Les bibliothèques : des bâtiments pour le XXIe siècle

Anne-Marie Bertrand

Ce 13e séminaire IFLA (International federation of library associations and institutions) sur l’architecture des bibliothèques était organisé, du 28 au 31 juillet, par la section « Construction et équipement des bibliothèques » de l’IFLA, avec le soutien de la section des bibliothèques publiques : il se composait d’un voyage en Champagne-Ardenne, avec la visite des BMVR (bibliothèques municipales à vocation régionale) de Reims, Châlons-en-Champagne et Troyes, et d’un séminaire au Goethe Institut de Paris dont il est rendu compte ici. L’originalité alléchante de son programme tournait autour de notions rarement évoquées, comme les contraintes que doit assumer un projet de construction ou « la bibliothèque verte ».

Un bâtiment sous contraintes

Deux types de contraintes ont fait l’objet d’interventions, d’une part les contraintes de bâtiments patrimoniaux à réaménager, d’autre part les contraintes imposées par les normes de sécurité.

Ignasi Bonet est architecte-conseil pour le Service des bibliothèques de la generalitat de Barcelone. Dans cette région, 101 opérations immobilières ont eu lieu depuis 1993 pour des bibliothèques, dont 34 dans des bâtiments historiques. Deux questions majeures se posent à leur sujet : faut-il réhabiliter ce bâtiment, faut-il (peut-on) y installer une bibliothèque ? Le grand intérêt de la communication d’Ignasi Bonet est d’avoir apporté des réponses sur deux registres : technique, bien sûr, mais aussi politique. C’est ainsi qu’il a défini les principaux critères de décision pour le réemploi d’un bâtiment. D’une part, entrent en compte des critères bibliothéconomiques : capacité de stockage, facilité de fonctionnement, c’est-à-dire nombre, taille et distribution actuelle et possible des salles. D’autre part, des critères urbains, culturels et sociaux (politiques, pour faire vite) : la valeur architecturale du bâtiment, son poids (historique, symbolique) dans la ville, son importance dans l’histoire urbaine, sa capacité à contribuer à une « régénération » urbaine, etc. Pourquoi décider d’y faire une bibliothèque, plutôt qu’autre chose ? Deux facteurs principaux semblent jouer, l’importance de la fréquentation qui fait de la bibliothèque un outil de revitalisation urbaine, la valeur de la bibliothèque pour la communauté. La présentation de nombreux exemples en Catalogne donna de la chair à la démonstration. Des exemples réussis (surtout des bâtiments industriels), des exemples à ne pas reproduire (le Casino de Manresa, qui regorge d’escaliers, de corridors, de lingeries et autres room-services). Oui, convient Ignasi Bonet, en réponse à une question : réhabiliter de l’ancien est plus cher que faire du neuf, mais il s’agit aussi de s’inscrire dans l’histoire de la ville. Un dossier de présentation est accessible sur le web 1.

C’est à une tout autre série de contraintes que les architectes Denis Thélot et Nicolas Mayeur consacrèrent leur intervention : celles de la sécurité des personnes, c’est-à-dire la sécurité incendie et anti-panique. Sur ce sujet, qu’ils reconnurent eux-mêmes comme austère, ils réussirent à faire une communication vive et agréable. La réglementation française impose une obligation de moyens, pas de résultats, et concerne les personnes plus que les biens, et parmi les personnes le public et pas le personnel (dont la sécurité relève du code du travail). La catégorisation de la réglementation française est aujourd’hui désuète : elle s’appuie sur les fonctions des établissements recevant du public – bibliothèques, théâtres, musées, restaurants, etc. – alors que la multi-fonctionnalité est de plus en plus répandue. Ainsi, la future bibliothèque de Paris VII va côtoyer, dans les Grands Moulins de Paris, des locaux d’administration, d’enseignement et un restaurant universitaire – toutes catégories d’établissements soumises à des réglementations différentes. Bien plus, souligne Denis Thélot, dans une bibliothèque, on fait, de plus en plus souvent, autre chose que ce qui est traditionnellement envisagé : des concerts, du théâtre, des cocktails, des défilés de mode…

Après ces développements réglementaires, les intervenants firent une brève présentation des contraintes imposées par les règlements de sécurité, et notamment la compartimentation des espaces (pas plus de 1 200 m2) et la multiplication des issues de secours. Enfin, la conclusion de Nicolas Mayeur fut une brillante et nostalgique réflexion sur les escaliers : l’impossibilité aujourd’hui, en raison des règlements, de faire un vrai travail architectural sur les escaliers et la perte de sens symbolique qui en découle.

