Dictionnaire encyclopédique du livre
Tome 1, A-D
Après la grande Histoire de l’édition française (4 volumes, 1982-1986) et la grande Histoire des bibliothèques françaises (4 volumes, 1989-1992), les Éditions du Cercle de la Librairie entament une troisième aventure éditoriale avec ce Dictionnaire encyclopédique du livre dont le premier tome vient de sortir. C’est avec un dispositif un peu particulier que le BBF veut saluer cette entreprise : nos lecteurs trouveront donc ici, d’une part, les critiques de quatre lecteurs (Anne-Marie Bertrand, Denis Pallier, Hélène Richard et François Rouet) et, d’autre part, un entretien avec Martine Poulain, l’une des responsables de cet ouvrage.
Un défi scientifique et éditorial
Ce Dictionnaire encyclopédique du livre a vu de nombreuses fées se pencher sur son berceau. En effet, il compte trois directeurs (Pascal Fouché, Daniel Péchoin et Philippe Schuwer) et cinq « responsables scientifiques » : Pascal Fouché et Philippe Schuwer pour l’édition contemporaine, Jean-Dominique Mellot pour l’histoire du livre et de l’édition, Alain Nave pour les arts et industries graphiques et Martine Poulain pour la bibliothéconomie (sic) et la lecture – tandis que Martine Barruet prenait en charge l’iconographie. Henri-Jean Martin, qui signe une longue préface, a joué un rôle tutélaire moins visible, éclairant et soutenant l’équipe éditoriale dans ses choix. Ces responsables ont recruté un très grand nombre de collaborateurs, puisque 349 auteurs ont participé au seul premier volume. Tout ça pour quatre pauvres petites lettres, A, B, C et D !
Car, avant de dire tout le bien qu’on pense de cet ouvrage, il faut marquer les limites de l’exercice critique : nous n’avons sous les yeux que le tiers du travail. Ce que nous voyons est un travail en suspens. Par exemple, l’index général se trouve à la fin du troisième volume – pour l’instant, donc, point d’index. Ou, autre exemple, des notices attendues doivent l’être encore, ainsi les notices « livre » ou « lecture » ou « droit de prêt » (renvoyé à « prêt », je suppose, le temps que les esprits se calment). Autre limite : l’abondance du travail rend une critique exhaustive, ou même panoramique, impossible. Je me contenterai de lancer quelques sondes, ici ou là.
La beauté du mort
Commençons par le commencement : la préface. Long texte de Henri-Jean Martin, la préface explicite le projet éditorial. Titre-programme (mais tous les titres ne le sont-ils pas, de Fragments d’un discours amoureux à la Recherche du temps perdu ?), le Dictionnaire encyclopédique du livre est un dictionnaire, forme dont « l’ordre alphabétique, brutal, simple et illogique, s’est imposé partout » : mais cet ordre illogique est aussi ludique (ainsi la séquence « clandestinité », « Clarendon », « classement », qui rappelle ce lapsus d’une lectrice de la Bibliothèque publique d’information expliquant que les livres sont « dissimulés » dans la bibliothèque) et ouvert, permettant aux professionnels d’un secteur des découvertes extérieures à leur spécialité (« barbe », « beurre », « bienvenue », etc.). Le but de l’ouvrage, explicite Henri-Jean Martin, est de « prendre en compte le livre sous tous ses aspects, techniques, intellectuels et esthétiques, voire juridiques et politiques », à l’usage aussi bien des chercheurs et spécialistes, des praticiens et techniciens que de « l’honnête homme de notre temps ».
« Le livre sur papier n’est-il pas voué à la disparition ? », interroge encore le préfacier, qui récuse la volonté tant de « célébrer la beauté, sinon d’un mort, du moins d’un moribond » que de « vanter avec un optimisme sans nuances les mérites d’un objet multiforme, sorte de caméléon culturel dont les mutations seraient immanquablement sources de progrès. » Cette question qui sous-tendrait l’ouvrage semble, cependant, bien implicite – et bien moins visible qu’une autre volonté manifeste, celle d’être un « hommage au livre, à son histoire et à ceux qui l’ont faite » (Pascal Fouché), ou peut-être, pour reprendre les termes de Lucien Febvre à propos de L’apparition du livre (Albin Michel, 1957), « un travail mélancolique qui sera celui d’une grandeur et décadence ». Pour la décadence, les débats sont ouverts ; pour la grandeur, elle est là, éclatante, dans chaque illustration.
Des notices par milliers
Le premier volume comprend 2 200 entrées, précise Jean-Dominique Mellot, corpus dont la critique ne peut évidemment intégralement rendre compte. Y sont traités l’imprimerie, la librairie, l’édition, les bibliothèques, les auteurs, tant d’un point de vue professionnel, technique, que politique, historique ou économique. Tentons une petite apologie, centrée sur le domaine des bibliothèques.
Les notices sont conceptuelles (« censure », « classification », « décentralisation »), typologiques (« artothèque », « BCD », « bibliothèques religieuses »), ou monographiques (« Bibliothèque nationale de France », « Canada, bibliothèques », « Cujas, bibliothèque »). Elles traitent un large éventail de bibliothèques, notamment en province. Ainsi, Bordeaux ouvre trois entrées : « Bordeaux » comme centre typographique et éditorial, « Bordeaux, bibliothèque municipale » et « Bordeaux, bibliothèque universitaire ». Elles sont signées des spécialistes de leur objet, par exemple, Jacqueline Gascuel pour « ABF », Jean-Claude Garreta pour « Arsenal », Anne-Marie Chartier pour « bibliothèques scolaires ». Elles ne sont pas étroitement enfermées dans leur domaine et éveillent la curiosité, comme « architecture des bibliothèques », « Borges », « Boullée », « Condorcet ». Elles sont très richement illustrées.
Deux petites réserves. D’une part, les délais de réalisation d’un ouvrage d’une telle ampleur font que les notices ne sont pas toujours à jour : les informations sont fréquemment datées de 1995 (« Alexandrie », « bande dessinée », « CNL ») et la bibliographie ne va guère au-delà de 1997. Par ailleurs, les notices à plusieurs mains ne semblent pas toujours justifiées : ainsi, si l’on comprend que « collections » soit traitée d’une part du point de vue éditorial, d’autre part du point de vue bibliothéconomique, ce parti étonne davantage pour « bibliothécaire », traité successivement du point de vue générique (Anne Kupiec) et du point de vue statutaire (Bertrand Calenge), ou pour « classification », abordé globalement (Daniel Parrochia) puis spécifiquement pour la BnF (Laurent Portes).
Ces deux petites réserves fondent devant le plaisir que l’on a à ouvrir, feuilleter, manipuler cet ouvrage remarquable. L’intelligence du projet, la pertinence des notices (lisez « bibliothèque »), l’abondance et la qualité des illustrations : je ne sais s’il s’agit d’un hommage funèbre, mais il est magnifique, rigoureux et excitant. Que ses promoteurs en soient félicités et remerciés.