Un café littéraire au lycée Carcouët à Nantes

Jean-Marc Dubranna

Le projet de café littéraire est né au lycée Carcouët parce que cet établissement forme des élèves dans un large éventail de sections : littéraire, économique et sociale, scientifique, technologique tertiaire, et les accompagne ensuite comme étudiants dans des brevets de techniciens supérieurs en tourisme, commerce international, informatique et gestion, etc. Ce public est donc accoutumé à se confronter à la problématique de la communication et pas seulement à celle de l’acquisition de savoirs.

Dans cette logique, un groupe d’élèves de terminale littéraire/technologique était, avec un de mes collègues, Frédéric Palierne, passionnément et brillamment engagé cet automne dans l’opération le Goncourt des lycéens.

Nouvellement arrivé dans l’établissement – et après quelques années comme directeur de l’Alliance française de Saõ Paulo, en charge de faire partager à nos amis brésiliens le plaisir de la littérature française –, il m’est apparu qu’il y avait à Nantes, et au lycée Carcouët en particulier, urgence à réaffirmer le plaisir de lire les textes d’auteurs. Lire, c’est-à-dire entrer en connivence et parler avec d’autres lecteurs. C’était là l’espace du café littéraire. La lecture pour le plaisir. Le plaisir d’avoir lu. L’expérience échangée. L’émotion partagée.

Notre travail au quotidien, en milieu scolaire, fait de la lecture une obligation et un outil. Et c’est bien utile car nous sommes tous convaincus qu’il n’est pas de transmission de la pensée ni d’ouverture à la pensée de l’autre sans un pouvoir linguistique maîtrisé. Dans ce pouvoir, nous savons en outre que se trouve la capacité de prise de distance qui permet la réflexion et l’analyse. Seulement, il n’y a plus guère de temps pour une pratique « liseuse » gratuite ; comme diraient nos amis anglais, just for fun.

Or nos élèves des classes de première sont nombreux à manifester un dynamisme et une personnalité qu’on dénie souvent aux gens de leur âge. Quand ils lisent un livre, comme quand ils voient un film ou un spectacle, ils ont à nous dire des choses fortes et qui méritent d’être entendues.

Nous leur avons donc proposé de se frotter aux textes sans entraves, dans l’esprit de leurs précurseurs des salons et cafés du siècle des Lumières, ces lieux où l’on se rencontrait pour échanger, mener des débats d’idées et aborder les questions du temps. Où l’on se faisait apprécier par le brillant de sa conversation et la vivacité de son esprit ; parfois aussi pour l’audace de ses idées. C’est, nous paraît-il, jouer notre rôle de formateurs de citoyens.

Le chef d’établissement s’est engagé dans ce projet et s’est employé pour y associer les relais naturels que sont les distributeurs ; et la Fnac de Nantes, par l’intermédiaire de Patricia Bittmann, responsable du Service communication, s’est montrée immédiatement enthousiaste. Nous nous sommes rencontrés pour définir les formes d’une collaboration durable. Nous bénéficions de son appui pour fournir – avant chaque tenue de nos cafés – une série d’exemplaires de l’œuvre qui fait l’objet de l’échange, ce qui facilite sa lecture par nos participants et enrichit le fonds du lycée ; nous sommes convenus que parfois des auteurs, que ce distributeur invite pour des opérations promotionnelles, seront invités à participer à nos rencontres au cours desquelles une de leurs œuvres pourrait être en discussion.

De façon concrète, un espace convivial est aménagé dans la cafétéria du lycée, à la fois chaleureux (consommations offertes) et confortable (fauteuils, chaises, tabourets, tables) mais libre (on peut s’y tenir assis, debout, se déplacer, rester appuyé aux murs, assis au sol). Libre aussi dans le propos. Il faut seulement avoir lu l’œuvre du jour et être désireux de prendre la parole ou d’écouter celle des autres pour se dire, s’opposer, critiquer, se passionner. Le professeur (ou l’élève) désigné comme « modérateur » se charge de veiller à ce qu’on ne prenne pas à partie personnellement un autre participant mais seulement l’opinion qu’il exprime. Les élèves expérimentent ainsi la légitimité de leur parole sur et avec le livre, alors qu’elle leur a si souvent été confisquée.

Avec l’esprit de Daniel Pennac quand il revendique les droits du lecteur : celui de sauter des pages, celui de tout lire, celui de ne pas aimer, celui de ne pas lire, celui de relire, etc.

Nos collègues professeurs documentalistes, qui impulsent de nombreuses actions, dont un défi lecture interne au lycée et commun avec un collège voisin, relaient l’initiative de ce café littéraire et assurent le prêt des exemplaires mis à disposition tout en stimulant les appétits des lecteurs. De même, les professeurs de français se font les diffuseurs auprès de leurs élèves en les incitant à saisir cette occasion de « consommer » de la littérature par plaisir, puisqu’il n’y a pas d’évaluation ni d’obligation. L’intention est d’ailleurs que le choix de l’œuvre soit le plus souvent possible à la fois celui des élèves et des animateurs ; ainsi se garantit la motivation des uns et des autres et l’adaptation du choix aux curiosités des intéressés.

Nous avons commencé par L’amant de Marguerite Duras. Sylvie Germain, Ozamu Dazai, Eric Pessan, Arto Paasilinna, Jean Rouault, Herbjorg Wassmo, entre autres… nous attendent.

Voilà, brièvement résumé, l’esprit de cette démarche.

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Café littéraire au lycée Carcouët à Nantes. © DR