se dévoiler, je veux parler de Jean-Benoît Puech, aurait gagné en intensité, jusque dans la forme des contributions. Je renvoie ici à l’excellent L’auteur comme œuvre : l’auteur, ses masques, son personnage, sa légende, paru aux Presses universitaires d’Orléans en 2000.

Enfin, l’édition ici présentée ne comporte aucune biobibliographie des intervenants, et la bibliographie en fin de volume est des plus sommaires, le tout pour 24,50 euros.