Dictionnaire encyclopédique du livre
Tome 1, A-D
Le registre politique
Soumettre un dictionnaire encyclopédique à un examen thématique conduit à apprécier à la fois les contributions des différents auteurs et le travail de l’éditeur, qui propose les entrées, l’organisation des notices, cherche et choisit les intervenants, coordonne leur travail.
Pour rendre compte du thème « politique des bibliothèques », on a étudié et comparé les articles disponibles relatifs à la « bibliothèque » et à ses différentes déclinaisons, les articles qui présentent le système politico-administratif (centralisation, décentralisation, structures administratives des bibliothèques) et ceux qui sont consacrés aux métiers.
Il faut souligner d’emblée l’ampleur et la solidité du travail. Les entrées sont très nombreuses, spécialement pour le premier point examiné. L’espace accordé aux notices est important, plus important qu’il ne l’était dans le seul prédécesseur français, le Dictionnaire encyclopédique de l’information et de la documentation, publié par Nathan en 1997. Cependant, le poids relatif des notices n’est pas toujours intelligible et on attendrait des notices encore plus longues pour des sujets principaux. Cela dit, le Dictionnaire encyclopédique du livre a fait appel à des experts des bibliothèques, qui ont une pratique directe de la question traitée et qui montrent une grande capacité de synthèse. Tous les articles cités sont bien informés, aussi à jour que le permet une entreprise de longue haleine, solidement argumentés. Les remarques proposées touchent aux détails et à l’articulation des notices.
Bibliothèques
L’ensemble « bibliothèques » est d’une extraordinaire abondance. On trouvera tout d’abord un article chapeau sur la « bibliothèque ». Il a pour objectif de rendre intelligibles en quelques pages les tensions que recouvre l’institution. Or elles sont nombreuses : tensions sur la définition de la collection, sur la relation entre le passé et l’actualité. Comme la bibliothèque est un lieu de pouvoir, ses responsables ont longtemps choisi entre des légitimités concurrentes (accent sur la collection, accent sur les attentes du lecteur). Le lieu bibliothèque donne sens à la collection. Les rapports entre savoir et éthique traversent l’histoire des bibliothèques… Ce tableau est habilement brossé, alors que l’exercice est particulièrement difficile. En effet, le vocabulaire du métier en France conduit à une approche « institutionnelle ». Dans un ouvrage anglo-saxon, le chapeau équivalent serait probablement « Librarianship, Philosophy of », ce qui permet de traiter plus facilement des responsabilités des bibliothécaires, des modèles retenus, de la position des bibliothèques et des bibliothécaires dans la société, dans la culture et dans le système de communication français.
Il importe de décrire la multiplicité d’entrées qui donnent accès à une très riche information sur les bibliothèques. Des articles correspondent aux définitions administratives, sans omission : « bibliothèques nationales », « bibliothèque publique », « bibliothèque municipale », « bibliothèque départementale de prêt », « bibliothèque universitaire » et « bibliothèque interuniversitaire », « bibliothèque centre documentaire » d’école (BCD), « centre de documentation et d’information » de collège ou de lycée (CDI). Et on peut également recourir au dictionnaire pour faire le point sur les « bibliothèques françaises à l’étranger », les « bibliothèques de comités d’entreprise », les « bibliothèques d’hôpitaux » ou « de prison », les « bibliothèques de rue ». Des ensembles thématiques plus ou moins homogènes sont également décrits : « bibliothèque administrative », « bibliothèque de recherche », « bibliothèques spécialisées », ou « bibliothèques privées », « bibliothèques religieuses »… Les secteurs spécialisés sont aussi présentés de manière développée (« artothèque », « bibliothèques pour enfants », « discothèque »). D’autres articles sont historiques (« bibliothèques populaires », « bibliothèques scolaires »). Mais en décrivant des expériences achevées, ils éclairent le présent. Ainsi les bibliothèques scolaires n’ont pas engendré les BCD ou CDI, et n’ont de lien que par réaction avec les bibliothèques pour enfants. Précédé par un article « bibliothèque électronique », l’article « bibliothèque virtuelle » traite enfin de la déréalisation de la bibliothèque et de ses conséquences.
Mais tout cela ne couvre qu’une partie des richesses offertes. Les notices monographiques, consacrées à une bibliothèque, foisonnent. Il faut être attentif à la diversité des entrées : le nom des bibliothèques (« Bibliothèque nationale de France », « Bibliothèque publique d’information », mais aussi Bibliothèque « Cujas » ou « Bibliothèque Sainte-Geneviève »…), le nom de l’établissement nourricier (« CNAM, bibliothèque »…), ou encore la ville site (« Bordeaux, bibliothèque municipale », « bibliothèque universitaire »…).
