Rapport d'information fait au nom de la Commission des affaires culturelles par la mission d'information chargée d'étudier le patrimoine immobilier universitaire

par Bruno Van Dooren
Sénat, session ordinaire de 2002-2003 ; réd. par Jean-Léonce Dupont. Paris : Sénat, 2003. – 247 p. ; 24 cm. – (Les rapports du Sénat). – Annexe au procès-verbal de la séance du 18 mars 2003. – Impressions du Sénat, no 213, 2003. ISBN 2-11-111366-2 : 6,50 €

Alors que le ministre Luc Ferry présente aujourd’hui son projet de loi sur l’autonomie des universités qui offre la possibilité aux universités qui le souhaitent de devenir propriétaires des biens immobiliers qui leur sont affectés par l’État, le 20 mars dernier, le Sénat a rendu public un rapport d’information sur le patrimoine immobilier des universités françaises 1.

Ce rapport a été élaboré par la Commission des affaires culturelles du Sénat à l’initiative de son président, Jacques Valade. Rappelons que Jacques Valade, professeur des universités, avait succédé à Alain Devaquet comme ministre délégué, chargé de la recherche et de l’enseignement supérieur, poste qu’il occupa de janvier 1987 à mai 1988. Cette mission d’information – qui doit être distinguée d’une commission d’enquête dont elle n’a pas les prérogatives d’investigation – a donc été dirigée et animée par un homme d’expérience (universitaire et ministérielle) qui est aussi un acteur politique engagé dans la définition des politiques publiques relatives à l’enseignement supérieur. Cela contribue à la richesse et à la précision des informations qui ont été brassées et rassemblées dans le rapport, mais aussi à son intonation sévère, exigeante, assez éloignée de ce qu’on attend généralement des publications de la Haute Assemblée.

Voyage au bout de l’enfer immobilier universitaire

Trois parties le composent : dans un premier temps, la mission dresse un état des lieux à la fois quantitatif et qualitatif du patrimoine immobilier en le rapportant à la démographie étudiante et à la question lancinante de son entretien et de sa mise en sécurité. La situation des résidences et des restaurants universitaires fait l’objet d’un exposé plus précis (p. 16-62).

La deuxième partie est consacrée à la problématique de la décentralisation du bâti universitaire, c’est-à-dire au transfert de la propriété des bâtiments, soit aux universités, soit aux régions, soit à des établissements publics spécifiques, en resituant ses propositions dans le cadre plus général des plans U2000 et U3M et des relations contractuelles qu’entretiennent l’État et les régions. Sur la base des observations qu’avait faites la Cour des comptes en 2000 sur la gestion des crédits d’investissement, la mission analyse les procédures en vigueur et la question de l’attribution de la maîtrise d’ouvrage aux collectivités ou aux établissements. Elle se livre enfin au périlleux exercice qui consiste à préconiser une bonne insertion des enseignements et de la recherche dans le tissu local mais en maintenant un cadre national cohérent d’aménagement du territoire, tout en intégrant la dimension européenne (p. 128-136).

La troisième partie du rapport est tout entière consacrée à la situation parisienne et francilienne, en particulier au plan U3M avec l’aménagement de la ZAC Paris-Rive Gauche et la rénovation du campus de Jussieu (p. 137-215). Le rapport se termine sur un résumé des propositions de la mission (p. 216-217) et sur quelques données relatives au Royaume-Uni, à l’Espagne et à l’Italie (p. 218-234).

Outre les noms des vingt-trois personnalités auditionnées (p. 15), la mission fournit pour chacune des questions traitées le point de vue de rectorats, en rapportant les réponses des académies interrogées, ce qui permet d’apprécier, dans un paysage aussi complexe, la diversité des solutions envisagées et l’état d’avancement de la réflexion dans différents points du territoire.

Le constat général qui est dressé de la situation du patrimoine immobilier universitaire est préoccupant : il est sous-utilisé, trop dispersé, fortement dégradé. L’intérêt du rapport de mission est d’apporter à un public plus large des données chiffrées, dont dispose le ministère de l’Éducation nationale, mais qui n’ont, semble-t-il, jamais été agrégées dans un inventaire national pour permettre une vision d’ensemble.

