L'adolescent, cet inconnu

Marie-Noëlle George

La place des adolescents dans les bibliothèques et la politique de lecture en direction des jeunes devraient être au centre des préoccupations des bibliothécaires dans les prochaines années. On peut déplorer actuellement l’absence de réflexion globale, tant dans la littérature professionnelle qu’au sein des équipes. La question des adolescents renvoie à celle de la médiation, c’est-à-dire avant tout de la relation. Notre relation aux adolescents, en tant que professionnels du livre et de la lecture, nous oblige à repenser notre métier. Nous devons nous démarquer d’une logique d’offre et inscrire les jeunes au cœur des actions même, dans une démarche citoyenne. Ce choix implique des moyens, en personnel et en budget, et suppose que l’on remette en cause la formation, en la centrant sur les publics.

The place of adolescents in libraries and reading policy for young people ought to be at the centre of librarians’ concerns in the next few years. The absence of global thinking is truly deplorable, as much in the professional literature as among staff. The question of adolescents relates back to that of mediation, that is to say, above all, of relationship. Our relationship with adolescents, as book and reading professionals, obliges us to rethink our job. We must stop thinking of ourselves as suppliers, and involve young people at the very heart of actions, in a citizen’s approach. This choice involves resources, in personnel and in budget, and requires a basic review of training, by focusing it on the public.

Der Stellenwert der Jugendlichen in Bibliotheken eingeräumt wird und die Frage einer Lesepolitik für junge Menschen dürfte für Bibliothekare eines der Hauptthemen der nächsten Jahre sein. Der gegenwärtige Mangel an umfassenden Überlegungen sowohl in der Fachliteratur als auch unter Mitarbeitern ist äußerst bedauernswert. Fragen, die Jugendliche betreffen, führen zu Fragen über Vermittlung, d.h. vor allem über zwischenmenschliche Beziehungen. Als Fachleute für Buch und Lesen verpflichtet uns die Beziehung zu Jugendlichen unseren Beruf zu überdenken. Wir müssen uns von einer Angebotslogik lösen und Jugendliche in den Mittelpunkt unserer Tätigkeit stellen. Diese Entscheidung erfordert mehr Personal und mehr finanzielle Mittel und setzt voraus, dass man die Ausbildung überdenkt, indem man sie an der Allgemeinheit orientiert.

El lugar de los adolescentes en las bibliotecas y la política de lectura en dirección de los jóvenes deberían estar en el centro de las preocupaciones de los bibliotecarios durante los próximos años. Se puede deplorar actualmente la ausencia de reflexión global, tanto en la literatura profesional como en el seno de los equipos. La cuestión de los adolescentes remite a aquella de la mediación, es decir ante todo de la relación. Nuestra relación con los adolescentes, en tanto que profesionales del libro y de la lectura, nos obliga a volver a pensar nuestro oficio. Debemos desmarcarnos de una lógica de oferta e inscribir a los jóvenes en el meollo de las acciones mismas, con un enfoque ciudadano. Esta opción implica medios, personal y presupuesto, y supone que se ponga en cuestión la formación, centrándola en los públicos.

Qui n’a pas un jour au gré des rencontres et des débats entre collègues, entendu ces propos : et vous, avec les ados, qu’est-ce que vous faites ? Comment gérer l’incivilité ? Avez-vous des solutions ?… Ainsi sont les jeunes, qu’ils nous renvoient à nos interrogations. Leur agressivité, leur violence, leur différence nous font peur. Leurs comportements décalés (cris, ricanements…) déconcertent et irritent. Comment établir le contact ? Comment leur parler ? Que leur dire ?

Quelles activités, quels services proposer qui soient adaptés à leurs besoins et à leurs pratiques ? Quelle place leur donner pour qu’ils soient reconnus, sans pour autant entraîner des dysfonctionnements au sein des établissements ? Quel choix adopter pour que la cohabitation des publics soit possible ? Nos réponses, elles, s’apparentent souvent à un échange de « recettes » ou à un constat, et reflètent notre impuissance.

