Actualité des outils des politiques documentaires

Catherine Lancha

Groupe de recherche bibliothéconomique appliquée aux outils de politique documentaire, coordonné par Bertrand Calenge, Poldoc a tenu, le 25 septembre dernier, sa troisième journée d’étude à la bibliothèque municipale de Lyon. Depuis la création du groupe, en 1999, chaque rencontre de ce type est l’occasion de mettre en lumière l’intérêt croissant des professionnels pour les questions de politique documentaire. Destinée à faire le point sur l’état des travaux du groupe et sur les expériences menées ces derniers mois dans différentes bibliothèques, la journée était construite sur le « principe du millefeuille », alternant interventions théoriques et exposés de réalisations.

La conservation partagée

Pascal Sanz, directeur du Centre technique du livre de l’enseignement supérieur (CTLes), proposa un tour du monde de la conservation partagée. Partout le postulat de départ est le même : conserver coûte cher et la coopération s’avère indispensable. Celle-ci peut prendre deux formes. Les programmes de conservation répartie visent à partager la charge entre plusieurs bibliothèques en réseau. C’est le cas des plans régionaux de conservation des périodiques en France, celui des joint fiction reserves au Royaume-Uni ou encore des dépôts de publications officielles en Amérique du Nord. Une autre approche aboutit à la centralisation de la conservation. En France, le CTLes voit s’accroître chaque année son nombre de mètres linéaires et le nombre de demandes de fourniture de documents. On trouve d’autres bibliothèques de dépôt similaires ailleurs en Europe, mais également aux États-Unis ou en Australie. Une réflexion doit être menée sur la complémentarité entre démarche centralisée et répartie, résuma Pascal Sanz. La conservation partagée des documents électroniques doit également être pensée et la coopération internationale développée (notamment pour les thèses). Dans tous les cas, il convient d’adopter une méthodologie simple et des partages clairs.

Le groupe Désherbage des magasins et conservation partagée rendit ses conclusions par la voix de Géraldine Barron, de la bibliothèque municipale de Nantes, et de Noëlle Gouillard, de la BM de Chambéry. Au cours de ses trois années de fonctionnement, le groupe Désherbage a structuré ses travaux autour de deux axes : la définition d’une politique de conservation et la question de l’avenir des fonds issus du désherbage, notamment pour les ouvrages du XXe siècle sans valeur patrimoniale. Plusieurs pistes ont pu être explorées – dédoublonnage et travail sur la carte documentaire pour les bibliothèques universitaires, définition d’une politique de conservation centrée sur des fonds particuliers pour les BM – mais toutes se sont heurtées à l’impossibilité actuelle de mettre en place une conservation partagée. Au moins la consultation des catalogues de bibliothèques permet-elle d’entreprendre des éliminations raisonnées.

La charte documentaire de la BnF

La Bibliothèque nationale de France (BnF), quant à elle, « travaille pour l’éternité », rappela Caroline Rives. On connaît le contexte de cette bibliothèque unique : des missions exigeantes, des collections patrimoniales et multisupports, un public nombreux et varié, une organisation complexe, un environnement documentaire en pleine recomposition (création de l’Institut national d’histoire de l’art, réalisation du plan U3M)… Pour lutter contre l’atomisation, tout en répondant à des besoins émergents (nés de l’évolution des champs de la recherche vers l’interdisciplinarité, par exemple), il était nécessaire de réitérer des principes fondamentaux et de clarifier les objectifs de développement dans une nouvelle charte des collections, dont la rédaction devrait être achevée fin 2003. L’ensemble du personnel d’encadrement en charge des collections a été associé à ce travail. Un séminaire a permis de dégager de grandes orientations : l’encyclopédisme et l’unicité des collections notamment. Par ailleurs, les responsables de collection ont été chargés de formaliser leurs plans d’acquisition. Ces derniers, une fois validés et accompagnés d’une introduction rédigée par les responsables des départements, seront l’illustration des principes de la charte. Au terme d’un important travail de réécriture et d’homogénéisation des contributions, le document final se déclinera en trois versions : « archives », « professionnelle » et « publique ». La démarche et le résultat final pourront intéresser toutes les bibliothèques organisées sur le principe de la départementalisation.

