Pratique de la littérature de jeunesse à l'école
comment élaborer des activités concrètes
Christian Poslaniec
Christian Poslaniec est bien connu dans le monde des bibliothécaires jeunesse et des documentalistes comme écrivain 1 mais aussi comme théoricien de la littérature de jeunesse. Chercheur à l’Institut national de recherche pédagogique, coordinateur de l’association Promolej (Promotion de la lecture des jeunes), il participe également à la maîtrise de lettres modernes, option littérature de jeunesse, enseignée à distance à l’université du Maine. À ce titre, il a réfléchi au statut et à la spécificité de la littérature de jeunesse 2, s’est penché sur la façon dont l’enfant devient lecteur, au sens culturel du terme et non pas seulement du point de vue de l’apprentissage 3, et sur les multiples ressources dont dispose l’adulte pour l’aider à acquérir et à affermir son goût pour la lecture 4.
Rien d’étonnant alors à ce qu’il ait été un des membres de la commission à l’origine de la liste des 180 titres sélectionnés pour le cycle 3, à la rentrée dernière. S’il fait une rapide mise au point, en introduction, sur les objectifs de cette liste, et si les très nombreux titres cités dans son ouvrage font partie de cette sélection, son intention n’est pas polémique. Cet ouvrage veut aider très concrètement les enseignants à réaliser la nouvelle mission que leur ont confiée les instructions officielles de février 2002, à savoir doter les élèves du cycle 3 d’une culture littéraire et élargir l’approche de la lecture, qui ne doit pas se limiter à l’apprentissage et à la maîtrise du code et de la langue : « Le programme de littérature du cycle 3 vise à donner à chaque élève un répertoire de références appropriées à son âge et puisées dans la littérature de jeunesse, qu’il s’agisse de son riche patrimoine ou de la production toujours renouvelée qui la caractérise. Il permet ainsi de se constituer une culture commune susceptible d’être partagée, y compris entre générations. »
On peut remarquer que cette conception de la lecture a à voir avec la motivation de l’enfant, élément clé dans le développement d’un comportement de lecteur, comme l’a à plusieurs reprises démontré Christian Poslaniec dans ses précédents ouvrages. En effet, elle permet d’éviter le danger « de conduire les élèves à croire que la lecture ou l’écriture ne sont que des exercices » et elle les initie à l’interprétation des textes, activité stimulante et impliquante.
La méthode préconisée aux enseignants par Christian Poslaniec se décompose en trois parties. Tout d’abord, il s’agit simplement d’inciter l’enfant à découvrir des livres nombreux et variés, par le biais d’animations ludiques ou responsabilisantes. Sur les douze activités présentées ici, quelques-unes sont déjà connues (le point commun, la transposition dans un autre genre, le procès littéraire), les autres sont nouvelles. Elles ne visent pas seulement à faire lire les enfants au maximum : elles cherchent à les sensibiliser, de manière vivante et accessible, à des notions littéraires telles que la reconnaissance des différentes formes (album, roman, conte…), l’horizon d’attente, l’intertextualité, l’interprétation des textes. Moyennant quelques adaptations, elles pourraient également être pratiquées en bibliothèque.
Dans la deuxième partie, Christian Poslaniec donne des pistes pour étudier, avec une classe, un livre en particulier, en s’attachant aux caractéristiques qui en font une œuvre. Pour commencer, le maître doit questionner l’œuvre en tant que lecteur adulte. Il n’est pas question pour lui de décortiquer méthodiquement le texte sous tous ses angles (la forme, le genre, le ton, le thème, le mode de narration…), mais de mettre à jour ses principaux enjeux, grâce à une lecture attentive, qui le place quasiment dans la peau d’un explorateur ! La synthèse des questions et réponses qu’il aura trouvées lui permettra de dégager plusieurs aspects, qu’il fera aborder par ses élèves de manière active, grâce à des consignes formulées simplement. Par exemple, pour faire comprendre aux enfants les procédés humoristiques à l’œuvre dans la bande dessinée Mélusine, on leur fera repérer tous les stéréotypes propres aux sorcières, vampires, fantômes, etc., et comment ces stéréotypes sont transgressés et tournés en dérision. Le propos de l’auteur est étayé par huit titres, relevant de genres et de registres différents, analysés en détail.
Enfin, le dernier point développé est consacré à la lecture en réseau, conçue pour mettre en valeur un point commun à de nombreuses œuvres et les différences de traitement d’une œuvre à l’autre. Un réseau ne se limite donc pas à une sélection thématique de livres. Il sera d’autant plus intéressant s’il porte sur les véritables caractéristiques des textes rassemblés (d’où des réseaux possibles de titres faisant tous référence à un conte, ou d’albums se différenciant les uns des autres par le rapport texte-images, ou encore de livres et d’œuvres d’art, etc.).
À la lecture de cet ouvrage, l’introduction de la littérature au cycle 3 semble un défi passionnant à relever. C’est aussi un véritable plaisir de redécouvrir les nombreux titres cités par Christian Poslaniec, grâce à la lecture approfondie qu’il en a faite. Entre autres exemples, on lira avec beaucoup d’intérêt le chapitre consacré à l’album Le temps des cerises, paru à l’École des loisirs en 1990 et illustré par Philippe Dumas : ce dernier, loin de se contenter de faire référence aux événements de la Commune, nous fait comprendre pourquoi la chanson de Jean-Baptiste Clément, chanson d’amour à l’origine, a pu symboliser cet épisode historique.