La loi du silence

Force est de constater la pauvreté de la littérature professionnelle relative à ce sujet. Peu d’ouvrages, à ma connaissance, ont été consacrés aux adolescents dans les bibliothèques. Des recherches rapides m’ont permis de retrouver un livre publié il y a maintenant cinq ans par la Bibliothèque publique d’information.

Les ouvrages généraux sur les bibliothèques pour la jeunesse évoquent très rapidement la place des adolescents dans leurs espaces, et la mentionnent encore moins dans leur politique d’actions. La plupart des enquêtes réalisées ciblent les lectures des adolescents, mais ne concernent ni les usages des ados, ni les pratiques des professionnels.

Le recueil de l’Ifla est certes un document très complet, qui prend en compte la spécificité de ce public, mais il ne présente pas d’analyse des pratiques, et ne soulève aucun questionnement.

La difficulté à identifier les ados

L’un des premiers constats que l’on peut dresser réside sans doute dans la difficulté à identifier une catégorie d’emprunteurs précise à laquelle on pourrait rattacher les ados. Dans notre société en constante évolution, peut-on véritablement déterminer l’âge de l’entrée dans l’adolescence et celle de son achèvement ? L’Ifla ne donne pas d’âge précis auquel se référer pour parler d’adolescence. Tout au plus peut-on définir une tranche d’âge très large (12-18 ans ?), dans laquelle entreraient les jeunes. Comment, dans ce cas, définir une politique de lecture propre à ce public qui n’a pas vraiment d’âge et oscille entre la puberté et l’état adulte ?

Comment cerner une partie de ce public qui a passé l’âge d’être obligatoirement scolarisé ? Qu’y a-t-il de commun entre un jeune collégien de 13 ans résidant dans une banlieue bourgeoise, un jeune chômeur de 18 ans en foyer, un apprenti cuisinier habitant dans une cité, une jeune musulmane qui poursuit ses études par correspondance ?

Les limites de la sectorisation

La sectorisation des bibliothèques, en espaces bien délimités (adultes-jeunesse pour la plupart d’entre elles), ne permet pas une approche globale de ce public : choix d’ouvrages et animations différenciés selon les secteurs, agencement des espaces peu adaptés… Soit l’ado est affecté à un secteur précis, et, parvenu à un certain âge, change de secteur, soit il circule (avec quelquefois beaucoup de souplesse) entre les différents services. Le manque de transversalité des fonctionnements nuit alors à la cohérence d’ensemble de l’équipement ; et dans beaucoup de cas, la concertation entre les équipes sectorisées ne se fait pas (ou peu). Dans les années 1970-1980, certains équipements ont fait le choix d’un espace différencié et accessible à ce public, animé par un personnel plus « spécialisé », et surtout plus ouvert au dialogue avec les jeunes. Ce choix subsiste encore de nos jours, mais de manière plus réduite. Dans ce cas, le risque revient à marginaliser davantage encore les jeunes. Par ailleurs, l’expérience a démontré que ceux-ci aiment à délimiter eux-mêmes leur territoire, et en viennent souvent à investir un lieu tout autre que celui qui leur a été désigné au départ.

Une absence d’évaluation

Aucune enquête, à notre connaissance, n’a été faite à ce jour permettant de repérer les bibliothèques qui effectueraient des évaluations pertinentes concernant la fréquentation de leur établissement par des ados. La Direction du livre et de la lecture (DLL) nous a formés depuis des années à la collecte des données chiffrées. Celles-ci concernent essentiellement les emprunteurs et les collections. Elles s’appuient sur la sectorisation, fixant le passage de l’état d’emprunteur enfant à celui d’emprunteur adulte à 14 ans. Aucune approche statistique concernant une catégorie d’emprunteurs ados n’apparaît dans le rapport annuel de la DLL. Or, de nombreuses bibliothèques, par manque de temps, limitent leur évaluation à ce rapport. Certains équipements sont dotés d’un logiciel informatique qui permet d’identifier cette catégorie d’emprunteurs. La lecture de ces données chiffrées devient alors très complexe, et rares sont les établissements qui en exploitent toutes les possibilités.