Les outils d’évaluation des collections

Bertrand Calenge offrit des perspectives nouvelles sur l’utilisation des niveaux comme outils d’évaluation et de développement des collections. Censées mesurer aussi bien l’état de la couverture de la production éditoriale que l’adéquation d’une collection à un stade de cursus intellectuel, les échelles de niveau sont aussi utilisées pour comparer les collections de différentes bibliothèques ou encore évaluer des documents individuels. Dans tous les cas, le recours aux niveaux reste problématique et ne permet guère d’éviter les écueils de l’implicite, de la subjectivité et de l’autoréférence. Face à ces difficultés, Bertrand Calenge propose, notamment dans le contexte des bibliothèques publiques, de réfléchir davantage à la question des savoirs. Ces derniers sont de trois types : les savoirs d’étude, les savoirs de curiosité-plaisir et les savoirs pratiques. La production éditoriale se structure elle-même selon cette typologie. Une bibliothèque publique doit pouvoir donner accès à tous ces types de savoirs, pour lesquels elle doit cependant fixer des niveaux de développement différents. En littérature, par exemple, les études critiques (savoirs d’étude) peuvent être développées au niveau 2, les œuvres littéraires (savoirs de curiosité-plaisir) au niveau 4, les manuels sur l’art d’écrire (savoirs pratiques) au niveau 1. L’usage des niveaux comme outils de politique documentaire n’est ici nullement contesté mais clarifié : il lui revient de signifier avant tout une intention d’acquisition.

À Fresnes, le plan stratégique proposé aux élus pour discussion et validation suppose la mise en place de tableaux de bord afin, expliqua Thierry Giappiconi, de lier les objectifs et les moyens. Une solution consiste à faire évoluer les modules statistiques des systèmes intégrés de gestion de bibliothèque (SIGB) pour les transformer en véritables outils d’aide à la décision, capables d’informer l’acquéreur sur l’état de son budget, l’importance et la structure sociologique du public utilisateur de son rayon. Au-delà de la mise en place de tels outils (on rappela les limites de l’utilisation du SIGB qui ne prend pas en compte la consultation sur place), Thierry Giappiconi appela à un développement des compétences disciplinaires chez les acquéreurs, au travers de stages de formation, de groupes de travail et de listes de discussions.

La mise en place d’outils de suivi est également au cœur de la démarche accomplie au sein des bibliothèques municipales du syndicat d’agglomération de Fos-Miramas. Ici, comme à la BnF, la complexité de la structure intercommunale et la dispersion géographique des acquéreurs rendent indispensable l’énonciation claire des orientations documentaires. Une impressionnante panoplie d’outils achevés, présentés par Jérôme Pouchol, répond à cette nécessité : fiches de postes, fiches-domaines, fiches de désherbage… Si le travail de mise en place d’un tel dispositif est colossal, il semble être le prix à payer pour une meilleure distanciation des acquéreurs par rapport aux collections et pour assurer une permanence des objectifs.

À la bibliothèque de Sciences-Po Paris, il a fallu, après des travaux de rénovation, définir une politique de passage au libre accès de documents en magasin. Pour opérer la sélection, Joëlle Muller et son équipe ont pu s’appuyer sur une analyse des enseignements, les bibliographies des enseignants, le listing des prêts, les ouvrages de référence, des corpus de textes fondamentaux. Les choix effectués devront être revus chaque année, mais d’ores et déjà on constate une augmentation du nombre des consultations sur place ainsi que des prêts d’ouvrages du libre accès.

En définitive, les différentes interventions de la journée ont permis de mettre l’accent aussi bien sur les réflexions et sur les réalisations récentes que sur les chantiers à venir. Dans ce contexte, le groupe Poldoc entend redéfinir ses moyens d’action. Les groupes de travail, constitués autour de volontaires, peinent à vivre et à produire. En revanche, la mutualisation des outils paraît plus que jamais indispensable : le récent développement du site web 1 – sur lequel on pourra trouver notamment les textes des contributions de cette journée – et la mise en valeur des travaux d’étudiants de l’Enssib devront désormais concourir à la réalisation de cet objectif. Rançon du succès, les demandes de formation aux politiques documentaires affluent. Poldoc s’est doté d’une base d’intervenants potentiels. On trouvera également sur son site web un forum de discussion et un « espace formateurs » où pourront s’échanger les plans de cours, les outils et les idées.