Le moyen Âge en lumière
manuscrits enluminés des bibliothèques de France
Le Moyen Âge se porte bien, en cette année 2002. Conséquence tardive du changement de millénaire ou reprise d’une veine de vulgarisation historique, il est à la mode éditoriale. Le Dictionnaire du Moyen Âge (Presses universitaires de France), le recueil de travaux de Georges Duby, le Moyen Âge comme thème du mois du patrimoine écrit, et, maintenant, ce qui se veut le couronnement de cette entreprise multiple : ce Moyen Âge en lumière.
Ouvrage magnifique, gros ouvrage (400 pages), ouvrage cher, ouvrage très illustré (environ 500 miniatures) : les superlatifs ont fleuri dans la presse tout l’automne, ce volume ayant habilement été mis en vente avant les fêtes. Plutôt que d’y revenir, avec quelque retard, examinons ici deux questions : quelle aventure scientifique pour permettre cette entreprise éditoriale ? Quel public pour ce beau-gros livre ?
L’entreprise scientifique commence en 1979, lorsque la Direction du livre confie à l’Institut d’histoire et de recherche des textes (IRHT) le soin de photographier le corpus des manuscrits médiévaux conservés par les bibliothèques municipales – en 1992, l’Institut reçut la même mission, de la part du ministère de l’Éducation nationale, pour les manuscrits conservés par les bibliothèques universitaires. En effet, avec la (re)découverte du patrimoine écrit, dans les années 1970 et 1980 (on se souvient, par exemple, du rapport Desgraves en 1982, ou des journées patrimoniales d’Arc-et-Senans en 1987), on reprit peu à peu conscience de la richesse des fonds des bibliothèques municipales : Jacques Dalarun, directeur de l’IRHT et coordinateur de cet ouvrage, rappelle ainsi qu’il se trouve environ 50 000 manuscrits antérieurs à 1500 dans les bibliothèques publiques, dont la moitié environ dans les bibliothèques municipales – 219 d’entre elles conservent des manuscrits médiévaux, soit un nombre bien plus important que les 54 bibliothèques « classées ». Les bibliothèques municipales, à elles toutes, « constituent l’autre Bibliothèque nationale de France », elles en forment « le complément et comme le contre-type, le contre-chant », écrit Jacques Dalarun. Sur un corpus estimé à 300 000 enluminures, aujourd’hui environ 80 000 ont été photographiées et, peu à peu, numérisées – on les trouve dans la base Enluminures, sur le site du ministère de la Culture. Avec l’aide de la Fondation CIC pour le livre (déjà mécène de l’opération « Patrimoine des bibliothèques de France »), ce corpus fait donc aujourd’hui l’objet d’une « publication », au sens de « rendre public », par le biais de cet ouvrage imprimé et d’un cédérom.
Quel est le public visé ? Il s’agit, écrit Jean-Sébastien Dupuit dans sa préface, à la fois d’offrir un « instrument au service de la recherche la plus exigeante » et de « faciliter l’accès du plus grand nombre à la culture ». Cette double ambition, à vrai dire, semble difficile à atteindre conjointement. La politique commerciale et promotionnelle autour de ce livre a été clairement menée à destination du grand public – le BBF, par exemple, ne put en obtenir de service de presse, l’exemplaire utilisé pour cette critique ayant été obligeamment fourni par la DLL –, comme la date de mise en vente et le prix promotionnel jusqu’au 31 janvier le confirment. Inversement, le texte semble avoir été écrit pour des spécialistes. Un glossaire est grossièrement disponible à la fin de l’ouvrage, dans l’annexe « l’envers du décor » : je dis grossièrement, d’une part, parce qu’il n’est pas classé par ordre alphabétique, d’autre part, parce que tous les mots problématiques n’y figurent pas, enfin, parce qu’il n’y a pas de renvoi au regard des mots difficiles – on peut pourtant bien penser que des termes comme « la minuscule caroline », l’explicit, le pied-de-mouche, « la germination des littératures vernaculaires » ou « la notation musicale neumatique » ne sont pas forcément accessibles à tous les amateurs de « beaux livres », ceux qu’on offre à Noël.
Pourtant, il est possible de faire beau sans jargonner – comme le montrent régulièrement les catalogues d’expositions que les bibliothèques produisent, par exemple (exemple collectif pour ne pas faire de jaloux) ces Fastes de l’écrit, publiés par Interbibly en 1991. Mais ne boudons pas notre plaisir et regardons l’arche de Noë, l’arbre de Jessé, Anne emmenant Marie à l’école, un éléphant (dessiné par des « imagiers qui ne l’ont jamais vu »), la tonte des moutons, un homme parlant aux animaux, un enfant nu poussant un trotte-bébé, et, mon enluminure préférée, un lapin jouant de la cornemuse.