Si les données chiffrées concernant les emprunteurs et les collections sont malgré tout collectées, il n’en est pas de même des activités. Comment évaluer une politique d’animation en direction des ados, si tant est qu’il y en ait une, ou une politique d’accueil ? Tout au plus se contente-t-on bien souvent de noter le nombre de classes ou de groupes accueillis, le nombre de participants à un club de lecteurs ou à un atelier.

Une absence de réflexion globale

Force est de constater dans nos établissements une absence de réflexion globale. La question de la place des adolescents y est appréhendée de manière parcellaire, par un ou plusieurs secteurs, par une ou plusieurs personnes, sans qu’il y ait véritablement une réflexion collective face à des questionnements, sans que soient fixés des objectifs de travail précis par rapport à ce public. Posons-nous les bonnes questions : quelle réflexion menons-nous dans nos équipes ? Quelle politique d’actions avons-nous mise en place ? Avons-nous déjà formalisé l’existant ? Avons-nous mis à plat nos insuffisances ? Avons-nous évoqué à plusieurs les difficultés ? Souhaitons-nous vraiment nous « y coller » ?

Les préoccupations actuelles des bibliothécaires sont évoquées sous deux angles : la difficulté à effectuer, parmi la production éditoriale globale, une sélection de titres susceptibles d’intéresser « ce » public, et la gestion de l’incivilité et de la violence. Comme si la bibliothèque était fréquentée par deux catégories d’adolescents différents : ceux qui lisent, les bons lecteurs, ceux pour lesquels il est nécessaire de proposer des choix. Et les autres, les non-lecteurs, ceux qui viennent à la bibliothèque pour « tout autre chose », sous-entendu pour déranger.

La politique des collections

Nos bibliothécaires, avec une grande conscience professionnelle et dans un souci de rigueur, multiplient les bibliographies générales et thématiques, et consacrent une part importante de leur temps à sélectionner, dans la production éditoriale, des ouvrages susceptibles de répondre aux centres d’intérêt des jeunes. N’avons-nous pas tendance, quelquefois, à effectuer ces choix en fonction de nos goûts et de nos convictions personnelles ? D’une manière générale, n’avons-nous pas tendance à penser pour les jeunes, et à décider pour eux de ce que nous pensons être « une bonne ou mauvaise » lecture ? À quel moment leurs demandes personnelles sont-elles intégrées ? Prenons-nous en compte leurs remarques, leurs suggestions ? En bref, les adolescents sont-ils associés à nos prises de décision ?

N’avons-nous pas tendance également à effectuer des choix en fonction de nos lecteurs ados, c’est-à-dire de ceux que nous connaissons déjà, omettant une catégorie importante : celle qui ne fréquente pas (ou pas encore) la bibliothèque, que ces jeunes soient lecteurs ou non ?

N’avons-nous pas tendance aussi à trop privilégier le livre, en omettant la prégnance de certains supports (disques, vidéos…) peut-être plus adaptés aux pratiques de certains jeunes ? Les discothécaires et les vidéothécaires sont-ils associés au débat sur les choix de documents ? Intègrent-ils les centres d’intérêt des jeunes pour conduire leur politique d’acquisitions ?

La politique d’animation

De la même manière que nous proposons à nos publics ados des sélections d’ouvrages, nous leur proposons également des activités d’animation qui ont pour principal objectif de mettre en valeur ces ouvrages afin de les inciter à lire. Celles-ci, souvent, s’adressent en priorité à des jeunes lecteurs « acquis », curieux et friands de nouveautés, souvent encouragés par leurs parents. Du reste, ces animations sont peu nombreuses et peu diversifiées. Le traditionnel « club de lecteurs ados » est-il encore au goût du jour ? Fait-il encore beaucoup d’adeptes ? Ne revêt-il pas quelquefois un caractère quelque peu scolaire, avec un résultat concret qui s’apparente à un travail scolaire (résumés, fiches de lecture, bibliographies…) ? A-t-on réfléchi à une approche plus ludique de ce que l’on pourrait appeler « l’écriture de critique littéraire », je veux dire par là, l’écriture sur ses propres lectures ?

