The Image and Role of the Librarian
Chaque profession s’intéresse à l’image qu’elle offre et a même tendance à s’auto-examiner. Selon Wendi Arant et Candace Benefiel, les éditeurs de cet ouvrage, bibliothécaires à l’université de Texas A & M, cette préoccupation serait particulièrement intense chez les bibliothécaires et leur refrain serait d’ailleurs : « On ne nous respecte pas. » Cette complainte se trouverait aussi bien chez les bibliothécaires universitaires qui essaient de gagner une légitimité auprès du corps enseignant, que du côté de leurs homologues de la lecture publique qui seraient considérés comme des employés par les usagers.
Les contributions réunies pour cet ouvrage collectif abordent donc quatre aspects de cette image professionnelle du bibliothécaire. Elles examinent les représentations historiques et les positionnements professionnels, les stéréotypes de la culture populaire et abordent enfin quelques projections vers l’avenir.
Les représentations professionnelles
Les deux articles sur les représentations professionnelles, qui ouvrent le livre, mettent en jeu ce qui serait la spécificité du métier de bibliothécaire. Daniel Liestman examine la manière dont se voyaient les bibliothécaires anglais et américains de la fin du XIXe siècle et leurs revendications pour fonder un métier et revendiquer un professionnalisme. La connaissance des collections, le devoir de les accroître, le souci d’en établir le catalogue sont, sans surprise, au cœur de ce métier qui fait, cependant, une place importante à une éthique nouvelle de service public. La bibliothèque « doit être cette université du peuple, où le goût de la littérature est guidé, le désir du savoir encouragé et tout travail de recherche aidé », pour reprendre la belle formule citée par l’auteur. L’article se conclut sur une note touchante puisque les bibliothécaires sont, à l’époque, confiants dans l’avenir. Un dénommé Bowker écrit par exemple en 1883 que « les bibliothécaires du XXe siècle, pour lequel nous travaillons, devraient être bien meilleurs et faire bien mieux que leurs illustres prédécesseurs ».
Le second article de cette partie aborde la représentation de la personnalité des bibliothécaires. Ces derniers, par exemple, sont-ils vus comme des êtres plutôt introspectifs ou extravertis ? Ou plus consciencieux mais aussi plus conformistes et moins créatifs que d’autres professions ? Les articles cités sont récents (1960 à nos jours) et largement tirés de la presse professionnelle et de revues universitaires, ce qui permet à l’auteur, Gary Mason Church, de s’interroger sur la place des bibliothécaires dans la communauté universitaire. La conclusion est nuancée : les auteurs qui fréquentent réellement les bibliothèques ont une image assez juste du bibliothécaire, ceux qui n’utilisent pas ou peu les bibliothèques recourent plutôt aux clichés anciens pour en décrire les professionnels. En revanche, il note que les universitaires ont toujours du mal à considérer les bibliothécaires comme des égaux.
Dans la culture populaire
La seconde partie regroupe trois articles sur la représentation des bibliothécaires dans la culture populaire : au cinéma, dans les comics et enfin dans la littérature pour enfants. Assez généralement, cette culture abuse des archétypes facilement reconnaissables : le bibliothécaire y est souvent dépeint comme quelqu’un d’effacé, introspectif et timide, attaché au silence des bibliothèques. Cela pour le côté négatif du stéréotype. Mais il existe, même s’il est moins fréquent, un côté positif de ce cliché : quelqu’un de cultivé, prêt à vous aider. La littérature pour la jeunesse met plus en avant cette bonne image : le bibliothécaire – ou plutôt la bibliothécaire – y est souvent vu comme attentif, énergique et… professionnel.
Trois autres articles examinent la perception populaire des bibliothécaires. Le tout premier aborde une question qui peut nous paraître étrange et inspirée par les gender studies : quel portrait se fait-on d’un homme bibliothécaire dans un monde massivement féminin (les femmes représentent 79 % des bibliothécaires de lecture publique et 69 % des bibliothécaires universitaires américains en 1998) ? Le bibliothécaire mâle de l’époque coloniale était portraituré comme sévère et indifférent aux personnes, celui d’aujourd’hui aurait des côtés féminins et serait « trop rêveur pour avoir un vrai travail ».
Un autre cliché populaire met en scène le bibliothécaire comme un individu qui-sait-tout ou au contraire, un individu qui-ne-sait-rien. L’auteur de cette étude, Beth Posner, affirme qu’aujourd’hui, paradoxalement, le bibliothécaire est plutôt vu comme un être doux et un penseur un peu rêveur, alors qu’objectivement le bibliothécaire peut contrôler et maîtriser l’information et que ce savoir est un pouvoir.
Quant à la perception que les étudiants peuvent avoir du bibliothécaire, selon l’échantillon étudié par Jody Fagan, elle affecte leur manière d’utiliser ou non les ressources des bibliothèques. Ils croient en effet que la connaissance des bibliothécaires s’arrête aux ressources physiques de leur établissement, et que leur travail est assez administratif et assez peu qualifié. Cependant, le développement des nouvelles technologies de l’information change cette image et les étudiants semblent conscients de l’aide que les bibliothécaires peuvent leur apporter sur ce point. Globalement, les étudiants de cette enquête affirment que les bibliothécaires développent des relations plutôt positives avec eux, même s’ils demeurent persuadés que cela n’ira pas jusqu’à bouleverser leur offre de service et sacrifier la pause-café.
La digital generation
La toute dernière partie de l’ouvrage aborde le futur. Avec les nouvelles technologies et en particulier Internet, les bibliothèques sont à un tournant de leur histoire. Les ressources électroniques changent le rôle et les responsabilités des bibliothécaires. Selon Johnnieque B. Love, cela doit renforcer l’intégration des bibliothécaires universitaires car ces derniers voient leurs fonctions d’experts de la recherche d’information reconnues. Ils peuvent et doivent pour cela s’impliquer encore plus dans toutes les activités éducatives de la recherche documentaire : « Nous avons la responsabilité d’enseigner aux usagers l’importance de l’esprit critique et de la validation des sources. »
Enfin, Pixey Anne Mosley plaide, en conclusion, pour une ouverture de la profession à la génération X (approximativement née entre 1961 et 1981) et aux générations suivantes (y compris la génération D comme Digitale pour les enfants nés avec un micro-ordinateur au bout des doigts). Le renouvellement des générations dans une profession est, selon son auteur, le meilleur moyen d’en garantir la force d’adaptation.
Les problématiques et les interrogations rencontrées dans ce livre sont assez différentes de celles qu’on a coutume de trouver en France, mais cette conclusion ne peut que réunir les communautés de bibliothécaires des deux côtés de l’océan.