Si l’axe principal du dictionnaire est français, la place donnée aux bibliothèques étrangères est notable. On trouve des notices par bibliothèque, mais aussi par pays (du type : « Allemagne, bibliothèques »). Le champ géographique ne s’arrête pas à l’Europe et à l’Amérique, mais couvre aussi l’Afrique anglophone et francophone ou la Chine. Parallèlement, les notices par type de bibliothèque ont généralement fait référence aux modèles étrangers dont la France s’est inspirée.
Cette offre considérable fait du présent dictionnaire le premier outil à consulter pour trouver une information sur les bibliothèques. Et la plupart des notices s’appuient sur une bibliographie, donnée par article en fin de volume.
Lorsqu’on parle d’abondance, il s’agit de savoir si elle est maîtrisée. C’est très largement le cas. Sans doute pourra-t-on regretter tel ordre de présentation ou l’absence de telle entrée, par ville ou par bibliothèque (sous réserve que des sources suffisantes existent, ce qui n’est pas toujours le cas pour les bibliothèques universitaires de province).
Mais, de notre point de vue, c’est la liberté d’organisation des principales notices qui peut appeler une réserve. Lorsque beaucoup d’articles ont un dénominateur commun, le lecteur peut être guidé par un cadre commun. C’était le parti de la World Encyclopedia of Library and Information Services de l’American Library Association, à laquelle on ne peut s’empêcher de penser quand on lit les articles présentant les bibliothèques par types et par pays. Dans cette encyclopédie américaine, les grands types de bibliothèque sont décrits dans un cadre préfixé (définition et objectifs, services, collections, administration et finances, évaluation, coopération, problèmes et enjeux). Ici, après la définition et l’historique, chaque auteur semble libre de son plan. Cela fournit des exposés certainement plus personnels et plus démonstratifs, dont beaucoup sont complets. Mais quelques-uns font l’économie des repères statistiques, ou ne signalent pas leur absence, par exemple pour les BCD et CDI – groupe quantitativement considérable. Du coup, l’accent devient historique et institutionnel. Suivant le tempérament des auteurs, le dictionnaire souligne plus ou moins les enjeux et les lacunes. Quant aux évolutions techniques et à la manière dont elles touchent les différents types de bibliothèque, c’est un sujet souvent traité de manière rapide, avec des exceptions notables (« bibliothèques pour enfants », « CDI »).
Comme les notices sont riches, le lecteur devient exigeant et exprime quelques regrets ponctuels. Ainsi feue la Commission de coordination de la documentation administrative (CCDA) n’est pas évoquée à propos des bibliothèques de ce champ, dont elle s’efforçait de compenser la fragilité. Cependant, une des enquêtes de la CCDA figure en bibliographie. L’article sur les « bibliothèques pour enfants », pourtant fort bien documenté, cite des centres locaux mais fait l’impasse sur les associations de promotion de la lecture de jeunesse autres que l’Heure Joyeuse et la Joie par les livres : Loisirs-jeunes, Centre régional d’Aquitaine du livre, de la lecture et de la littérature d’enfance et de jeunesse (Cralej), Centre de recherche et d’information sur le livre de jeunesse (Crilj), ou encore Promolej (Promotion de la lecture et de l’écriture des jeunes). Il fait état de « Données 98 » un peu hermétiques pour les non-professionnels. En ce qui concerne les discothèques françaises, celles-ci sont bien situées au plan international et l’auteur évoque à juste titre l’élargissement du concept au profit de celui de médiathèque musicale. Mais l’historique aurait gagné à décrire plus en détail la diffusion dans les bibliothèques publiques provinciales du modèle parisien de la Discothèque de France. En 1972, celle-ci n’avait que 102 correspondants (10 maisons de la culture, 28 comités d’entreprise, 33 bibliothèques municipales et 31 divers)…
Organisation
Des remarques différentes viennent sous la plume, après la lecture des articles consacrés à l’organisation administrative : « centralisation », « décentralisation », « Direction des bibliothèques et de la lecture publique » (DBLP), « Direction du livre et de la lecture » (DLL), « coopération entre bibliothèques », « Conseil supérieur des bibliothèques », « Charte des bibliothèques »…
En fait, « centralisation » et « décentralisation » ne se répondent pas. Après une brève évocation de la centralisation administrative, l’article « centralisation » est une analyse sur la longue durée de la centralisation de l’imprimerie et de l’édition en France. L’article « décentralisation » couvre en revanche tout le champ administratif (acteurs anciens et nouveaux, textes) et procède à une analyse critique et à un bilan de la décentralisation pour les bibliothèques.