Ce patrimoine, qui a doublé en quinze ans, serait ainsi évalué à 17 millions de m2 contre 25 millions de m2 au Royaume-Uni. Selon la mission, au plan national et globalement, sous réserve des fortes disparités régionales, « il y a une correspondance satisfaisante entre les m2 nécessaires et les étudiants à accueillir » (p. 16), l’analyse sur une dizaine de pages des tendances de la démographie étudiante montrant une stabilisation à la baisse des effectifs.

En réalité, au-delà des programmes en cours, il s’agit donc moins de construire de nouvelles surfaces (« éviter de “couler du béton” ») que de s’attaquer à la question de son exploitation, de sa maintenance et de sa mise en sécurité. Sur le premier point, la mission déplore une sous-utilisation des locaux et se félicite d’une tendance à l’allongement de l’année universitaire. Elle estime que « l’université devrait rester ouverte toute l’année » (p. 25), – quitte à redéployer du personnel Iatos (personnel ingénieur, administratif, technicien, ouvrier et de service) pour contribuer à sa sécurité – grâce à l’instauration de nouveaux diplômes à points européens, la formation tout au long de la vie, l’organisation de colloques et de congrès ou au développement de pôles de recherche forts dans les nouvelles universités. À cet égard, elle s’inquiète des effets de dispersion des sites et de « repliement disciplinaire » induits par le mouvement de retour en centre ville.

Mais c’est surtout le caractère aléatoire de la sécurité d’environ un tiers des bâtiments universitaires et la dégradation du patrimoine immobilier qui sont catastrophiques. En s’appuyant sur les informations fournies par l’Observatoire de la sécurité et les données recueillies auprès des rectorats et de la Direction de la programmation et du développement du ministère, la mission rappelle que le risque d’incendie reste dominant, même si le stockage de produits dangereux ou les risques liés à l’amiante ne sont pas absents.

L’État évaluerait à quelque 13 milliards de francs les coûts de mise en sécurité. La mission détaille les efforts budgétaires consentis par celui-ci pour remédier à cet état de fait (plan d’urgence de 2 milliards en 1995, plan exceptionnel de 6 milliards de francs de 1996-1999 et volet sécurité du plan U3M 2000-2006) pour conclure que « la dégradation du patrimoine immobilier universitaire résulte pour l’essentiel de l’insuffisance des crédits de maintenance » en particulier pour les bâtiments historiques et classés (p. 44). La moyenne constatée des subventions s’élèverait en effet à 7,7 euros/m2, alors que les besoins réels seraient de l’ordre de 18,29 euros/m2.

D’emblée, l’importance des sommes en jeu et l’incontournable échelonnement des financements dans le temps conduisent la mission à s’interroger sur le fait de savoir si la mise en sécurité serait ou non un préalable au transfert de propriété aux établissements ou aux régions : posée en ces termes, on voit bien que la question, qui sera traitée en deuxième partie du rapport, est plus politique que technique ou financière.

En guise de transition, le rapport développe longuement (p. 49-62) l’exemple des résidences et des restaurants universitaires qui est présenté comme un concentré des vicissitudes et des dysfonctionnements dénoncés plus haut (sous-utilisation, dégradation et urgence des réhabilitations, sécurité défaillante, financement inadapté, incompétence juridique des commissions de sécurité) pour justifier la nécessité d’un renforcement du rôle des collectivités territoriales, et en premier lieu des agglomérations.

Le statut juridique actuel des bâtiments universitaires

La deuxième partie du rapport s’ouvre sur un exposé détaillé du statut juridique actuel des bâtiments universitaires dont on retiendra que les établissements exercent les droits et obligations d’un propriétaire à l’exception du droit de disposition et d’affectation (art. L.762-2 du Code de l’éducation).

De fait, la loi du 10 juillet 1989 leur confère plus d’obligations que de droits. Ils sont par exemple responsables des dommages résultant d’un défaut d’entretien de l’immobilier, mais seuls 35 % d’entre eux s’engagent à exercer la maîtrise d’ouvrage de leurs constructions. Si, pour des raisons liées à un souci de proximité, à une meilleure prise en compte des attentes des utilisateurs, à une contraction des délais d’intervention, à une sensibilisation accrue des universitaires aux problèmes de sécurité et surtout à un cofinancement de la gestion immobilière, l’État doit envisager la dévolution du patrimoine immobilier universitaire, la question de l’identité du « bénéficiaire » reste ouverte.