La bibliothèque verte

Il y a de l’écologie dans les bibliothèques – du moins, il y a, de plus en plus, du développement durable dans leurs bâtiments. Deux intervenants abordèrent ce sujet inattendu : l’architecte américain Jeffrey Scherer et le consultant français Alain Bornarel. Pour résumer, deux préoccupations animent les tenants de la bibliothèque verte (de l’architecture verte) : faire un bâtiment qui puisse servir à plus d’une génération, réduire les effets négatifs des bâtiments sur leur environnement.

Aux États-Unis, des critères très précis ont abouti à une certification (les Leed Criteria) qui récompense les bâtiments écologiques. Ils concernent la qualité de l’air (ventilation, poussière), les matériaux et ressources utilisés (matériaux recyclés, fournisseurs locaux pour éviter les nuisances des transports), la qualité écologique du site (près de transports en commun, parking à vélos, pas de modification du paysage), la qualité de l’eau (traitement des eaux usées, récupération des eaux de pluie), l’énergie (énergie renouvelable, réduction de la consommation). À partir de l’exemple de la bibliothèque de Fayetteville, Jeffrey Scherer donna des détails sur ce qui était possible – récupération des gravats du chantier, meubles fabriqués avec les arbres abattus (ce qui n’est pas très écologique) pour installer le chantier, etc. L’économie d’énergie induite par le bâtiment a été chiffrée à 28 000 dollars par an.

Alain Bornarel nous présenta la démarche HQE (haute qualité environnementale), qui se rapproche des Leed Criteria – aucune bibliothèque n’a encore été construite en France selon cette démarche. Deux logiques se rejoignent ici : la démarche qualité et le développement durable, c’est-à-dire les habituelles exigences de qualité auxquelles s’ajoute la maîtrise des impacts sur l’environnement. Les enjeux de la HQE sont multiples : bien sûr écologiques (économie de ressources, lutte contre la pollution) ; mais aussi qualité de la vie (acoustique, thermique, éclairage) ; territoire (dialogue avec le site, respect des riverains, transports) ; patrimoine (coût d’investissement et d’exploitation) et durabilité (Beaubourg n’a pas duré une génération avant qu’on soit obligé de le réhabiliter, souligna-t-il) ; enjeux économiques et sociaux (filières locales, insertion) ; et, enfin, enjeux d’image. On apprit aussi que le souci de biodiversité a suscité un programme de réintroduction de la pipistrelle en ville.

D’autres approches

Des neuf autres interventions, on retiendra du bon et du moins bon. Une très convaincante présentation de la nouvelle bibliothèque universitaire de Dresde, bâtiment aux deux tiers enterré et où l’enjeu principal est le traitement de la lumière. Des interventions plus convenues sur l’impact des ressources électroniques. Le futur bâtiment de la bibliothèque de Birmingham, projet (dit une auditrice) régulièrement présenté depuis des années dans des congrès (réponse de John Dolan : nous n’avons pas encore le budget, mais nous espérons ouvrir en 2008 – ce qui laisse encore quelques congrès disponibles).

Et un étonnement et un regret. L’étonnement, c’est la tranquillité avec laquelle des intervenants affirment leur volonté de s’aligner sur l’entertainment qui a du succès aujourd’hui. Ici, on fait appel aux designers de chez Walt Disney ; ailleurs, on prétend qu’information et connaissance sont une seule et même chose et que l’important est que la bibliothèque soit enjoyable ; là, on diminue les collections d’un tiers pour faire de la place à la cafétéria. Ken Dowlin, qui fut directeur de la bibliothèque publique de San Francisco, affirme tout de go que le centre commercial est aujourd’hui le cœur des villes et que les bibliothèques doivent donc s’en inspirer. « Trop de bibliothèques ressemblent encore à celles du XIXe siècle. Il faut s’adapter », dit Andrew Cranfield (bibliothèque de Slagelse, Danemark). Oui, mais faut-il pour autant, tels les lemmings, se jeter dans les bras de la World Company ?

Le regret, c’est la surreprésentation des intervenants anglo-saxons et de la langue anglaise. À la Portugaise Maria Jose Moura qui lui pose une question en français, le Catalan Ignasi Bonet répond en anglais. Vous avez dit diversité culturelle ?