Livres jeunesse : comment conserver ?

Dominique Morineaux

Le 21 novembre 2003, le groupe Bretagne de l’Association des bibliothécaires français (ABF) organisait en partenariat avec l’Agence de coopération des bibliothèques et centres de documentation en Bretagne (Cobb) et la bibliothèque de Rennes Métropole, une journée d’étude sur le thème « Livres jeunesse : comment conserver ? », dans le cadre du Salon du livre de jeunesse de Fougères.

En introduction, Sophie Gonzalès, présidente du groupe ABF Bretagne, a souligné l’enthousiasme suscité par la thématique de la journée. De nombreuses inscriptions n’avaient pu être retenues. Les soixante-cinq participants venaient des bibliothèques du Grand Ouest, de la Drac ou des centres régionaux du livre.

Intérêt et nécessité de la conservation

Nic Diament a souligné en introduction l’importance depuis deux ans des plans de conservation partagée en littérature de jeunesse : les colloques se succèdent, pointant la nécessité d’une réflexion entre établissements. La diffusion des collections jeunesse est maintenant reconnue, il est temps de faire place à la conservation et à la valorisation de ce patrimoine.

La directrice de la Joie par les livres a donné plusieurs pistes pour définir le patrimoine littéraire jeunesse. Quels sont les « bons livres » à conserver ?

– Les « classiques de la littérature de jeunesse », les « tout beaux, tout lisses » comme les définit Geneviève Patte, les livres consensuels, les fictions polysémiques (petites histoires, grandes questions). La légitimation se fait par le temps et non par l’école. Il faut conserver les livres épuisés.

– Les reflets d’une époque, de la place de l’enfant dans la société (enfant sans adulte comme dans l’œuvre d’Astrid Lindgren), les romans permettant une identification avec le héros (Ronya, Bennett, William).

– Les éditions régionales ou créations d’auteurs régionaux.

– Les récits à la narration forte comme Moumine le troll ou Le vent dans les saules, les illustrations marquantes.

– Les livres aux formats spécifiques.

– Les livres adorés des enfants à une époque, ceux qui se vendent bien, mais qui ne sont pas forcément achetés en bibliothèque car « ce ne sont pas des merveilles ! ». Nic Diament fit référence aux Martine de Gilbert Delahaye et Marcel Marlier, avec leurs 40 millions d’exemplaires vendus depuis 1954, aux Club des cinq, Clan des sept… Elle précisa qu’actuellement 70 % des recherches sont faites sur des « mauvais livres ».

Les jalons de la littérature de jeunesse, ceux qui marquent une époque, ne sont pas forcément des classiques. Il y a un décalage important entre la production et les sélections des bibliothèques : à La Joie par les livres, 10 % seulement de la production (700 titres) sont retenus. La conservation qui découle des acquisitions et donc de la sélection en dépend. De plus, les collections jeunesse sont mal conservées car elles s’imposent difficilement comme des collections patrimoniales et sont souvent maltraitées par les enfants !

Nic Diament posa ensuite la question du public touché par la conservation de ces collections qui, en devenant patrimoniales, changent de statut. Ce sont des chercheurs ; des nostalgiques des lectures d’enfance ; des collectionneurs ; des bibliothécaires en formation ; de bons lecteurs enfants « poussés par l’école ou la famille » dans un souci de transmission des classiques ; des graphistes ou illustrateurs ayant besoin de références pour leur création ; des professionnels de l’enfance ; des éditeurs faisant des recherches pour rééditer leurs propres collections. Nic Diament insista sur le manque de pérennité éditoriale dans les collections jeunesse en France, contrairement à l’Angleterre.

Les tendances naturelles de la conservation vont vers les albums, puis les romans. Par contre, les périodiques et les documentaires sont encore négligés. Il faut tout conserver mais par le biais de plans régionaux, comme en Angleterre. Certaines structures régionales ont déjà entamé la coordination de plans ou ont engagé des réflexions 1.

Une politique d’acquisitions rétrospectives est nécessaire et s’ajoute au désherbage des collections dans les bibliothèques.

La mise en valeur des fonds patrimoniaux se fait par leur signalement dans des répertoires comme le Répertoire national des bibliothèques et centres de documentation (RNBCD), la numérisation des collections (qui pose des problèmes de droits), les expositions, les liens avec les éditeurs pour une politique de réédition.

Comment croiser les différentes expériences de conservation ?

