La valorisation économique du patrimoine

par Philippe Poirrier

Xavier Greffe

Paris : La Documentation française, 2003. – 383 p. ; 24 cm. – (Questions de culture). ISBN 2-11-094274-6 : 25 €

Professeur d’économie des arts et des médias à l’université de Paris I-Panthéon Sorbonne, auteur notamment d’une synthèse intitulée Arts et artistes au miroir de l’économie (Unesco, 2001), Xavier Greffe est l’un de ceux qui ont contribué, depuis deux décennies, à construire en France une analyse en termes économiques de la culture. Cet ouvrage témoigne de l’intérêt porté par son auteur à l’économie du patrimoine depuis plusieurs années et s’inscrit dans le cadre d’une commande du Département des études et de la prospective et de la Direction de l’architecture et du patrimoine du ministère de la Culture.

Le premier chapitre vise à mesurer l’ampleur économique du secteur en retenant le critère de l’emploi. Les résultats montrent la place non négligeable occupée par le secteur patrimonial : 43 880 emplois directs, 42 714 emplois indirects et 261 856 emplois induits. Le second chapitre souligne l’originalité économique du patrimoine. La spécificité du système patrimonial repose sur l’interdépendance des valeurs, des demandes et des offres. Le chapitre 3 montre combien en France le système patrimonial se caractérise par un « État conservateur en dernier ressort ». Dès lors, c’est la valeur d’existence, interprétée et définie par l’État, qui a été privilégiée aux dépens des formes de valorisation. Une pratique centralisatrice et l’emprise du discours savant sur tout autre savoir en sont directement issues. Xavier Greffe montre qu’une telle configuration n’est plus guère tenable, surtout dans une période où les arbitrages budgétaires sont de plus en plus sélectifs.

Le chapitre 4 propose des solutions afin de mieux valoriser le patrimoine. Trois stratégies complémentaires sont présentées : reconnaître la variété des différents types de patrimoine et leur attribution de systèmes de protection à géométrie variable ; admettre la pluralité des modes d’inventaire, de financement et de gestion en reconnaissant un rôle de partenaire aux acteurs non publics (associations et propriétaires privés) ; veiller à ce que les ressources de la conservation soient produites en permanence, afin de diminuer les coûts d’intervention et d’assouplir les contraintes de valorisation. Enfin, un dernier chapitre décrit les outils d’analyse économique en fonction du niveau d’intervention. Projet culturel pour un monument, règles de fixation des prix d’entrée, démarche marketing et production de services dérivés sont les principaux outils à la disposition des gestionnaires 1.

Cet ouvrage est une mine de renseignements – synthétisés sous la forme de précieuses annexes – et ouvre de nombreuses perspectives, même si le caractère quelquefois technique du propos de l’économiste peut dérouter. Au passage, l’auteur récuse la rhétorique de l’« abus monumental » mise en scène à la fin des années 1990. La politique de protection est plutôt malthusienne et demeure largement pilotée par l’État. Xavier Greffe rejoint ici les perspectives développées par l’historien du patrimoine et de l’architecture Jean-Michel Leniaud (voir Les archipels du passé, Fayard, 2002).

La conclusion est particulièrement stimulante. Xavier Greffe, qui plaide pour la mise en place d’une nouvelle architecture de la protection, souligne les effets positifs d’une éventuelle décentralisation du patrimoine. Plus que le principe, c’est le type de décentralisation qui importe aux yeux de l’auteur. Dès lors c’est la réforme de l’administration centrale du ministère de la Culture qui doit être la priorité. Il n’est pas sûr que ce soit la voie choisie par le législateur.

Comme dans d’autres domaines de la politique culturelle, on ne peut être que frappé par l’écart croissant entre les discours affichés et les politiques mises en œuvre. Si les élus locaux soulignent combien le patrimoine est désormais considéré comme un instrument de développement local et défendent la légitimité de leur action qui s’est considérablement renforcée dans les secteurs patrimoniaux (au sens large) depuis une trentaine d’années, beaucoup d’entre eux – quelle que soit leur couleur politique – semblent cependant craindre un désengagement, notamment financier, de l’État, et l’accord n’est pas unanime sur le niveau où doit opérer la décentralisation 2.

  1. (retour)↑  Voir la brève synthèse issue de cette étude : « La valorisation économique du patrimoine », Développement culturel, septembre 2003, no 141, 5 p. Téléchargeable sur http://www.culture.gouv.fr/dep L’étude de Xavier Greffe a également fait l’objet d’une large présentation dans La Lettre d’information du ministère de la Culture et de la Communication, novembre 2003, no 111, p. 9-10.
  2. (retour)↑  Voir « Politique du patrimoine et collectivités territoriales », Échanges, 2002, no 38, 19 p. (actes du colloque de Beauvais organisé en février 2002 par la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture).