Les relations. Journées d'étude de l'ADBDP

Annie Le Saux

Les journées d’étude de l’Association des directeurs de bibliothèques départementales de prêt, qui se sont tenues du 12 au 14 novembre 2003 à Vannes, étaient placées sous le signe des « relations 1 ».

Les événements marquants

Comme le veut la coutume, le président de l’association, Didier Guilbaud, dans son discours d’ouverture, a donné un aperçu des événements marquants de l’année écoulée, depuis la mise en œuvre de l’enquête sur l’intercommunalité, dont les résultats seront diffusés courant 2004 jusqu’à l’élaboration de « Recommandations aux libraires et bibliothécaires », conçues, à la suite de la loi sur le droit de prêt et ses implications sur les acquisitions, par un groupe de travail réunissant libraires et bibliothécaires. Éric Gross, Directeur du livre et de la lecture, s’est félicité de cette action de partenariat, ajoutant que le Centre national du livre consacrera trois millions d’euros environ pour aider au maintien des acquisitions en dépit du plafonnement des rabais octroyés par les libraires.

Les points positifs n’occultèrent cependant pas les sujets qui fâchent. Il fut d’abord question des ruches, ces médiathèques de proximité dont le ministère s’est révélé le héraut. Avoir malencontreusement omis d’associer les BDP à la réflexion initiale – qui en sont pourtant une représentation déjà bien implantée sur le territoire – créa une pomme de discorde, qui n’aura bientôt plus de raison d’être, les conseils généraux et les BDP étant désormais impliqués dans ce programme. Outre la série de mesures, qui, en 2004, seront entreprises en faveur de ces médiathèques de proximité – aide à l’investissement, et, surtout, son élargissement au fonctionnement… –, Éric Gross mentionna le point fort de ces actions : la qualité – de l’architecture, des collections, de l’accueil 2.

Didier Guilbaud se fit aussi et surtout le porte-parole des profondes inquiétudes causées par le projet de loi sur la directive européenne sur le droit d’auteur et les droits voisins, qui devait être adopté ce jour-là en Conseil des ministres, avec pour seule et unique exception l’accès des personnes handicapées au livre et à la lecture. Ce fut, pour le Directeur du livre, une tâche difficile que de chercher à convaincre que ce projet de loi était une bonne chose, et de prouver que privilégier le contrat sur la loi ne signifiait nullement un désengagement de l’État. Pour preuve, allégua-t-il, la nomination prochaine d’un membre, vraisemblablement du Conseil d’État, pour mener à bien une mission de concertation entre les professionnels et les usagers d’un côté et les diffuseurs et ayants droit de l’autre. Les derniers points évoqués par Éric Gross concernèrent la refonte de l’enquête statistique annuelle de la DLL et la réforme, en 2005, du concours particulier des bibliothèques.

Lecture et bibliothèque

C’est sur les relations entre l’acte de lecture et la construction de soi que s’ouvrirent véritablement les journées d’étude. Michèle Petit, anthropologue au CNRS, s’appuya sur la petite enfance pour explorer cette réflexion. Partant du postulat que « la lecture est un art qui se transmet plus qu’il ne s’enseigne », elle parla de ce lieu de transmission premier et privilégié qu’est la famille. Mais, si lire, c’est retrouver la voix de sa mère, c’est, dans un deuxième temps, s’en dégager, dans une ébauche d’émancipation. Puis lire devient propice à l’établissement de liens, avec sa propre histoire et avec le monde extérieur. Et c’est le rôle de la bibliothèque que de contribuer, « dans un accompagnement subtil et discret », différent de celui des enseignants, à la construction de soi à partir de la lecture.

Encore faut-il que la bibliothèque réussisse à séduire. Or, les non-utilisateurs de ces établissements représentent un taux important de la population. Qui sont-ils, pourquoi ne fréquentent-ils pas les bibliothèques, qu’aimeraient-ils y trouver ? C’est à ces questions qu’a tenté de répondre Claude Poissenot (IUT Nancy-Charlemagne), à partir d’une étude réalisée dans la Meuse à la demande du conseil général de ce département.

Les bénévoles

Autre sujet qui a suscité un certain nombre d’études et d’enquêtes, les bénévoles, dont la place occupée lors de ces journées témoigne, s’il en est besoin, de leur importance dans le réseau des BDP. Que ce soit ceux du Val-d’Oise, décrits par Dominique Lahary, à partir de sa propre expérience, de l’enquête de Christine Paillard et des écrits de Nelly Vingtdeux 3, ou ceux du réseau de lecture publique de la Loire, que Jérôme Michalon et Loïc Langlade 4, étudiants en sociologie à l’université de Saint-Étienne, ont interviewés, les bénévoles ont en commun un nombre certain de caractéristiques : ce ne sont pas des jeunes, ce sont surtout des femmes, ils font partie de la population locale, ils aiment avant tout le contact, l’attrait pour le livre venant en deuxième position dans leurs motivations.

