Fragments d'un discours culturel
Marc Bélit
Assumant crânement (ou imprudemment ?) la parenté barthésienne, Marc Bélit, directeur du Parvis (scène nationale, à Tarbes, qui diffuse théâtre, danse, cinéma et arts plastiques), présente ici un recueil d’éditoriaux qui constitue « un discours fragmentaire sur la culture ». Ce sont ainsi 129 éditoriaux (si mon décompte est bon), parus dans le journal du Parvis de 1974 à 2003, qui sont repris et présentés non pas chronologiquement mais thématiquement, en grandes rubriques (Action culturelle, Art contemporain, Décentralisation culturelle, Malraux, Public, etc.), et précédés de chapeaux qui explicitent le contexte et les enjeux – ensemble d’éditoriaux à quoi l’auteur a ajouté une quinzaine de pages inédites sur les intermittents du spectacle.
À vrai dire, de prime abord, cet ouvrage imposant (465 pages) a plutôt pour effet de décourager les bonnes volontés. Mais sa lecture est à la fois plaisante (grâce au style) et pertinente (grâce au contenu). Depuis son observatoire tarbais, qu’il occupe depuis trente ans, Marc Bélit analyse l’évolution de la culture, de l’art, de la politique culturelle, des pratiques culturelles, avec un regard aigu qui dénonce volontiers le « politiquement correct » et son frère jumeau, le « culturellement correct ». Il a ainsi de vigoureuses et imprévues observations sur la culture jeune (« À force d’affirmer qu’il y a une culture pour les jeunes, on les prive de possibilités d’accès à la culture tout court »), sur les arts de la rue (qui redonnent naissance à « la mythique notion de peuple assemblé »), sur Jean-Luc Godard (« cette sorte de Socrate du questionnement contemporain ») ou sur les arts primitifs (qui « préservent pour un regard occidental une approche esthétique que justement l’art contemporain lui refuse »). L’auteur défend le cinéma en salle, dénonce les célébrations (« l’admiration sur commande »), regrette « la pétrification patrimoniale », ou « l’auto-contemplation de nous-mêmes », en quoi il voit une « menace culturelle ».
Il regrette surtout l’affaiblissement de la curiosité, de l’intérêt, le faible attrait du nouveau qui rendent plus difficile aujourd’hui le travail de diffusion. Sans manichéisme, il évoque le divorce de l’art contemporain et du public, mais aussi le risque d’un retour à l’art académique, cette « célébration des formes mortes dans le consensus universel ». Or, la tâche des diffuseurs, ici des scènes nationales, est « de continuer à ouvrir les portes et les fenêtres, à refuser de flatter le goût moyen ».
Enfin, Marc Bélit exprime ses réticences sur les projets de décentralisation culturelle. Il emploie deux arguments principaux : « le risque de re-provincialisation » et le risque d’inégalité. D’une part, donc, un pouvoir local sans contrepoids menacerait les acteurs culturels du « fait du prince », de « liquidation d’équipes et de projets », de « populisme », et ferait « se profiler une culture du consensus de goût moyen et divertissante de surcroît ». D’autre part, on verrait émerger « les handicaps d’une culture à deux vitesses », sur le mode « les grandes métropoles régionales et le désert français », les grandes villes étant les seules, dit-il, à pouvoir tirer leur épingle du jeu.
On l’aura compris – et foin des quelques scories de ponctuation –, cet ouvrage mérite donc visite, tant il est à la fois bien informé, clair mais aussi engagé et soucieux de démocratisation culturelle.