Réunion des directeurs des bibliothèques des établissements d'enseignement supérieur

Anne-Marie Bertrand

Les 28 et 29 janvier, s’est tenue à Paris l’annuelle réunion des directeurs de bibliothèques universitaires et des bibliothèques des établissements d’enseignement supérieur. Dans un climat plus serein que l’année précédente, où l’irritation des directeurs de BU à l’égard de la Direction des personnels administratifs, techniques et d’encadrement (DPATE) s’était manifestée avec éclat, cette réunion a permis à la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation (SDBD) de faire le point sur un grand nombre de projets.

« La science n’a pas de frontière »

C’est par une perspective européenne que Jean-Marc Monteil, directeur de l’Enseignement supérieur, entamait son intervention inaugurale : l’actualité géopolitique, la construction de l’Europe, présente un double enjeu pour l’université française. D’une part, la compétition interuniversitaire devient internationale ; il s’agit de poser le modèle français comme un des modèles de référence, afin de pouvoir « attirer les étudiants d’Asie » ; l’harmonisation européenne des cursus (LMD) va améliorer la lisibilité de l’offre de formation. D’autre part, « la science n’a pas de frontière », « les objets scientifiques ne sont pas nationaux » : il faut s’inscrire résolument dans le champ international.

La politique documentaire est au cœur de l’organisation des universités, au même titre que l’aspect scientifique. Elle nourrit la politique de recherche et de formation, elle est donc un volet fort des contrats. La mise à niveau permanente de l’activité documentaire exige de s’entourer d’experts (informaticiens, didacticiens…) et, donc, de faire cohabiter des professions différentes, des expertises, des espaces d’intervention, au sein d’un même dispositif pour atteindre un objectif commun. Cette capacité à constituer des équipes, reconnaît Jean-Marc Monteil, n’est pas habituelle au monde universitaire, plutôt hiérarchique, voire mandarinal.

Enfin, Jean-Marc Monteil abordait un tout autre registre : celui de la production et, longuement, celui de la diffusion de l’information. L’université produit le savoir et le diffuse (diffuse l’information scientifique). Le traitement (validation et transport) de l’information scientifique doit se faire prioritairement vers l’étudiant, l’enseignant, le chercheur, mais aussi au-delà des professionnels : il s’agit de « réaliser l’acculturation de l’ensemble de la population », sauf à se résigner à ce que ce rôle soit tenu par les grands médias. La diffusion de l’information scientifique et technique doit faire appel à des « traducteurs », à même d’assurer la vulgarisation du savoir – pour laquelle les professeurs du second degré sont un « relais extrêmement puissant ».

La modernisation des bibliothèques universitaires

Lors de ces deux journées, Claude Jolly eut l’occasion d’intervenir à plusieurs reprises pour présenter les dernières mesures adoptées ou à l’étude. Il annonça ainsi la création de 97 postes de catégorie A ou B pour 2003 et évoqua la nécessité de « repyramider » les effectifs : le « schéma pyramidal » est obsolète et il s’agit, désormais, de requalifier les emplois (moins de C, plus de B). La vieille question du statut des moniteurs-étudiants est toujours à l’étude, et un groupe de travail s’est attelé à la tâche. Après avoir évoqué diverses questions juridiques (le droit de prêt, l’assise de la TVA) et l’accélération de la procédure contractuelle, il fit un long développement sur les outils documentaires.

La politique documentaire est de la responsabilité des établissements, dans un contexte de réseau et un champ qui s’organise (quelque part « entre le plan des rues de New York et le bazar d’Istanbul ») autour des outils disponibles (le Sudoc 1, les Cadist 2, les pôles associés de la Bibliothèque nationale de France, le Dépôt légal, Couperin). Les statistiques montrent que la structuration des achats change au détriment des monographies (40,5 % du budget d’acquisitions en 1998, 33,3 % en 2001). Par ailleurs, la distribution des titres de périodiques se caractérise par un double phénomène : beaucoup de titres dans un tout petit nombre de bibliothèques (bibliothèques de référence, spécialisées, patrimoniales), beaucoup de titres dans un grand nombre de bibliothèques (l’effet bouquet). Il existe deux modèles d’accès aux ressources, analyse Claude Jolly : le modèle papier/produit/propriété (modèle Cadist), où l’effet de taille de la bibliothèque est déterminant, et le modèle numérique/service/location (modèle Couperin), où l’effet de taille est marginal.