Grâce à leur activité à la bibliothèque, les bénévoles s’impliquent dans la vie de la commune et, par la disponibilité et l’écoute dont ils font montre, ainsi que par leur incitation à la lecture, ils se sentent utiles à la société. Ce qui fait dire à Jérôme Michalon et Loïc Langlade qu’à une visée altruiste primordiale s’ajoute une compensation personnelle, le bénévolat étant pour le bénévole « une façon de célébrer son lieu de vie, et de le définir comme un endroit agréable, associé à des activités de loisirs, à la non-contrainte ».

La crainte de « dénaturation de leur travail » au moindre signe d’agrandissement de la bibliothèque ou de recrutement de salariés peut aller jusqu’à l’abandon du bénévolat. Le salarié aurait-il des motivations différentes de celles des bénévoles ? Le salariat générerait-il un mal-être, une insatisfaction et des conflits plus perceptibles ?

Qu’ils soient bénévoles ou salariés, les personnels des bibliothèques-relais décrivent leurs relations avec la BDP comme complémentaires. Ils revendiquent aussi fort leur partenariat avec elle, qu’ils refusent catégoriquement qu’on qualifie leurs relations d’assistanat. Même si certains ressentent un profond isolement, ils apprécient leur autonomie, constate Monique Pujol, élève conservateur à l’Enssib, dans l’étude qu’elle a faite au cours d’un stage à la Bibliothèque départementale des Yvelines. Pour d’autres, comités de lecture, réunions de secteurs, séances de formation servent avant tout à créer et maintenir des contacts.

Diversités

Autour d’une table ronde animée par Jean-François Jacques, secrétaire général du Conseil supérieur des bibliothèques, tous les cas de figure étaient présents : bénévole, salarié ancien bénévole, bénévole encadrant un salarié, instituteur devenu bénévole puis salarié… Une richesse et une diversité d’itinéraires, que Jean-François Jacques a soulignées en les comparant au parcours plus linéaire que l’on rencontre dans les bibliothèques municipales.

Outre à certains parcours, la diversité peut s’appliquer également à l’exercice du métier. Les évolutions que celui-ci connaît depuis quelque temps se répercutent sur l’image que se font les bibliothécaires d’eux-mêmes et de leur métier. En dépit de représentations « multiples, floues, contradictoires » qu’il évoque, le métier de bibliothécaire a son existence confirmée, remarque Anne-Marie Bertrand, par « le sentiment d’appartenance à une communauté et le partage de valeurs communes » (transmission et partage de la culture, du savoir, désir de les rendre accessibles à tous…).

La diversité, en bibliothèque, c’est aussi celle des partenariats, que Dominique Arot a passés en revue : partenariats autour du livre, culturels, sociaux, humains et avec les écoles. Pour lui, les BDP sont, plus que toute autre bibliothèque, et de par leur immersion dans une collectivité locale, des institutions partenariales.

Que l’on parle de médiation, d’information, de communication, ou encore de management, ces différentes formes que prennent les relations au sein d’une équipe, avec les élus, avec les membres du réseau, avec les tutelles, ou avec les lecteurs, ne se cimentent cependant que par la reconnaissance de l’importance de la dimension humaine 5. Il fut d’ailleurs reproché aux tutelles de ne s’intéresser, dans leurs questionnaires, qu’aux statistiques sur les horaires et les prêts et pas assez à l’aspect qualitatif et humain.

Exemple probant de la force de cet aspect humain que celui donné par deux clowns du Bataclown, qui improvisèrent à chaud les synthèses aux différentes interventions, et dont la pertinence et l’humour ont enchanté tous les petits et les grands bibliothécaires présents à Vannes. Preuve s’il en est que le rire, « expression de la vie » (Bergson), a sa place même dans les échanges sérieux. Social et culturel, il était normal de le faire intervenir dans une réflexion sur les relations.

  1. (retour)↑  Les prochaines journées d’étude auront lieu à Tours sur le thème des « Territoires de lecture ».
  2. (retour)↑  Cf., dans ce numéro, l’article de François Rouyer-Gayette « Les Ruches », p. 24-29.
  3. (retour)↑  Cf. Nelly Vingtdeux, « Bénévoles et volontaires de l’offre de lecture en milieu rural… », BBF, no 2, 2003, p. 59-62.
  4. (retour)↑  Pour plus de détails sur les résultats de leur étude, se référer aux actes du colloque de Montbrison, à paraître, dans lesquels sera disponible le texte de leur intervention riche en observations et en analyse.
  5. (retour)↑  Il était proposé, au choix, les quatre ateliers suivants : « Sous l’organigramme, le statut, la fonction, la fiche de poste et l’organisation du travail », « Se former à la médiation », « Managers et styles de management », « Information et communication ».