Le lecteur
Initialement consacrée à des concepts philosophiques, la collection Corpus s’ouvre aux notions de théorie littéraire. Son principe est d’offrir une anthologie commentée regroupant des extraits de textes théoriques (parfois inédits en français) et de textes littéraires 1 illustrant un concept. Une longue introduction (ici 35 pages) expose une problématique sur la notion proposée. L’ouvrage se clôt sur un vade-mecum 2 qui rassemble une série de définitions corrélées, suivi d’une bibliographie, commentée elle aussi. La vocation de la collection est d’amener l’étudiant, premier destinataire, aux textes originaux et de permettre aux enseignants une utilisation en cours. Après L’auteur et La fiction en 2001, L’intertextualité, La mimèsis et Le tragique en 2002, voici un nouveau titre consacré au lecteur.
Dans son introduction, Nathalie Piégay-Gros, maître de conférences à l’université Paris VII, remarque que la littérature ne peut plus être abordée en considérant la seule autonomie du texte, coupée de sa lecture. « Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la théorie littéraire a “inventé” le lecteur en faisant de lui l’instigateur du texte et de la signification littéraires », à tel point que Roland Barthes a pu écrire que « la naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’Auteur ». Elle s’inscrit dans l’héritage proustien : le prolongement de la lecture, c’est l’écriture, et réciproquement. Cependant, le lecteur « réel » a été le grand absent des études littéraires : elles lui ont préféré le double du narrateur, le destinataire du récit ou narrataire. La lecture des personnages de fiction permet de « saisir l’autobiographe au miroir de ses lectures » et ainsi de « découvrir […] la généalogie d’un individu et la genèse d’une œuvre ».
N. Piégay-Gros aborde aussi l’aspect historique de la notion. Si le livre est aujourd’hui considéré comme le produit du lecteur, la relation a souvent été inverse : le lecteur est le produit du livre. C’était la conception et l’ambition des Lumières. Le livre peut modifier, voire réformer, le lecteur. Depuis l’Antiquité, la lecture est considérée comme le lieu d’une expérience morale, même si elle a aussi été longtemps objet de suspicion : le lecteur risque la confusion entre la réalité et la fiction.
Dans la partie anthologie, les textes sont répartis en cinq chapitres qui développent les arguments de l’introduction : « Liberté ou contrainte du lecteur » ; « Portrait du personnage en lecteur » ; « L’enfance de la lecture » (8 pages seulement) ; « La mise en scène du narrataire » ; « La sagesse du lecteur ».
On pourra formuler un regret, inhérent à ce genre de recueil à vocation scolaire : le commentaire prend toujours le pas sur les textes.
Gageons que la prochaine édition fera une place aux nouvelles caractéristiques de la lecture, même littéraire, à l’ère de l’information électronique…