La nRF de Paulhan

par Odile Grandet

Laurence Brisset

Paris : Gallimard, 2003. – 457 p. ; 21 cm. ISBN 2-07-076767-1 : 28,50 €

Jean Paulhan n’existe pas. C’est ainsi que Laurence Brisset ouvre son essai sur Paulhan, reprenant le texte d’une carte postale pataphysicienne.

Entré par une « porte dérobée » à la NRF, il occupera toujours une « drôle » de place – drôle comme la drôle de guerre – que ce soit auprès de Jacques Rivière, de Gide, de Marcel Arland ou de Gaston Gallimard.

Le style, avant tout

La seule chose importante, celle à laquelle Jean Paulhan cherche à être fidèle à tout prix, c’est « le refus de la morale et de la politique dans l’art, la défiance envers le succès, la primauté du style contre les idées et l’absence de parti pris ».

Dire combien cette position était intenable dans la France de 1934, dans la France de 1940 ou dans celle de l’après-guerre, c’est donner à comprendre en partie une personnalité tout entière dédiée à la littérature, mais qui fut aussi conseiller municipal – il a été élu en 1935, sur la liste de Jean Longuet, grande figure de la SFIO – et qui refusa de cautionner une revue « fermée aux juifs et aux antinazis » (la NRF de Drieu La Rochelle, à laquelle il refuse de participer, mais de laquelle il ne parvient pas à être totalement absent).

Laurence Brisset écrit : « Les contradictions de Paulhan disparaissent dès lors que le mot littérature est prononcé. » Son objectif est clairement de « publier Céline qui est un grand auteur, et de ne pas publier Rolland qui est certes un brave homme, mais un esprit fumeux et un médiocre écrivain » (lettre de Paulhan, novembre 1948). Le style, le style avant tout…

La contradiction n’est peut-être pas résolue, mais elle situe l’homme qui pose l’exigence littéraire avec passion – « Nous n’admirons pas assez, il me semble, les écrivains que nous admirons. Nous ne détestons pas assez fortement les écrivains que nous détestons » – celui qui recherche comme une position existentielle « l’extrême milieu ».

Une revue est un laboratoire

Si la NRF a été la grande aventure de la vie de Paulhan, il aura participé – et parfois dès la naissance – à de très nombreuses revues : Commerce, Mesures, Lettres françaises, Cahiers de la Pléiade, les revues clandestines de l’Occupation. La thèse de Laurence Brisset, c’est que Paulhan « a préféré la direction de revues à toute activité liée au livre », parce que la revue est « une sorte d’atelier, de laboratoire ». Paulhan est un lecteur, un découvreur qui préféra toujours l’œuvre en train de se faire, à celle polie et sans défaut de l’auteur qui ne doute plus – suffisamment – de lui-même. « Cette prédilection que manifestait Paulhan pour les primitifs explique qu’il soit allé jusqu’à dire : “Le plus grand livre d’un écrivain, c’est en général le premier qu’il ait écrit.” »

Paulhan le lecteur aspirait à n’être qu’un lecteur, de ceux qui « déclarent tout de go : “Voilà qui existe” ou “C’est quelque chose” ou simplement “Une connerie” ». Un simple lecteur, prêt à partager son plaisir de lire ou à faire connaître ses anathèmes.

Le livre de Laurence Brisset déborde de citations et ne met peut-être pas assez en jeu, en danger, l’objet de son étude. Mais du frottement de deux mythes – celui, brillant et poussiéreux, de la NRF, vieille dame prestigieuse, et celui, plus contrasté, du « clerc obscur » Jean Paulhan – sort une belle interrogation sur ce qu’est la revue.

Tout compte fait, Jean Paulhan aura toujours fait la même chose, chercheur d’or, directeur de revue ou lecteur : la même recherche mille fois répétée de la pépite.

À propos de littérature, lisez Les hain-tenys (poésie de dispute en usage chez les Malgaches, traduite et commentée par Jean Paulhan).

« Ça c’est quelque chose. »