Les thématiques des animations sont également difficiles à cerner. Les littératures « parallèles » (polar, bande dessinée, science-fiction, fantastique…) restent souvent le genre dominant. Or, les pratiques de lecture de ces genres littéraires d’une part, la production éditoriale d’autre part, ont beaucoup changé ces dernières années. Vouloir travailler avec les jeunes sur ces littératures suppose une connaissance pointue de la production ; par ailleurs, cette démarche cible un nombre restreint d’adolescents, souvent très spécialisés dans un « sous-genre », et très marginaux.

Combien de bibliothécaires intègrent les préoccupations des jeunes dans leur programmation d’animations ? Quelle possibilité leur donnons-nous de participer à l’élaboration des projets ?

Là encore, de quelle manière les discothécaires et les vidéothécaires prennent-ils en compte ce public dans leur choix d’animations ?

La question du multimédia

La question du multimédia doit se situer au centre de nos préoccupations. Certes, les bibliothécaires ont défendu, à raison, l’introduction des nouvelles technologies dans leurs services, voyant par là un bouleversement dans l’accès au savoir et à la connaissance, l’arrivée d’une véritable démocratie culturelle. Mais l’usage d’Internet par les adolescents reste très décevant, et un véritable travail de réflexion sur l’appropriation de l’outil par les jeunes doit être entrepris, qui obligera les bibliothèques à proposer des expériences innovantes dans ce domaine. Actuellement, la plupart des formations proposées aux professionnels concernent l’aspect technique, ou documentaire du multimédia. La dimension récréative et ludique du multimédia est peu prise en compte, la réflexion pédagogique et sociologique est quasi absente.

Comment s’y prendre pour mobiliser des jeunes sur un web-trotter ? Quelles thématiques leur proposer ? Comment leur faire découvrir toutes les potentialités d’Internet ? Beaucoup de nos équipements ont choisi de supprimer les « chats », voire la messagerie électronique.

Si l’on peut comprendre cette option, en raison des difficultés de gestion et des problèmes techniques que ces pratiques occasionnent, l’on peut néanmoins s’interroger. N’y aurait-il pas un usage pédagogique, ou culturel de ces services ? Quel travail mener avec les ados sur ce terrain ? Les bibliothèques opèrent-elles des sélections de sites en direction des ados ? Dans ce cas, comment effectuent-elles leurs choix ? Les communiquent-elles à d’autres collègues, afin que ce travail serve à d’autres, permettant ainsi un gain de temps ?

La question du partenariat se pose là de manière cruciale. Avec quels partenaires, sur un quartier, sur une ville, sur un département, réfléchissons-nous à l’utilisation d’Internet par les ados ? Quelles actions conduisons-nous avec ces partenaires ?

Les relations avec les scolaires

Le terrain privilégié des bibliothécaires reste le collège. Un travail remarquable et de grande qualité est réalisé en direction des adolescents avec les enseignants. Les services proposés – accueils de classes, présentations d’ouvrages, rencontres avec des écrivains… – permettent d’introduire au sein de l’institution une représentation moins scolaire de la lecture. Ils permettent également à la bibliothèque d’acquérir une image plus positive et plus dynamique, et de renouveler son lectorat. Il faut souligner le rôle formateur des bibliothécaires auprès des enseignants, qui donne à ceux-ci une meilleure connaissance de la production éditoriale. Mais il faut reconnaître que le partenariat avec l’Éducation nationale est encore bien insuffisant et les relations entre bibliothécaires et enseignants sont encore trop peu nombreuses.

L’implication de nos structures dans les réseaux REP (Réseau d’éducation prioritaire), et dans d’autres dispositifs, CTL (Contrat temps libre, qui concerne les actions périscolaires ou extrascolaires des 12-18 ans) en particulier, est encore très insuffisante. Peu d’études sérieuses ont été entreprises dans ce domaine et nos bibliothécaires « de terrain » sont peu formés à conduire des partenariats au sein de ces dispositifs.

