Le droit d'auteur
l'idéologie et le système
Thomas Paris
L’ouvrage de Thomas Paris est issu d’une thèse de sciences sociales et relève des sciences de la gestion bien plus que du droit proprement dit. Il n’en pose pas moins des questions essentielles quant à l’évolution de la doctrine en matière de propriété intellectuelle, en montrant précisément les limites d’une approche strictement juridique dans un secteur bouleversé par les nouveaux modes de consommation des œuvres.
Au fil de trois parties solidement articulées entre elles, le livre développe une confrontation entre l’idéologie (« le mythe de l’auteur romantique ») et le système à l’œuvre, pour dégager une « dynamique » du droit d’auteur fondée sur la résolution des conflits d’intérêts et la mise en place de régulations gestionnaires.
Esquisse d’un système fondé sur la régulation pratique
Comme l’écrit dans sa préface Jean-Daniel Reynaud, « le juriste le plus attaché à l’analyse en doctrine reconnaîtrait qu’un droit est peu de chose si l’on ne précise pas les moyens de le faire valoir. Ici, l’appareillage de recouvrement, le plus souvent collectif, tient une place si importante qu’il contribue à définir dans la pratique les principes mêmes du droit. » Tirant toutes les conséquences de ce constat, l’auteur s’attache à un examen attentif des pratiques, des contrats, du fonctionnement des sociétés de gestion collective, de tout cet « appareillage » en somme, pour en tirer non une vérification de la bonne application des principes énoncés par la loi, mais l’esquisse d’un système fondé sur la régulation pratique. C’est d’ailleurs en s’appuyant sur une véritable théorie de la régulation sociale qu’il fonde l’ensemble de son approche, passant à ce crible à la fois la critique des principes juridiques, l’approche historique et l’analyse des évolutions les plus récentes.
De ce point de vue, si l’ouvrage est susceptible d’apporter beaucoup à la recherche en sciences de la gestion appliquées à ces échanges très particuliers de la propriété intellectuelle, essentiellement fondés sur des biens immatériels dans leur essence (la création), il ne laissera pas de surprendre, voire de susciter la réprobation chez les théoriciens classiques du droit d’auteur. Non en raison de sa méthode d’analyse (examiner la pratique réelle pour vérifier la validité des principes et la qualité de la relation de causalité entre la règle énoncée et les régulations effectives est une démarche éminemment logique), que par une mise en cause des principes mêmes dont est issue la règle juridique – en l’occurrence un droit de propriété quasi absolu accordé au créateur sur sa création.
Si l’on s’attache par exemple à l’approche historique, voici ce qu’en écrit Thomas Paris : « Le droit d’auteur n’a pas été construit en réponse à des principes mais il s’est construit comme une réponse à des problèmes de gestion qui ont évolué en fonction des modifications technologiques de diffusion des œuvres. À l’origine du droit d’auteur tout au moins, la technologie apparaît comme le facteur le plus structurant » (p. 102). On peut contester une telle affirmation, tout en reconnaissant que depuis deux siècles le droit d’auteur, dans sa construction en tant que droit positif, s’est essentiellement appuyé sur l’existence de supports matériels des œuvres. Mais comment faire autrement, quand la propriété à défendre est définie à l’origine comme « incorporelle » ? L’auteur, prévoyant les objections, a pris les devants, en déployant dès l’introduction, dans une « prosopopée » aussi drôle qu’éclairante, l’abîme qui sépare la vision quasi mythique de la création sur quoi repose l’ensemble du dispositif juridique depuis la Révolution, et la mise en pratique de la gestion des biens qui en a découlé.
On voit que la thèse, qui ne se contente pas de déporter la question de l’évolution du droit d’auteur vers les mécanismes de régulation de la gestion, mais interroge les fondements mêmes d’un droit personnel toujours susceptible d’être remis en cause par l’utilisateur, est soutenue jusque dans ses conséquences ultimes. C’est d’ailleurs, nous semble-t-il, tout son mérite et tout son intérêt, en ce qu’elle invite à une réflexion salutaire.
Un certain manque de rigueur
Tout en accordant ce crédit à un travail très approfondi, on ne manquera pas cependant de regretter un certain manque de clarté dans l’énonciation, quelques approximations, quelques maladresses, qui en rendent la lecture parfois un peu laborieuse. Plus sérieusement, la radicalité de la thèse conduit plusieurs fois l’auteur à solliciter les textes, voire à soutenir des contre-vérités : prétendre ainsi (p. 127) que la notion d’originalité, pilier de la protection des œuvres, ne figure pas dans le Code de la propriété intellectuelle, est absurde : l’originalité, entendue comme l’« empreinte de la personnalité de l’auteur », a été définie clairement par la jurisprudence, à partir des dispositions de l’article L112-1 censurant l’analyse par le mérite, la forme d’expression, le genre ou la destination, et découle logiquement du caractère des droits attribués, essentiellement liés à la personne. Il importe peu, dès lors, que le mot ne figure pas dans le texte : il n’en est pas moins, comme la lettre volée de Poe, bien en évidence au milieu de la cheminée !
Enfin, il est dommage que l’auteur, qui a mené sa recherche, semble-t-il, au milieu des années 1990, n’ait que très partiellement mis à jour sa bibliographie. Dans ce domaine à l’évolution si rapide, à l’exception des spécialistes qui ont besoin de recourir à des références anciennes, les lecteurs moins avertis ont droit aux références les plus récentes.