Valoriser le patrimoine des revues en sciences humaines et sociales
Valérie Néouze
Jean-Émile Tosello-Bancal
Prépublications électroniques et archives ouvertes, interopérabilité et logiciels libres, telles sont les notions auxquelles réfléchit actuellement la communauté des chercheurs en sciences exactes. Les nouveaux circuits de circulation de l’information scientifique et technique sont depuis longtemps au centre des débats dans ces disciplines. Le domaine des sciences humaines et sociales (SHS), en revanche, demeure en retrait de cette évolution.
Atomisation des acteurs entravant les effets « d’échelle », fidélité au support papier freinant la diffusion, pratiques éditoriales éloignées de l’usage de l’informatique sont autant de caractéristiques qui expliquent l’absence manifeste des revues françaises en SHS sur les réseaux. Ce manque de visibilité au niveau national et international se révèle à la fois la cause et la conséquence de leur situation économique fragile.
Pourtant ces revues, principal support de diffusion de la recherche et vecteur essentiel de légitimation pour les chercheurs, représentent, en France en particulier, un riche patrimoine scientifique, largement sous-exploité. Leur valorisation constitue un enjeu stratégique pour la communauté des chercheurs en SHS, soucieux d’une meilleure diffusion de leurs propres travaux et désireux d’une alternative aux acquisitions onéreuses de ressources électroniques en ligne.
Principes généraux
De ce constat, et devant les attentes manifestes des chercheurs de ces disciplines, est né le projet d’un portail public de diffusion électronique des collections rétrospectives des revues françaises en SHS, dans un objectif triple : préserver et valoriser ce patrimoine scientifique, participer au rayonnement de la recherche en langue française par la diffusion d’un vaste corpus intégré dans l’offre scientifique internationale, permettre une exploitation enrichie de ces revues en termes de recherche et de consultation.
Piloté par la Direction de l’enseignement supérieur (Sous-direction des bibliothèques et de la documentation) en concertation avec les directions de la recherche et de la technologie du ministère de la Jeunesse, de l’Éducation nationale et de la Recherche, ce projet répond à une situation d’urgence en proposant un plan d’action à court terme portant sur la numérisation rétrospective d’un corpus restreint de sept revues 1, emblématiques de la qualité de la recherche française en SHS, et sa diffusion sur l’Internet au sein d’un portail spécifique. Conçus en collaboration étroite avec les chercheurs, par le biais des comités de rédaction, le profil et les fonctionnalités de ce portail répondront ainsi précisément aux attentes de la communauté scientifique.
Relevant d’une logique de service public, ce portail proposera, d’une manière non exclusive 2, des collections en accès libre et gratuit dans le respect du droit d’auteur et de la barrière mobile déterminée par chacune des revues avec son éditeur ou son diffuseur afin de garantir la commercialisation de la production courante pendant un délai laissé à leur appréciation. Ces collections seront numérisées et diffusées grâce à des outils spécifiquement développés en open source 3. Le choix de normes et de standards internationalement reconnus permettra une interopérabilité avec les initiatives similaires ou complémentaires de numérisation rétrospective ou d’édition électronique existants, en particulier avec le consortium Érudit 4, partenaire privilégié de ce projet.
À l’issue des phases d’étude et d’analyse économique, scientifique et juridique préalables, un appel à proposition a été lancé le 7 mars 2003 auprès des établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche pour la réalisation de ce portail selon des préconisations exposées dans un cahier des charges. La proposition du consortium regroupant l’université Lumière-Lyon II, la Maison de l’Orient Méditerranée-Jean Pouilloux (MOM), l’université de Nice-Sophia Antipolis et l’École normale supérieure de lettres de Lyon, en collaboration étroite avec le Cines 5, a été retenue le 6 juin 2003 avec, comme objectif, une réalisation dans un délai d’un an à dater de la signature d’une convention associant les partenaires du projet (octobre 2003).
Mise en œuvre du projet
À ce jour, le projet est entré dans sa phase de réalisation. L’équipe-projet, installée sur le plateau technologique de la MOM, réalise l’environnement matériel et logiciel nécessaire à la production numérique des revues (numérisation des 410 000 pages en mode image et en mode texte, structuration des documents en XML en retenant l’article comme unité documentaire de base), à leur mise en ligne et à leur diffusion sur un site web, en collaboration avec le Cines chargé de l’hébergement du site et de l’archivage pérenne des outils et des données. Les comités de rédaction des revues sont associés à ce processus global, tant du point de vue décisionnel, par leur implication dans le comité de pilotage du projet, que du point de vue fonctionnel, par leur travail de description matérielle et intellectuelle des revues (pour optimiser les opérations de numérisation et la pertinence de l’indexation) et de recherche des auteurs. En ce sens, ce projet, dans sa phase de réalisation, continue de bénéficier d’un accompagnement juridique assuré par le Cecoji, Centre d’études sur la coopération juridique internationale du CNRS, spécialisé dans le droit de la propriété intellectuelle et le droit de l’information et de la communication.
Un prototype du portail à usage interne, diffusant une partie des collections, sera opérationnel début 2004 et l’ouverture définitive au public est prévue au deuxième semestre 2004. Ce portail, conçu à dessein à partir d’un noyau initial restreint, préparera dès le deuxième trimestre de 2004 une montée en charge progressive afin de répondre aux attentes des nouvelles revues candidates.
D’ores et déjà, les manifestations et les prises de position autour de ce projet en soulignent l’effet structurant. Il faut souhaiter que l’émergence de ce portail national, fruit d’une étroite concertation avec les chercheurs, les responsables de revues, les éditeurs et les professionnels de la documentation, entraîne un rapprochement d’initiatives aujourd’hui dispersées pour permettre à la recherche française de bénéficier enfin d’une diffusion à la hauteur de la richesse de son patrimoine scientifique.