On peut se poser également la question de l’articulation entre les divers dispositifs et les actions. Dans les grandes villes, la multiplicité des appels à projets en tout genre déconcerte les professionnels, qui ne savent plus comment prendre rang, comment intervenir dans l’élaboration des projets et affirmer leur spécificité. La circulation de l’information reste un problème de fond : combien de nos collègues sont informés, dans leur propre ville, des projets de classe « apac » dont la thématique s’inscrit autour du livre ? Quelles articulations sont faites entre les actions autour du livre conduites par la bibliothèque et celles menées par les collèges ?

Pour en revenir à la violence

La médiathèque est un des rares équipements dans la ville dont l’accès est pratiquement gratuit, ouvert de droit à tout citoyen, quel que soit son âge, son niveau d’étude, sa catégorie socioprofessionnelle, son appartenance culturelle et sociale. En occupant le terrain, les jeunes nous renvoient une réalité de la cité. Celle de ces quartiers, de ces barres d’immeubles où des individus côtoient la violence conjugale et familiale, l’échec, la misère, l’exclusion, et pour certains, le racisme. La réalité de ces quartiers où les jeunes n’ont souvent d’autre avenir que l’ennui et le chômage. Si les jeunes sont violents, c’est d’abord parce que l’environnement dans lequel ils évoluent et grandissent est violent. Leur violence est le témoignage de leur impuissance et de leur souffrance. Il faut également souligner les difficultés d’ordre affectif qu’ils rencontrent (père absent ou malade, famille monoparentale…). Ils n’observent pas les règles élémentaires de la vie de la communauté, ne connaissent pas les lois ou les enfreignent. Leur manque de repère les amène à transgresser l’interdit, à provoquer et agresser. Leur agressivité signe aussi une demande de reconnaissance : les jeunes sont là, vivent, existent et s’expriment, défiant le monde des adultes pour imposer leur propre loi.

Les réactions du public adulte oscillent entre l’incompréhension, le rejet ou la démission. Face à cette situation, deux perspectives s’offrent aux bibliothécaires : exclure les jeunes indésirables ou persévérer dans l’offre. L’exclusion, si elle est prononcée, est très difficile à gérer sur du long terme : comment venir à bout de tous ces jeunes à qui l’on interdit l’entrée de la bibliothèque, pour une durée plus ou moins longue ? De plus, elle signe un échec, que le personnel accepte difficilement. Persévérer dans l’offre revient à masquer un sentiment de culpabilité par un excès d’actions. La bibliothèque se met alors à multiplier les projets, au risque de se voir assimilée à un centre de loisirs. Les actions proposées sont alors perçues comme des activités destinées à « occuper » les jeunes, à les calmer. L’objectif – si tant est qu’il ait été défini – est alors perdu de vue.

L’incivilité, la violence des jeunes, proviennent souvent d’une insuffisance de moyens mis en œuvre par la collectivité : nombre de médiateurs ou d’animateurs sur la ville trop réduit, absence de CLS (Contrat local de sécurité) ou de CCPD (Conseil communal de prévention de la délinquance)… Lorsque ces structures existent, elles sont souvent interpellées pour des faits graves, et les problèmes de discipline rencontrés dans les bibliothèques ne font pas partie de leurs priorités. Là encore, la médiathèque doit s’inscrire dans ces dispositifs, et chercher, avec ses partenaires, des solutions aux problèmes rencontrés. Les partenaires sociaux et éducatifs sont sans doute les meilleurs interlocuteurs. Ils connaissent les jeunes, et peuvent servir de médiateurs, à l’extérieur de nos établissements.

Faire de l’adolescent difficile un citoyen concerné

La meilleure arme contre l’incivilité, et la violence, reste encore l’accès à la création. Leur permettre de révéler leurs capacités créatrices, de découvrir leur monde imaginaire, et proposer une valorisation de cette expression sont, sans aucun doute, le meilleur moyen de canaliser la violence des jeunes, et de la traduire au travers d’une démarche positive et constructive. Les ateliers de « pratiques artistiques » quels qu’ils soient (écriture, conte, théâtre, calligraphie, bandes dessinées…), dans la mesure où ils inscrivent les jeunes au cœur des actions, sont les lieux d’une véritable démarche d’intégration de ces jeunes à la vie de la collectivité. En faisant appel à des intervenants extérieurs compétents et qualifiés, ces ateliers remettent en cause la place et le rôle des professionnels dans les projets.