Une table ronde animée par Christine Cordonnier (Bibliothèque municipale de Rennes) rassembla Nic Diament, Aurélie Giordano (Agence régionale du livre en Provence-Alpes-Côte d’Azur) et Anne Marinet (Bibliothèque municipale de Toulouse).

Anne Marinet rappela l’historique du plan de conservation mené à la BM de Toulouse avec l’Heure Joyeuse et présenta le plan de conservation partagée lancé avec le CRL de Midi-Pyrénées. Elle insista sur la nécessité d’avoir des magasins suffisamment spacieux et conformes aux normes de conservation et précisa la politique de dons à mettre en place conjointement.

Aurélie Giordano exposa le plan d’action mené par l’Agence régionale PACA depuis 2002 pour coordonner la conservation partagée entre 40 bibliothèques de types différents (bibliothèques départementales de prêt, municipales, associatives, relais…) intéressées par le programme, dont 25 pôles ressources ou pôles d’excellence. Elle ne cacha pas les difficultés rencontrées. L’Agence régionale joue un rôle pilote en définissant, par le biais d’une convention, les domaines conservés, la gestion des dons ou prêts des collections, la logistique à mettre en place, la valorisation des collections et leur identification, le rôle de chaque entité (pôles d’excellence, lieux ressources, bibliothèques participantes). Des actions de sensibilisation pour motiver les participants sont nécessaires. Les thématiques ont été retenues comme axes de conservation.

Nic Diament identifia les quatre institutions ayant des plans de conservation : l’Institut national de recherche pédagogique (INRP) pour les manuels scolaires et les ouvrages parascolaires ; la Bibliothèque nationale de France ; l’Heure Joyeuse ; La Joie par les livres. En Île-de-France, un plan de conservation partagée a été lancé. Nic Diament conclut en indiquant qu’il faut des relais régionaux de conservation pour compléter l’échelon national. Tous les établissements, y compris associatifs, doivent être repérés afin de créer un maillage coordonné par une structure régionale.

Deux ateliers ont suivi, l’un sur la politique de conservation, animé par Anne Marinet, l’autre sur le désherbage, animé par Chantal Trastour (BM de Rennes).

Les bibliothèques désherbent et surtout conservent de façon plus ou moins organisée. Anne Marinet a repris les différents critères de conservation. Ils peuvent être inhérents à un établissement en fonction de ses missions, liés aux choix politiques d’une ville ou à un plan de conservation partagée au niveau national. Ils peuvent aussi être liés aux publics concernés, aux éditions représentatives d’une région, d’une période, aux livres épuisés, à la petite édition, à une thématique retenue…

La conservation des collections est un travail transversal avec le département Patrimoine de l’établissement. Il est nécessaire de mettre en place des procédures simplifiées de traitement des collections retirées du prêt pour ne pas alourdir le circuit du document. D’autre part, il faut réaliser une étude de faisabilité puis une convention de partenariat définissant la carte des lieux-ressources. Un budget d’acquisitions doit être dégagé afin de compléter les collections. Une structure de coopération est nécessaire. « L’accumulation des phases préliminaires peut aussi étouffer la motivation des bibliothèques volontaires au départ ! » a conclu Anne Marinet.

Catherine Souan (BM de Nantes) a précisé l’importance des ressources à dégager et parlé des plans de conservation interrompus : « Les objectifs doivent être clairs et … raisonnables ! »

L’atelier « Un outil : le désherbage » a permis de redéfinir les critères du désherbage liés à la politique documentaire de la bibliothèque, les différentes étapes nécessaires à sa réalisation et les moyens à mettre en œuvre. « On voit, a conclu Chantal Trastour, comment cette démarche de désherbage, non seulement aère, dynamise, rend la bibliothèque plus agréable à parcourir et en même temps permet la constitution d’un fonds de conservation. »

En conclusion de cette journée, les participants ont souhaité la mise en place d’un groupe de travail pour la région Bretagne sur la conservation partagée en littérature de jeunesse.

  1. (retour)↑  Agence de coopération des bibliothèques, centres de documentation et des services d’archives en Poitou-Charentes (ABCD) ; Agence régionale du livre en Provence-Alpes-Côte d’Azur ; Association comtoise de coopération pour la lecture, l’audiovisuel et la documentation (Accolad) ; Coopération des métiers de la lecture, du livre et de l’audiovisuel (Comellia) en Haute-Normandie ; Centres régionaux des lettres (CRL) de Basse-Normandie, Bourgogne, Midi-Pyrénées.