Après un rappel des caractéristiques des Cadist et de leur diversité (« On ne peut pas parler des Cadist dans leur ensemble »), Claude Jolly appelle à une redéfinition de ce que pourrait/devrait être aujourd’hui une bibliothèque de référence : assurer la couverture documentaire au-delà du cœur de la documentation recherche (au-delà de ce qui est la variable d’ajustement pour les autres bibliothèques), être un acteur des groupements d’achat, assurer une veille documentaire disciplinaire, être un site de diffusion de l’information bibliographique disciplinaire, assurer la fourniture à distance, jouer un rôle majeur dans la conservation des documents papier, fonctionner en partenariat.

Daniel Renoult présenta, lui, l’état d’avancement des grands chantiers en Île-de-France. Le Plan U3M (Universités du troisième millénaire) court sur le contrat de plan 2000-2006 et sur le suivant. De grands chantiers sont soit en voie d’achèvement (Sciences Po) soit, surtout, en phase d’étude ou de programmation : Marne-la-Vallée (12 000 m2), Guyancourt (8 400 m2), Poliveau (13 000 m2), Sainte-Barbe (10 500 m2), la BULAC 3 (16 500 m2), etc. Quant à Paris VII, sur la ZAC Paris Rive Gauche, le projet en a déjà été présenté dans le BBF 4.

Daniel Renoult considère le taux de réalisation du plan, à mi-parcours, comme satisfaisant. Les principaux éléments de préoccupation, explique-t-il, proviennent de la multiplicité des intervenants, qui entraîne une grande complexité des procédures.

Études et projets

Outre ces informations ou réflexions sur le développement des bibliothèques de l’enseignement supérieur, des interventions présentèrent des points, projets ou établissements particuliers.

Claire Niemkoff (SDBD) fit part des résultats de l’enquête qu’elle mena en 2002 sur les périodiques scientifiques recherche (physique, chimie, sciences de la terre) dans 47 BU concernées : sur les 2 550 titres cités dans le Science Citation Index, 1 933 sont possédés au moins une fois (75, 8 %) ; ceux qui sont absents des collections françaises sont des titres très pointus ou à lectorat réduit (en russe ou en chinois). Parmi les 47 établissements, 15 possèdent au moins 900 titres : il s’agit des trois Cadist concernés (qui ont beaucoup d’abonnements papier), des « vieilles universités » (Bordeaux, Nancy, Strasbourg), qui ont des abonnements mixtes, et de jeunes établissements (Toulon, Nice, Saint-Étienne, Versailles-Saint- Quentin) qui ont surtout des abonnements électroniques.

À son tour, Jacqueline Solomiac (SDBD) présenta une enquête sur l’offre documentaire de six Cadist de lettres et sciences humaines (Cujas pour le droit, Paris IX pour les sciences économiques, la Sorbonne, Aix-Marseille I, Caen et Poitiers pour l’histoire). Le but de l’étude était de mesurer le niveau de couverture documentaire d’autres bibliothèques, pour comparer l’offre des Cadist dans la même discipline. Sans surprise, l’enquête montre chez les autres bibliothèques une bonne couverture (taux de recouvrement) pour les périodiques, une couverture moyenne pour les monographies françaises, et médiocre pour les monographies étrangères.