Cela conduit la mission à envisager successivement trois scénarios en présentant leurs avantages et inconvénients respectifs. Le premier consisterait à opérer un transfert de propriété aux établissements eux-mêmes (p. 65-77), à l’instar des établissements hospitaliers. Cette solution aurait le mérite de responsabiliser les universités et de renforcer une « autonomie politique » qu’elles revendiquent, mais elle suppose au moins trois préalables : une remise en état des bâtiments, une augmentation des crédits de maintenance leur permettant de procéder à des dotations aux amortissements comme l’instruction comptable M9-3 leur en fait d’ailleurs obligation 2, et une capacité technique et professionnelle confiée à des personnels formés à la gestion immobilière, s’appuyant sur un système d’information académique. Au terme d’un panorama présentant plusieurs académies, la mission préconise dans ce scénario la mise en place d’un « schéma directeur immobilier par université et parfois par site » et une expérimentation proposée à des universités volontaires.

Le deuxième scénario reprend les propositions du rapport Mauroy sur la décentralisation en faveur des régions. La mission rapporte les points de vue respectifs des présidents d’université, ainsi que celui de Gérard Longuet, président de l’Association des régions de France. Les premiers considèrent que le modèle des lycées n’est pas pertinent pour les universités qui constituent des « prototypes » et non des « constructions type » 3, tandis que le second estime que, en l’état, les deux tiers des régions n’y seraient pas favorables et qu’un transfert de gestion les conduirait « nécessairement à s’impliquer dans le fonctionnement même de l’université » (notamment en matière d’accès aux bibliothèques). La solution du partenariat paraît donc plus réaliste.

Le troisième scénario revient à proposer la création d’un « établissement public immobilier » au niveau régional. En définitive, la mission estime « qu’aucune solution générale ne s’impose pour le transfert de la propriété des bâtiments universitaires » (p. 87) et retient la notion de « dévolution expérimentale réversible » qui permettrait de tester chacune des hypothèses. Dans cette perspective, elle établit un bilan des effets de la contractualisation entre l’État et les collectivités. Elle en pointe les aspects positifs (une implication accrue des régions) et les aspects négatifs (éparpillement des formations courtes et surtout absence de coordination interministérielle).

Après avoir rendu compte, de manière assez détaillée, de la ventilation des financements des contrats de plan État-région (CPER) ainsi que des plans U2000 et U3M (p. 98-106), elle énumère les dysfonctionnements engendrés par des procédures trop rigides en rapportant les doléances des académies (p. 107-127).

En conclusion, elle propose la mise en place de « schémas directeurs immobiliers au niveau académique ou régional » qui préciseraient les orientations du schéma des services collectifs de l’enseignement supérieur et de la recherche, elle préconise le regroupement de disciplines et celui de sites universitaires en mettant un terme à « l’implantation quelque peu anarchique des formations courtes » et appelle les universités… à un peu plus de rigueur dans la gestion des crédits de fonctionnement qui leur sont alloués (p. 128-136).

Paris et l’Île-de-France

La troisième partie du rapport suscitera sans doute des commentaires, des critiques et peut-être des controverses. Entièrement consacrée à Paris et à l’Île-de-France, elle présente une photographie détaillée de l’état des lieux et des opérations en cours : structuration des quatre pôles « Nouvelle Sorbonne », La Villette-Plaine Saint-Denis, « Val-de-Seine », Sorbonne, aménagement de la ZAC Paris-Rive Gauche, déménagement de Paris VII et rénovation du campus Jussieu (p. 137-150).