Les articles consacrés aux deux directions, DBLP et DLL, sont solidement construits. Ils font preuve d’une grande hauteur de vue et donnent une information fort riche. Pour la période de la DBLP, on aurait seulement souhaité (comme témoin) que soit encore plus souligné l’intérêt personnel d’Étienne Dennery pour le développement de la lecture publique et le soutien inlassable qu’il a apporté à la création de la Bibliothèque publique d’information. Sans doute la taille de l’article interdisait-elle d’évoquer des actions telles que l’ouverture de la bibliothèque-pilote de Massy.
L’intérêt de l’article DLL appelle un pendant du côté de l’Éducation nationale. Figurera-t-il dans le dictionnaire ? On n’a pas trouvé de notice ou de renvoi concernant l’organisation administrative des bibliothèques de l’enseignement supérieur après 1975. Certes, les structures de ce ministère ont été fréquemment modifiées. Mais, si cette absence est confirmée, ce serait une vraie lacune dans la présentation des bibliothèques. L’action de la Direction des bibliothèques, des musées et de l’information scientifique et technique (DBMIST) pour la modernisation des bibliothèques universitaires et le rôle personnel de Denis Varloot seraient occultés. La transformation du cadre documentaire de l’enseignement supérieur (loi de 1984 et ses textes d’application, contractualisation, plans d’équipement), le rapport Miquel, le cadre de gestion du personnel d’État devraient être trouvés au fil d’autres notices.
Ce problème ne concerne pas l’article « coopération entre bibliothèques », qui fait place à tous les acteurs : la Bibliothèque nationale, les bibliothèques universitaires (et leur tutelle), les bibliothèques publiques (et la DLL). Une réserve cependant. On ne peut attribuer la réalisation du catalogue collectif national des périodiques à la Bibliothèque nationale, à travers le produit Myriade. Ce catalogue est issu d’une longue action de la DBMIST, démultipliant l’apport de la BN (l’inventaire permanent des périodiques étrangers en cours, IPPEC) et celui des grands catalogues régionaux automatisés créés par des BU.
En publiant des articles « Charte des bibliothèques » et « Conseil supérieur des bibliothèques », le dictionnaire salue justement l’activité remarquable de ce conseil. On forme des vœux pour que cette instance indispensable soit réactivée.
Professions ou ensemble de métiers ?
Plusieurs articles doivent être lus à la suite. « Bibliothécaire » est à la fois l’intitulé le plus fréquent d’un ensemble de métiers et un grade. Dans l’article correspondant est brossé un vaste tableau : définition, historique, formation, déclinaisons fonctionnelles et sectorielles, avec des interrogations sur l’unité du métier et ses légitimités. Ce cadre général est complété par la définition actuelle des bibliothécaires statutaires et, plus loin, par un article consacré au « conservateur » – article historique, qui indique comment le terme de conservateur est apparu et s’est diffusé, jusqu’aux statuts récents, qui ont homogénéisé la situation des personnels d’État et territoriaux. C’est une approche un peu complexe et on peut penser que l’éventail bibliothécaire est encore plus large, du conservateur général aux personnels techniques, du fonctionnaire au bénévole.
L’article « documentaliste » constitue le pendant de l’article « bibliothécaire ». Il couvre également et parallèlement un champ très vaste, qui va des missions et compétences au milieu associatif et aux partenaires, en passant par les formations et statuts. En revanche, l’article « archiviste » est très limité.
Ces entrées évoquent des métiers ou des corps. L’article « déontologie » introduit une nouvelle perspective. Il présente les règles qui doivent régir les professions de l’information (archivistes, bibliothécaires et documentalistes). La profession est une notion différente, dont les caractéristiques propres ne sont pas débattues ici. Les instances professionnelles dont émanent les règles déontologiques ne sont pas précisées.
D’autres attentes peuvent rester insatisfaites. Tel article comporte des données statistiques, tel autre non. Un seul fait référence à l’étranger. Lacune impardonnable dans d’autres pays, le lecteur ne saura pas si les femmes ont pris le pouvoir dans les bibliothèques et les centres de documentation français.
Au titre des observations de détail, peut-on dire qu’il n’y avait pas de corps des conservateurs dans les bibliothèques de l’État avant 1992 ? Le titre 1er du décret du 31 décembre 1969 portait statut d’un tel corps.