Animer un atelier d'écriture

faire de l'écriture un bien partagé

par Patricia Remy

Odette Neumayer

Michel Neumayer

Paris : ESF éditeur, 2003. – 222 p. ; 24 cm. – (Didactique du français). ISBN 2-7101-1593-X : 22,7 €

Membres du Groupe français d’éducation nouvelle, Odette et Michel Neumayer ont été enseignants et formateurs d’enseignants. Depuis les années 1970, ayant fait l’expérience de l’atelier d’écriture, ils ont « inventé » et animé des ateliers, convaincus que l’écriture n’est pas la chasse gardée de quelques-uns ni une aventure forcément solitaire, mais un bien et une découverte à partager. Que partage-t-on quand on écrit ? Que peut-on partager ? Ces questions sous-tendent l’atelier d’écriture qui devient un lieu où s’inscrire dans une chaîne de transmission, un lieu où agir sur des représentations sociales figées qui assignent une place dans l’écriture à certains et pas à d’autres.

Ce livre évoque le parcours intellectuel des auteurs, une recherche humaine et une recherche professionnelle étroitement liées, un engagement militant et professionnel. Il tente la « mise en patrimoine » de pratiques et d’outils et précise en quoi leur approche s’inscrit en rupture avec d’autres types d’animation.

Ce qui se joue dans l’atelier d’écriture

À partir des années 1980, les ateliers d’écriture se sont multipliés, en France comme à l’étranger, avec des finalités diverses, depuis les jeux d’écriture jusqu’aux visées strictement utilitaires.

Les auteurs conçoivent l’atelier d’écriture comme une pratique humaine où de l’écrit est produit collectivement, comme un lieu où peuvent se modifier les représentations des participants sur la langue, les textes et leur propre capacité à produire de l’écrit. L’atelier prend appui sur la coopération dans les pratiques de création, tentative de configurer le vivre ensemble dans l’atelier sur d’autres valeurs que l’individualisme, la compétition et l’exclusion.

Les ateliers décrits et analysés dans ce livre proposent, par l’expérience, d’approcher la dimension anthropologique de l’écriture, d’entrer dans l’aventure de l’écriture conçue comme outil d’humanisation, instrument de connaissance et de relation, enjeu de valeurs éthiques et politiques.

Le déroulement de l’atelier

Il s’appuie sur la création d’un environnement verbal, sorte d’échauffement collectif dans lequel puiseront les participants pour l’écriture de textes individuels. L’atelier comporte une phase d’écriture collective (harmonisation de fragments individuels ou écriture à plusieurs d’un seul texte). Les textes seront lus à haute voix, ils peuvent faire l’objet de l’intervention d’un autre participant, évocation du processus d’appropriation et de transmission des textes par lecture, relecture, copie et réécriture. Il s’agit de faire l’expérience de l’écriture, d’observer comment elle circule entre les hommes, de qualifier ses rôles, ses enjeux, à l’œuvre au sein de l’atelier.

Une phase d’analyse réflexive est destinée en fin d’atelier à mesurer collectivement la qualité du travail d’écriture… et d’animation.

Un « carnet de formation », un « dispositif d’accueil de fragments », est ouvert par chaque participant dès le premier jour de l’atelier. Chacun est invité à nourrir des rubriques qui constitueront une forme d’évaluation particulière. Un moment est réservé chaque jour pour une écriture réflexive, mise en mots de l’expérience et ressentis des participants.

Le plan du livre

Cette réflexion et cette méthodologie sont développées à partir du récit et de l’analyse de quinze ateliers imaginés par les auteurs. Ce livre est composé de cinq parties, chacune décrivant précisément le déroulement pédagogique et la progression méthodologique de trois ateliers.

– La première partie, « L’entrée en écriture », décrit trois ateliers visant à dépasser la peur d’écrire. On en appelle à Aragon et à Kafka au titre de l’expérience d’écriture dont ils sont porteurs, en qualité d’éclaireurs, non comme modèles à suivre.

– La deuxième partie, « Nommer, normer, faire exister », décline trois ateliers autour de la question des démarrages de l’écriture, des déblocages, de l’apprivoisement de l’imaginaire. Les ateliers proposés font appel à des auteurs (Henri Michaux, Raymond Queneau) dont le questionnement sur l’écriture incite à écrire soi-même.

– La troisième partie, « Le voyage interfragmentaire », rassemble trois ateliers qui prennent appui sur les récits de voyage, mosaïques de textes, de souvenirs, d’images mentales. Où l’épreuve du voyage s’apparente à l’apprentissage de l’écriture. Par quelles étapes passe-t-on ? Quelles épreuves surmonte-t-on ? Quels liens tisse-t-on ?

– La quatrième partie, « Accumuler, proliférer, complexifier », interroge sur le sens de l’acte d’écrire aujourd’hui, dans une société saturée de livres, d’écrits. Trois ateliers dans les parages de Perec et de Simenon invitent à considérer le moment de l’écriture comme un passage vers la transformation, la prise de conscience de soi et de son rapport au monde, au réel.

– La cinquième partie, « S’inscrire dans le temps humain », centre la réflexion sur les rapports de l’écriture à la mémoire et au temps. Trois ateliers autour de Proust et de deux moments clés de l’histoire – la découverte du Nouveau Monde en 1492 et Hiroshima en 1945 – invitent les participants, porteurs d’une histoire, d’une culture, de savoirs et de valeurs, à se mettre au travail pour aiguiser leur perception, intime ou historique, de la chaîne dans laquelle on s’inscrit.

Quatre contrepoints (« Quelques brèves réflexions sur le rapport aux auteurs », « L’amour des mots », « Qualité des productions ou qualité de la réflexion ? La notion d’analyse réflexive », « Corriger, réécrire ou relancer ») constituent des fins de chapitres courts, retours, mises en résonance théorique des pratiques évoquées dans ce qui les précède.

Les textes de participants aux ateliers rythment et appuient le déroulement pédagogique. Ils contribuent à restituer la dimension vivante, sensible, des ateliers, la dimension de l’expérience et celle de mise en mots de soi.

Des questions en suspens

Comment l’expérience de l’atelier, si elle transforme le rapport à l’écriture des participants est-elle susceptible de transformer l’intervention des formateurs dans leur pratique professionnelle (au-delà de la répétition, de la transposition de l’atelier) ?

Par ailleurs, on ne peut que partager le souci des auteurs de « plus de participation de la population dès la conception de tels projets, qui sont encore trop souvent le fait des seules institutions, culturelles et éducatives », piste ouverte, qui reste à approfondir.

Une lecture attentive de ce livre est recommandable à tous ceux qu’intéressent les enjeux culturels et politiques de l’écriture, au-delà des animateurs d’ateliers en recherche de nouvelles approches et d’évolution de leurs pratiques.