Buch und Bibliothek, septembre 2002-juillet-août 2003
La lecture d’un des principaux organes professionnels de nos voisins allemands est porteuse de précieuses informations sur l’état de développement des bibliothèques et aussi sur les problématiques et les débats qui traversent la profession. Si Berlin a été, le temps du congrès de l’IFLA 2003, le centre du monde des bibliothèques, ceci ne doit pas dissimuler une situation de crise : on ferme des bibliothèques (en particulier, précisément, à Berlin) et l’on assiste à la fermeture d’écoles de bibliothéconomie, comme à Bonn ou à Francfort. Il n’est donc pas surprenant que, dans les livraisons que cet article examine, on discerne de manière significative le retour d’une réflexion politique sur les missions des bibliothèques et sur le statut de l’information dans la société, sur les impasses, les difficultés et les concurrences qui caractérisent la situation présente : pas moins de sept articles copieux sous la rubrique « Bibliothekspolitik » allant de « Société de l’information sans informations ? » (février 2003) à « La valeur culturelle du livre ancien » (mars 2003).
La revue conserve une maquette à la typographie élégante et dense et réalise une heureuse alliance entre la meilleure tradition académique et l’actualité des questions traitées. Signe des temps, trois couvertures sont consacrées à des annonces publicitaires. À côté des articles de réflexion politique, ce sont les contributions consacrées à des sujets bibliothéconomiques et la présentation de nouveaux bâtiments qui sont les plus nombreuses.
Échos de l’actualité française
Il est toujours tentant de mesurer l’écho de l’actualité du livre et des bibliothèques en France dans une publication étrangère. Le reflet de cette actualité se partage entre des sujets très précis, comme en témoigne le papier de Gernot Gabel sur la crise de l’Imprimerie nationale (avril 2003), et des projets bilatéraux à l’instigation du très actif Institut Goethe de Paris. En témoignent les informations données sur la manifestation Le polar européen à Paris mettant en jeu, parmi d’autres partenaires français et étrangers, la Bibliothèque de littérature policière, la Bilipo (septembre 2002) ou les accords passés entre la Bibliothèque centrale de Berlin et la Bibliothèque publique d’information à l’occasion du quarantième anniversaire du traité d’amitié franco-allemand (février 2003).
Notre collègue Richard Roy se fait l’interprète d’une ambition encore plus européenne en rendant compte de la cinquième édition, à Zagreb, de la manifestation organisée conjointement en Europe de l’Est par les Instituts français et l’Institut Goethe sous le titre générique « Bibliothèques publiques dans la nouvelle Europe » (octobre 2002) 1. Plus modestement, mais de manière plus pratique, la revue fait état du partenariat créé entre les villes de Saint-Louis (France), Bâle (Suisse) et Lörrach (Allemagne) pour construire un site web 2 transfrontalier destiné aux jeunes lecteurs dans le cadre du programme européen Chilias (juin 2003). C’est ce même objectif pratique qu’a atteint Lise Rebout à l’Institut Goethe de Paris en mettant en ligne un lexique bibliothéconomique allemand-français 3 (septembre 2002).
Mais la présence française assurément la plus marquante dans les livraisons 2002-2003 est celle de la présidente de l’IFLA, Christine Deschamps, qui répond, en anglais, aux questions de la revue (juillet-août 2003). Elle y défend la dimension universelle de son association et souligne que les pays développés ont beaucoup à apprendre des bibliothèques et des bibliothécaires des pays les plus pauvres. Dans cette perspective, parmi les objectifs qu’elle énumère, se détache l’ambition de réduire la « fracture numérique ». À la question qu’on lui pose à propos de sa vision des bibliothèques allemandes, elle apporte une réponse très éclairante. Selon elle, ce qui caractérise les bibliothèques allemandes, c’est la synthèse d’une très grande richesse patrimoniale et d’un fort investissement dans l’usage des nouvelles ressources technologiques. Et elle conclut en assignant à ces bibliothèques un rôle majeur dans le soutien au développement des bibliothèques d’Europe de l’Est.
Le télétravail en bibliothèque
Parmi une matière très riche, sans compter les multiples « brèves » dans chaque numéro, il est malaisé de mettre en évidence les articles les plus importants. On est alors partagé entre le choix de thèmes de réflexion recoupant, dans des contextes différents, ceux des bibliothécaires français et la mise en exergue de sujets peu ou pas traités dans la presse française. Dans cette dernière catégorie, il faut ranger l’article de Maria Löffler (octobre-novembre 2002) sur le télétravail. Cette réflexion a le mérite d’identifier très précisément les secteurs d’activité des bibliothèques qui peuvent être concernés : projets informatiques, catalogage, conception de documents de communication, acquisitions et sélections bibliographiques, tâches interactives liées à un site web. L’avantage de ces activités, liées à l’outil informatique, est qu’elles sont aisément mesurables et qu’elles peuvent être définies en termes d’objectifs. L’article souligne les problèmes soulevés par cette modalité de travail : évaluation, relation avec les équipes de travail et, de manière plus générale, partage en un même lieu entre travail et vie privée. Reste que le télétravail constitue une solution intéressante pour les personnes handicapées et les agents devant gérer de très lourdes contraintes familiales.
