L'aide du Centre national du livre aux éditeurs distribués par Les Belles Lettres

Annie Brissiaud

Au cours de l’incendie survenu le 29 mai 2002 dans l’entrepôt des Belles Lettres à Gasny, une soixantaine d’éditeurs d’ouvrages, de documents sonores ou de revues – dont une quinzaine d’éditeurs universitaires – ont perdu plus de 2 500 000 volumes, dont près de 1 700 000 pour les seules Belles Lettres. Depuis, professionnels du livre, associatifs, institutionnels ont multiplié les initiatives pour aider les éditeurs sinistrés à surmonter leurs lourdes pertes et à poursuivre leur activité. Le Centre national du livre (CNL), pour sa part, a très rapidement mis en œuvre un ensemble de mesures pour répondre aux besoins immédiats, mais aussi soutenir à plus long terme la reconstitution de catalogues, en totalité ou en grande partie détruits.

Répondre aux besoins immédiats

Parmi ces mesures, figurait, outre des délais négociés pour certains prêts en cours de remboursement, la mobilisation des moyens d’intervention existants, tels que l’attribution de subventions aux libraires pour l’acquisition de fonds thématiques ou l’accord de prêts structurels aux maisons d’édition. La possibilité de commander, avec une subvention équivalente à 50 % du prix d’achat hors taxes, tout titre relevant des catalogues d’éditeurs sinistrés, dans les domaines de l’art, de la poésie, du théâtre, des sciences humaines et des sciences et techniques, a ainsi été proposée par courrier à plus de trois cents libraires. Par ailleurs, des prêts remboursables en cinq à sept annuités sans intérêts, destinés à passer ce cap difficile sans compromettre les nouveautés prévues, ont été accordés à trois entreprises dès juillet pour un montant de 69 000 euros.

Ces dispositifs, sans être négligeables, n’étaient cependant pas suffisamment adaptés à l’ampleur et au caractère du sinistre. En effet, la plupart des éditeurs distribués réalisaient des chiffres d’affaires modestes et n’étaient pas assurés, alors que la totalité de leurs stocks avait disparu. De ce fait, beaucoup d’entre eux, confrontés à de graves difficultés de trésorerie et d’importantes pertes d’exploitation, ne souhaitaient pas s’endetter davantage, même à taux zéro.

Soutenir la reconstitution des catalogues

Illustration
Éditeurs ayant bénéficié d’aides à la réimpression

Un premier état des lieux avec les éditeurs concernés a permis d’estimer à près de 850 000 euros le financement nécessaire pour réimprimer les quatre cents titres qu’ils jugeaient prioritaires. C’est pourquoi le CNL s’est rapidement orienté vers la mise en place d’un dispositif exceptionnel de soutien, par voie de subvention, au retirage des ouvrages épuisés, dès 2002 et pour les deux années suivantes.

En effet, il fallait pouvoir, par une aide significative et renouvelée, permettre aux éditeurs de réimprimer au plus vite :

–les titres les plus demandés, qui par leurs ventes régulières étaient à même d’assurer la poursuite de l’exploitation de l’entreprise et qui étaient attendus par des libraires en rupture de réassort ;

–les titres dernièrement parus, afin de ne pas perdre l’effet d’annonces ou d’articles de presse favorables et de prendre en compte les attentes des auteurs concernés, pénalisés indirectement par la disparition des ouvrages ;

–les titres, qui, malgré des ventes assez lentes, restaient emblématiques de leurs catalogues et dont l’absence était, d’un point de vue culturel, considérée comme une véritable lacune.

Pour ce faire, le dispositif élaboré s’est appuyé sur deux points forts, constituant des exceptions dans le régime habituel des subventions à la publication. Les coûts de fabrication des ouvrages à réimprimer, selon des programmes définis semestriellement, pouvaient être pris en charge à plus de 50 % dans la limite des deux tiers de ces coûts et le paiement des deux premiers tiers de la subvention pouvait être effectué dès la signature du contrat ; le solde était versé sur envoi des justificatifs demandés, à savoir quatre exemplaires de chaque titre réimprimé, portant la mention de l’aide du CNL, et les copies d’attestations de réimpression pour le dépôt légal.

Aussitôt l’accord du conseil d’administration obtenu, les trente-six éditeurs qui avaient pris contact avec le CNL ou les Directions régionales des affaires culturelles ont été informés des modalités d’aide qui leur étaient proposées, et, à la mi-septembre, les premiers dossiers étaient examinés. La décision d’aide s’est basée sur les déclarations des éditeurs ainsi que sur les rapports effectués par des lecteurs spécialistes des domaines éditoriaux concernés ; le taux de concours du CNL a, quant à lui, été déterminé par l’ampleur de la perte de stock subie.

Les titres disparus à nouveau disponibles

Ainsi, dix éditeurs, dont les ouvrages disparus dans l’incendie n’atteignaient pas 50 % de leurs stocks totaux ont été aidés à hauteur de 50 % de leurs devis de réimpression. Un taux de concours du CNL à hauteur des deux tiers des devis présentés a été retenu pour quatorze autres ayant perdu entre la moitié et 98 % de leurs stocks ; deux éditeurs, qui avaient perdu moins de 50 % des stocks, ont bénéficié d’une aide maximale, car, dans ces deux cas, il s’agissait de ne pas compromettre l’activité complémentaire ou principale, directement liée au livre, de chacune de ces structures : organisme de formation professionnelle dans le premier cas et imprimeur, notamment de plusieurs autres éditeurs sinistrés, dans le second.

Au total, en 2002, le CNL a attribué 276 617 euros à 26 éditeurs pour réimprimer 219 titres. La plupart de ces ouvrages ou documents sonores, sont d’ores et déjà à nouveau disponibles en librairie, après avoir été totalement ou quasiment épuisés. En 2003, le programme de réimpression, doté en budget primitif d’un montant de 200 000 euros, se poursuit normalement avec pour ce premier semestre, treize demandes déjà parvenues pour le retirage d’une centaine d’ouvrages. Il est prévisible qu’à ce rythme, les projets de réimpression devraient se réduire progressivement et ne plus concerner qu’un faible nombre de titres en 2004.

On peut se réjouir que tous ces éditeurs, particulièrement éprouvés par un sinistre dans lequel des années de travail ont parfois été totalement anéanties, aient pu trouver à la fois l’énergie et les soutiens financiers nécessaires pour reconstituer, aussi rapidement, la partie essentielle de leurs catalogues, tant sur le plan culturel que pour l’économie générale de leurs entreprises.