L'apprentissage de l'histoire à travers les documentaires jeunesse
Françoise Lemercier
L’édition 2003 des Rendez-vous de l’histoire a mis le cap sur l’Afrique, proposant une nouvelle lecture de l’histoire du continent. C’est dans ce cadre et en partenariat avec le Centre européen de promotion de l’histoire (CEPH), la ville de Blois et le groupe Centre de l’Association des bibliothécaires français que la bibliothèque de Blois proposait le 17 octobre une rencontre autour de « l’apprentissage de l’histoire à travers les documentaires jeunesse ».
La matinée, consacrée à l’évolution de l’histoire et de ses méthodes de transmission, a fait le plein de documentalistes, enseignants, bibliothécaires, accueillis par le président du CEPH, Christophe Degruelle. La forme, de plus en plus élaborée, des collections a été abordée l’après-midi par des auteurs, éditeurs, illustrateurs qui, à renfort d’ouvrages déployés devant le public, ont décrypté les arcanes du documentaire pour la jeunesse.
La formation du citoyen
Le Salon du livre d’histoire, qui a réuni plus de 120 éditeurs et quelque 200 auteurs, témoigne de l’explosion de la production éditoriale sur le sujet. Pourtant, il n’est pas si facile, selon Bernard Le Magoarou (auteur et responsable du service éducatif de la Direction des archives et du patrimoine de Seine-et-Marne), de dresser le panorama général des documentaires historiques dans l’édition jeunesse. D’où vient ce succès brutal pour un sujet qui se cantonnait à une discipline scolaire ? Le cours d’histoire déroulait le cours de l’Histoire en successions chronologiques de batailles à apprendre par cœur…
L’intérêt pour l’histoire que l’on constate depuis 1970 est lié à la modification de notre perception. Il ne s’agit plus d’événements militaires ou politiques. On est passé à l’histoire des hommes, des sociétés, des mentalités. L’exemple le plus frappant de cette passion pour l’histoire, retenu par Bernard Le Magoarou, est celui des généalogistes à la recherche d’un ancêtre noble… Mais si l’histoire évolue, influencée par des modes, elle demeure une science fondatrice de l’identité nationale. C’est-à-dire qu’elle permet de partager les mêmes choses en occultant celles qui fâchent ou qui produisent des impressions négatives. Car l’histoire est un creuset dans lequel se crée le citoyen.
Prenons l’exemple de la guerre. En situation de crise et de perte de valeurs, la dimension pédagogique du sujet répond aux questions manichéennes qui déterminent la réflexion ou l’engagement. Parlons de la guerre pour éduquer à la paix. Tout le monde est concerné. René Ponthus, professeur d’histoire et auteur, cite Clemenceau : « La guerre est une chose trop sérieuse pour la laisser aux militaires. » Il y a les valeurs républicaines, il y a les droits de l’homme. Christian Leourier (Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la Défense) déclare même – sans vouloir enseigner la désobéissance – que le citoyen doit se déterminer selon ses valeurs, choisir quand il doit prendre la parole face aux politiques…
Quelle écriture pour le documentaire historique ?
Tous les documentaires ont donc pour but de former un citoyen idéal, qui respecte les institutions, qui construira une société meilleure. Énumérons les méthodes de transmission avec Bernard Le Magoarou : on propose à l’enfant de s’identifier avec un personnage du passé ou bien, en partant du présent, on va voir comment vivaient les gens autrefois. Dans tous les cas, le but est de sensibiliser, de découvrir son passé.
Mais comment enseigner en séduisant ? En utilisant les techniques de communication de la publicité ! D’où l’invention de la double page à thème ou du document qui envahit la page en donnant les explications en arrière-plan. Mais quelle perception du fait historique aura le jeune lecteur qui prendra ces illustrations comme réalité tangible ? Le texte rétablira-t-il l’équilibre ?
La dimension idéologique n’est pas anodine quand on parle d’histoire. Ou qu’on fait silence. René Ponthus préconise « une pédagogie du traumatisme ». Pas question de ménager la sensibilité des enfants, ils doivent se rendre compte.
Quel que soit le support, la médiation de l’adulte demeure indispensable. Il s’agit donc de vulgariser une science, de répandre une connaissance auprès d’un public néophyte. Dans le documentaire historique, contrairement aux manuels scolaires, il n’y a pas de programmes à respecter et pas de contrôle institutionnel. L’éditeur fait ses propres choix. Le livre, le jeu éducatif, le cédérom alimentent une économie politiquement correcte. Les représentations de « la guerre propre » ou « l’option zéro mort » par exemple nécessitent une éducation urgente à l’image, à son décodage, à sa critique.
L’apport de l’illustration
Il est difficile pour les historiens d’avoir des certitudes pour imaginer certains traits des personnages même quand la documentation est riche. Quelle tête pouvait bien avoir Ramsès II ? L’illustration ou la « carrosserie » selon Dominique Gaussen (auteur et directeur de collection chez Mango) est tellement importante chez les jeunes que l’authenticité ou la véracité passent au second plan. Un dessin qui permet une identification suscite plus de réception que de réflexion, constate Thomas Dartige (responsable éditorial pour le documentaire chez Gallimard). Le rapport texte/image n’est pas évident.
D’ailleurs, les documentaires historiques sont fabriqués en équipe : un auteur (historien si possible) et un illustrateur, autour d’un directeur de collection qui propose le sujet. Les illustrateurs ont fait évoluer les éditions avec des reconstitutions soignées et réalistes. Des collections comme « Regards d’aujourd’hui » chez Mango, « Découvertes » chez Gallimard attirent autant que des albums ou des bandes dessinées. Ce qui pose le problème des frontières entre fiction et documentaire. Mais est-ce si important puisqu’il s’agit de stimuler la curiosité pour intéresser le lecteur ? Du reste la collection « Histoires d’elles » a inventé le « roman-document », récit biographique qui replace des « phrases » du personnage. En l’occurrence, des femmes (Olympe de Gouges), dont justement l’histoire avait oublié jusqu’à l’existence.
Finalement on peut se demander avec Bernard Le Magoarou à quoi servent les documentaires historiques. Car les enfants s’intéressent-ils naturellement à l’histoire ? Sans aucun doute en ce qui concerne les dinosaures, les Égyptiens et les châteaux forts… En fait, les documentaires servent aux exposés et surtout aux parents qui aiment maintenant l’histoire. Le succès de la manifestation blésoise le confirme. Prochain thème des Rendez-vous, dévoilé par le président : « Les femmes »…