Editorial

Anne-Marie Bertrand

L’écrivain Jean-Paul Sartre, dans son autobiographie : « Les souvenirs touffus et la douce déraison des enfances paysannes, en vain les chercherais-je en moi. Je n’ai jamais gratté la terre ni quêté des nids, je n’ai pas herborisé ni lancé des pierres aux oiseaux. Mais les livres ont été mes oiseaux et mes nids, mes bêtes domestiques, mon étable et ma campagne ; la bibliothèque, c’était le monde pris dans un miroir ; elle en avait l’épaisseur infinie, la variété, l’imprévisibilité […]. J’avais trouvé ma religion : rien ne me parut plus important qu’un livre 1. »

Le livre, une religion pour les enfants ? Voilà une affirmation bien improbable de nos jours. À sa sœur à qui on vient d’offrir un livre, un garçon de 10 ans adresse un radical « Un livre, c’est pas un cadeau c’est une corvée », dans un téléfilm diffusé récemment à la télévision française 2.

Apprendre à lire ne va pas sans apprendre à aimer lire. C’est sur ce fil du rasoir que l’on retrouve la différence entre le versant éducatif (de l’Éducation nationale) et le versant culturel (de la Culture) : lire à l’école, lire à la bibliothèque restent (resteraient ?) deux activités fondamentalement différentes – dans leurs modalités, leurs préoccupations, leurs corpus, leurs objectifs. C’est en quoi l’introduction de la littérature jeunesse dans les programmes officiels de l’école élémentaire est un révélateur – au sens photographique – des divergences et différences entre ces deux mondes. Comme le dit, encore aujourd’hui, une bibliothécaire jeunesse, jadis enseignante : « Il y a autre chose qui est intéressant, chez les enfants, c’est que quand ils ont lu un livre qu’ils aiment, ils viennent nous le dire, on sent qu’ils sont contents, on leur a fait plaisir… Enfin moi, ce qui m’a fait choisir entre l’enseignement et la bibliothèque, c’est le plaisir qu’on donne aux enfants, alors qu’à l’école on leur impose d’être en classe, d’écouter, des cours, tout leur est imposé, on ne leur fait pas plaisir 3… »

Il faut déscolariser la lecture, disait-on il y a trente ans. Aujourd’hui, faudrait-il la rescolariser ? Du moins, peut-on tenter, selon la formule de Max Butlen, de « réconcilier le livre, la lecture, le lecteur et l’école ».