Ceux-ci deviennent alors des « concepteurs » et des « accompagnateurs » de projets. Évolution quelquefois douloureuse pour certains de nos collègues, qui se sentent alors dépossédés de leurs animations. Cependant, pour être positive et constructive, cette politique doit s’inscrire dans la durée, et implique un travail en partenariat avec d’autres structures.

Ainsi, la première mission de la bibliothèque ne serait-elle pas la médiation ? Repenser la relation avec les jeunes, prendre du temps pour mieux les connaître et les comprendre, établir le dialogue, leur proposer un lieu et un moyen d’expression, sont bien là des missions de médiation qu’il nous faut intégrer. La bibliothèque devient ainsi un lieu de médiation, où se crée du lien entre les diverses catégories d’habitants. Les professionnels sont démunis devant l’ampleur de la tâche et en nombre bien insuffisant.

Réviser nos objectifs

En tant que bibliothécaires, nous devons nous interroger sur nos pratiques professionnelles. Ne répondons-nous pas actuellement à une logique d’offre, qui ne laisse pas suffisamment de place au citoyen et ne le met pas au cœur des actions ?

Sans doute, devons nous poser la question suivante : notre mission est-elle seulement de « faire lire » à tout prix ? Notre mission n’est-elle pas d’abord de permettre à tout citoyen, et en particulier les plus marginalisés et les plus éloignés de toute démarche culturelle, de s’inscrire dans la vie de la collectivité, et plus particulièrement la vie culturelle de la collectivité ?

Il est étonnant de constater, de-puis quelques années, combien nous sommes emmêlés dans nos contradictions. Combien, d’une part, nous sommes attachés à l’introduction des nouvelles technologies et des nouveaux supports dans nos équipements, et comment, d’autre part, nous continuons à parler de « politique de la lecture », de « développement de la lecture ». Comme si nos bibliothèques ne contenaient que des livres sur leurs rayons.

La notion d’adolescent nous renvoie à la notion de public. Il n’y a pas un public, mais des publics. De la même manière, il n’y a pas un public ado, mais des publics ados. Ceux-ci doivent être approchés dans leur diversité et leurs particularités. Nos collections et nos animations doivent prendre en compte cette pluralité et cette diversité. Nos actions doivent ensuite être intégrées dans une démarche globale, qui implique : travail en équipe, transversalité, démocratisation, partenariat.

Une véritable prise en compte des publics adolescents dans nos bibliothèques ne pourra se faire sans une remise en cause de la formation des personnels, qui insisterait sur de nouvelles compétences, en particulier des capacités à développer la relation avec les jeunes, à élaborer des projets et à les conduire en partenariat. Ces nouvelles compétences nous obligent également à mieux connaître notre « territoire » d’intervention et les réseaux qui le constituent.

Elle ne pourra également se faire sans l’embauche de personnels davantage formés et aptes à affronter les difficultés.

Le développement d’une véritable politique de la lecture en direction des publics adolescents nécessite des moyens humains et financiers. Elle implique une réflexion globale des équipes au niveau des établissements, mais également des professionnels au niveau d’un département ou d’une région. Elle suppose un réel engagement des pouvoirs publics. Il reste encore fort à faire pour convaincre nos élus d’impulser une dynamique culturelle dans leur ville, qui donnerait à la jeunesse une place à part entière, loin des discours sécuritaires ou moralisateurs.

Il n’y a pas de solution idéale, car il n’y a pas de société idéale, et ce qui se passe dans nos établissements n’est que le micro-reflet de ce qui se passe dans notre société.

Février 2003

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Atelier Le chant du monde. © Médiathèque de Bron.

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Atelier bande dessinée. © Médiathèque de Bron.

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Bron, trois projets / trois publics

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L’atelier Le chant du monde « Un atelier alliant écriture poétique, calligraphie…» © Médiathèque de Bron.