Alors que la mission reconnaît le caractère spécifique de la situation parisienne 4 et la nécessité d’un plan de rattrapage pour rénover les bâtiments, améliorer les conditions de vie des étudiants, mettre en réseau les universités intra-muros, etc., elle n’a pas de mots assez durs pour dénoncer les choix des pouvoirs publics concernant la mise en sécurité du campus Jussieu et, dans une moindre mesure, le déménagement consécutif de Paris VII. La seule opération de désamiantage du campus Jussieu occupe plus de quarante pages et il n’est pas exagéré de dire que l’instruction du dossier se fait exclusivement à charge, trop souvent sans nuance. Dénonçant « l’improvisation », « une véritable omerta sur le dossier », « un fiasco », « la gabegie de Jussieu », stigmatisant « le bien fondé » et « le processus décisionnel qui a abouti à la mise en œuvre » de l’opération, les rapporteurs soulignent que les surcoûts des deux opérations se font finalement au détriment des autres universités… et suggèrent qu’il aurait mieux valu « raser l’ensemble » (p. 167-168 et 213).

Il faut avouer que l’acharnement mis à dénoncer les choix et les modalités d’exécution d’un chantier si complexe, d’un bout à l’autre du rapport, nuit par moments à la démonstration et, à trop vouloir prouver, finit par susciter la perplexité 5.

La mission souhaiterait que les propositions de Paris VII soient davantage prises en considération et que l’université Paris VI, « qui doit rentrer dans le droit commun en matière immobilière, et aussi budgétaire », soit relogée dans des locaux neufs à La Villette. Enfin, considérant que rien n’est inéluctable, la mission propose de mettre en place un dispositif de contrôle et d’évaluation conduisant à de nouvelles propositions : « mission d’expertise technique et financière » sur Jussieu, rapport des inspections générales sur les universités parisiennes, saisine de la Cour des comptes pour l’EPA (Établissement public administratif) de Jussieu chargé du désamiantage et les deux universités, commission d’enquête du Sénat et « débat d’orientation sur la situation générale du patrimoine immobilier universitaire ».

Au terme de ce voyage au bout de l’enfer immobilier universitaire, on s’interrogera sur le sort réservé aux bibliothèques universitaires… Elles ne sont pas absentes du rapport, ne serait-ce que par l’exposé des chantiers de bibliothèques en cours inscrits dans les CPER, U2000 et U3M. Pour l’essentiel, la mission s’inscrit dans la logique du « remarquable rapport » Lachenaud. Elle ne remet pas en cause la légitimité des nouvelles constructions et des réhabilitations et reprend la proposition d’élargissement des horaires et des plages d’ouverture.

On peut regretter, précisément, qu’elle n’ait pas davantage intégré les évolutions depuis 1998 et qu’elle ne considère les bibliothèques que comme un lieu d’accueil et de vie des étudiants sans rappeler leur rôle pour la recherche et la formation : cela aurait permis de mettre en évidence les effets financiers et humains désastreux de la dispersion des sites universitaires sur la documentation, dispersion géographique, mais aussi disciplinaire ; le souci louable de maîtriser la dépense publique y aurait puisé plus de force.

  1. (retour)↑  http://www.senat.fr/rap/r02-213/r02-213.html
  2. (retour)↑  Ce point donne lieu à un développement sur les réserves et les fonds de roulement des universités. Si les deux notions sont bien distinguées, les sommes avancées par la mission concernant l’article 10 du chapitre 36-11 et le montant du fonds de roulement se comptent en milliards et non en millions de francs… (p. 68).
  3. (retour)↑  Ce que conteste la mission qui rappelle, à juste titre, que les collectivités territoriales se sont investies dans des structures très diversifiées – médiathèques, salles de spectacle, complexes sportifs… (p. 119).
  4. (retour)↑  L’état actuel du patrimoine immobilier et l’ampleur des opérations conduisent la mission à considérer la dévolution des bâtiments comme « prématurée », mais si elle prône logiquement une coopération régionale et inter-académique entre les établissements, elle « s’interroge sur l’utilité réelle » de la mission inter-académique U3M « qui fait la part belle aux projets parisiens intra muros » (p.140).
  5. (retour)↑  On peut considérer qu’il aurait été juste et utile d’offrir, en annexe du document, un droit de réponse aux établissements et aux responsables politiques et administratifs mis en cause, sur le modèle des rapports du Comité national d’évaluation qui donne la parole aux présidents des universités qu’il évalue.