Président du consortium Couperin, Jean-Yves Mérindol fit le point sur son développement et, surtout, sur les questions qui se posent. Aujourd’hui, Couperin regroupe 139 établissements et envisage l’intégration d’autres consortiums, plus spécialisés (Cujas, Dauphine). Trois questions sont à l’étude : un portail, l’archivage, la structure. Faut-il créer un portail ? Jean-Yves Mérindol semble fort réservé sur ce point : il n’y a pas, dit-il, d’intérêt majeur à un portail centralisé, toutes disciplines confondues. L’archivage des ressources électroniques ? La pérennité des ressources est, certes, essentielle, répond-il, mais les compétences nécessaires sont très variées et se trouveront peut-être plutôt à la BnF ou à l’Agence bibliographique de l’enseignement supérieur (ABES). La structure de Couperin ? Il s’agit, actuellement, d’une association loi 1901, la création d’un GIP (groupement d’intérêt public) est à l’étude.

Pascal Sanz fit un point d’information sur le Centre technique du livre de l’enseignement supérieur (CTLes), ouvert depuis 1996, pour désengorger les bibliothèques de l’enseignement supérieur, prioritairement en Île-de-France. Au 31 décembre 2002, le CTLes avait engrangé 24 000 mètres linéaires de documents, dont 53 % étaient cédés et 47 % seulement déposés. L’accroissement annuel est de l’ordre de 4 000 mètres linéaires. Après quelques années de fonctionnement, Pascal Sanz indique que deux fonctions non initialement prévues sont assumées par le CTLes : le stockage provisoire de collections pendant que leurs établissements d’origine sont en travaux ; l’attribution du troisième exemplaire du Dépôt légal vers les établissements attributaires. L’expérience montre que les communications des documents augmentent : 2 593 en 2002, le double des communications de 2000 (1 297). Cet usage des collections pose la question de la conservation partagée et, plus précisément, du dédoublonnage des collections déposées : le CTLes héberge quatre collections complètes de la Revue de défense nationale, indique Pascal Sanz, qui conclut : « Cela frise l’absurde. » Un travail de conviction est à mener pour mettre en place une gestion coopérative des collections 5.

Comme tous les ans, Sabine Barral, directrice de l’ABES, fit le point sur l’évolution du Sudoc. Regroupant 113 établissements documentaires (690 bibliothèques), le Sudoc compte plus de 5 millions de notices pour 12 430 000 localisations. Les projets en cours concernent la gestion des thèses électroniques (avec le Cines 6), la création d’un portail documentaire multi-bases (catalogues, signets, documents en texte intégral) et, plus globalement, l’aide à la gestion des ressources électroniques. Le portail devrait être mis en service mi-2004.

Danielle Duclos-Faure (SDBD) fit un point d’information sur la numérisation du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques françaises, publié de 1849 à 1993 et comptant 170 000 notices, très hétérogènes, dont 37 000 en BU. La numérisation, réalisée dans un partenariat DLL- SDBD, se fera dans le format DTD-EAD ; elle devrait faire l’objet d’un appel d’offres en 2003, pour une réalisation de 2003 à 2005.

Enfin, dernier projet exposé, la numérisation rétrospective de revues de sciences humaines. Jean-Émile Tosello-Bancal (SDBD) et Valérie Néouze (SDBD) en présentèrent les objectifs et l’organisation. Dans le domaine des sciences humaines, la dimension rétrospective est très importante, analysa Jean-Émile Tosello-Bancal : les enjeux économiques et scientifiques d’un archivage électronique sont lourds. Il s’agit à la fois de questions de surcoût pour les acheteurs, de dépendance pour les éditeurs, d’accès aux sources pour les chercheurs, etc. Les pratiques actuelles fragilisent la notion de revue comme unité de base au bénéfice de l’article. Devant ces questions et ces dangers, la SDBD a souhaité faire un geste de « manifestation d’intérêt public ». Les modèles économiques possibles de numérisation rétrospective ont été étudiés, et des partenariats noués. L’appel à propositions pour la réalisation d’un portail devait être lancé en mars 2003, pour la numérisation, le transfert en XML, l’hébergement pérenne, la mise en ligne des données et la maintenance du dispositif. Parallèlement, les revues concernées (sept, à titre exploratoire) sont accompagnées dans cette entreprise (expertise juridique, aide à la recherche d’auteurs, aide à la préparation des collections).

Tradition et modernité, papier et numérique furent, une fois encore, les axes de ces riches journées.