Dans un tout autre domaine, on lira avec intérêt l’article de Dirk Lewandowski (septembre 2002) qui tente de trouver des alternatives à l’omniprésence de Google et s’efforce de présenter des stratégies permettant de parcourir le « web invisible » en y recherchant des pages du plus grand intérêt que les grands moteurs de recherche excluent pour des raisons techniques ou par choix délibéré. Florian Seiffert (juin 2003) revient sur ce thème du « deep web » et prolonge la réflexion à propos de la pertinence des outils de recherche, en explorant la notion d’« étagères virtuelles ». On notera que le nombre d’articles consacrés à des sujets de ce type a plutôt tendance à diminuer. Cette dimension de recherche de l’information s’est banalisée et se trouve de fait inscrite dans toutes les autres problématiques.
On ne sera pas surpris de trouver dans une revue associative plusieurs réflexions portant sur la nomination de non-bibliothécaires à la tête d’importantes bibliothèques publiques, comme en atteste un éditorial vigoureux dans le numéro de janvier 2003 qui fait remarquer que les bibliothécaires formés, eux, managent tandis que les administratifs se contentent d’administrer. Dans le même numéro, Ute Klaassen pointe la médiocrité et l’absence d’objectifs de certains bibliothécaires qui peuvent conduire à affirmer : « Cela aussi je peux le faire ! »
Réflexions sur la lecture
Comme les années précédentes, la revue n’écarte pas la possibilité de proposer expériences et réflexions sur le thème de la lecture. Ainsi est relatée (janvier 2003) l’expérience américaine visant à faire lire le même livre à toute une population. Cette idée d’abord testée à Seattle a conduit à proposer aux habitants de la Californie de lire Les raisins de la colère, à ceux de Los Angeles Farhenheit 451. C’est la notion de patrimoine littéraire local qui est mise en avant. Pour cette raison, l’expérience n’a pas été tentée à New York dont les habitants relèvent de cultures trop diverses. La promotion de la lecture s’accompagne d’un sentiment d’appartenance à une communauté. Dans le même temps, les lecteurs ordinaires s’emparent du discours sur la littérature.
C’est une autre dimension communautaire à laquelle s’intéresse Birgit Braun (mars 2003) en analysant les actions conduites à Berlin en direction des populations immigrées. Elle exprime le souhait qu’on prenne en compte d’abord les personnes et leurs besoins avant de s’occuper des fonds mis à leur disposition. On ne peut s’empêcher de relier ces préoccupations à celles qu’exprime Hans Riebsamen dans un article du Frankfurter allgemeine Zeitung repris par la revue à propos des bibliothèques scolaires allemandes (février 2003). Article qui, sous le titre provocateur de « Les déserts allemands du livre », fait observer que seulement une école sur huit dispose en Allemagne d’une bibliothèque digne de ce nom et qu’il vaudrait mieux construire des bibliothèques plutôt que de tout miser sur l’équipement informatique. L’auteur ajoute cette remarque de bon sens : « Un demi-analphabète ne pourra utiliser de manière pertinente un ordinateur… »
Les amateurs de nouvelles constructions trouveront à alimenter leur curiosité au fil des numéros. Alfred Pfoser présente la nouvelle bibliothèque publique centrale de Vienne (juin 2003) avec 240 000 volumes en libre accès et 100 ordinateurs reliés à Internet. Berndt von Egidy nous fait découvrir (mars 2003) l’extension, après vingt années d’efforts, de la bibliothèque de l’université de Tübingen qui permet de proposer, en plus des services déjà existants, 350 000 volumes en libre accès.
Selon sa bonne habitude, la revue propose des articles sur l’histoire des bibliothèques. On attirera l’attention des lecteurs dans le numéro de février 2003 sur l’article consacré par Jörg Fligge à l’histoire des bibliothèques municipales des villes hanséatiques (Brême, Dantzig, Lübeck et Hambourg) et, dans ce même numéro, sur l’article écrit par Otto-Rudolf Rothbart sous le titre « Les bibliothécaires comme acteurs de la guerre froide ».
Enfin, au sein d’un ensemble de livraisons d’une grande variété, il convient de signaler l’excellent dossier constitué par Bernd Schleh (mai 2003) sur les « livres lus », qu’ils se présentent sur cassettes (c’est de plus en plus rare) ou sur disques compacts. L’auteur met l’accent sur un paradoxe : au moment où l’édition imprimée semble en crise, la production de livres enregistrés est florissante : 2 milliards de dollars de documents vendus par an aux États-Unis, 400 éditeurs et 8 000 titres disponibles. Là encore, les bibliothèques ont un rôle à jouer.