La collection de films documentaires acquis par la Bibliothèque nationale de France

Sylvie Dreyfus

Dans le projet de « très grande bibliothèque d’un genre entièrement nouveau », lancé par François Mitterrand en 1988, il fut décidé de mener un important programme d’acquisitions de films afin de les mettre à la disposition du grand public comme des chercheurs. La Bibliothèque nationale de France (BnF) offre aujourd’hui dans la bibliothèque de recherche environ 108 000 vidéogrammes issus du dépôt légal et 10 000 films documentaires acquis. Dans la bibliothèque d’étude, ouverte à tous les publics, elle a constitué une offre multimédia originale.

Le choix de privilégier le documentaire obéit à plusieurs raisons. Le cinéma documentaire qui, au-delà d’une recherche formelle revendiquée, « documente » sur le monde, entrait particulièrement bien en résonance avec la vocation encyclopédique de la BnF. Il existait, en outre, dans les bibliothèques publiques, une tradition d’acquisition de films documentaires récents, mais la France souffrait d’un retard important dans la mise en valeur de sa production historique de films documentaires. Contrairement aux films de fiction, il n’existait ni catalogue exhaustif, ni répertoire de sources. Les fonds étaient dispersés, mal repérés et se partageaient entre des ayants droit privés – dont une grande partie avait disparu – et des institutions publiques qui n’avaient pas toujours les moyens d’exploiter de véritables gisements de films documentaires, souvent méconnus.

Le programme d’acquisitions de la BnF s’est donné comme objectif de contribuer à remédier à cette situation. De grandes thématiques ont tracé des perspectives d’acquisition : la littérature, où a été privilégié le témoignage d’écrivains sur leurs œuvres ; la musique, axe d’acquisition pour lequel furent mis en avant l’enseignement et la transmission, plutôt que les captations ou les concerts filmés ; la représentation de la société française, champ dominant dans le cinéma documentaire depuis les débuts du cinéma, fut également retenue.

La Cinémathèque du documentaire

Très vite, s’imposa, par ailleurs, le projet de travailler à la constitution d’une « Cinémathèque du documentaire », véritable parcours raisonné à travers l’histoire de ce genre cinématographique, des origines du cinéma à nos jours. En effet, le cinéma documentaire traite de tous les sujets, mais le genre documentaire manifeste, en plus, l’exigence d’une recherche formelle. C’est le sens du projet de création de cette Cinémathèque du documentaire, qui représente au sein de l’offre encyclopédique de 3 500 titres, proposée au grand public, une anthologie d’environ 800 titres.

Après avoir procédé à un repérage des sources, des conventions furent signées avec les grandes institutions publiques, détentrices de fonds importants, tels que le ministère de l’Agriculture, le CNDP (Centre national de documentation pédagogique), l’Ina (Institut national de l’audiovisuel) et les producteurs privés, comme les Films du jeudi, société fondée par Pierre Braunberger, ou Argos films, entreprise créée par Anatole Dauman.

Par ailleurs, comme l’ensemble des bibliothèques publiques, la BnF peut acquérir des films dont les droits ont été négociés par la Direction du livre et de la lecture ou par Images de la culture. Enfin, la BnF a eu recours fréquemment aux services de l’Adav (Association ateliers diffusion audiovisuelle).

La Cinémathèque du documentaire présente des films qui traversent l’histoire du cinéma depuis sa naissance. Trois grandes périodes s’imposent :

–L’âge du muet avec la série « Enseignement » de Gaumont ou les « Chroniques de France » de Pathé. Les films de l’Établissement public des armées, tournés pendant la guerre de 1914-1918, ont aussi retenu notre attention.

–Les années 1930-1960, des débuts du cinéma parlant au cinéma direct, en passant par les premières œuvres des cinéastes de la Nouvelle vague. Pour cette période, nous avons tenu à acquérir également des films canadiens francophones, car la province du Québec a fortement contribué à l’éclosion du cinéma direct.

–La période contemporaine, des années 1960 à aujourd’hui. Pour cette période, grâce à une convention signée avec l’Ina, sont proposés également des films documentaires produits par la télévision, inaccessibles au grand public. Certains de ces films sont partie intégrante d’émissions de télévisions célèbres comme Cinq colonnes à la une ou Les femmes aussi.

Ainsi, les lecteurs peuvent consulter à la BnF les films emblématiques du Front populaire comme Grèves avec occupation, film collectif tourné dans les usines occupées, ou La vie est à nous de Jean Renoir (film de fiction, l’exception qui confirme la règle…). Sont proposés aussi Terre sans pain de Luis Buñuel, Du côté de la côte d’Agnès Varda, Hôtel des Invalides de Georges Franju, Toute la mémoire du monde d’Alain Resnais, Afrique 50 de René Vautier, Le fond de l’air est rouge ou Lettre de Sibérie de Chris. Marker, Chronique d’un été de Jean Rouch et d’Edgar Morin ; les courts métrages de Paul Carpita, les films de Frederik Wiseman ou Johan Van der Keuken, rares exceptions non francophones ; et de nombreux films plus récents comme la série sur Marseille de Jean-Louis Comolli, Reprise d’Hervé Le Roux, La moindre des choses de Nicolas Philibert, Pas vu, pas pris de Pierre Carle, Août avant l’explosion d’Avi Mograbi ou Un coupable idéal de Jean-Xavier de Lestrade…

Le Mois du film documentaire

Par ailleurs, le département de l’Audiovisuel participe régulièrement à des manifestations culturelles qui intègrent la dimension de l’audiovisuel, telles que des conférences sur des écrivains, le cycle « Les angoisses du siècle », au cours desquels sont présentés des montages d’extraits de films.

La BnF a voulu, pour la troisième édition du Mois du film documentaire (novembre 2002), proposer dans la salle du département de l’Audiovisuel (la salle B, ouverte à tous les publics à partir de seize ans) une sélection des cinquante documentaires les plus marquants, réalisés depuis la fin de l’année 2001. Cette sélection s’est nourrie de la programmation des grands festivals du cinéma documentaire que sont, par ordre chronologique de déroulement dans l’année, le Festival international de programmes audiovisuels (Fipa), le Cinéma du réel, le festival Sunny Side de Marseille, les États généraux du documentaire de Lussas, le festival Doc en courts de Lyon… D’autres apports sont venus de la découverte de films déposés au dépôt légal des vidéogrammes de la BnF ou proposés à la commission de sélection de l’association Images en bibliothèques. Le public a répondu nombreux à cette initiative pourtant peu évoquée par la presse, excepté Aden, le supplément culturel du Monde. Grâce au bouche à oreille et à l’information dans les halls d’accueil, dans les salles de lecture et sur le site Internet de la BnF, près de huit cents demandes de consultation de ces films ont été enregistrées pendant ce mois. À ce jour, une partie de cette sélection a déjà été acquise et continue à être consultable dans la salle B de la BnF. Le département de l’Audiovisuel espère acquérir rapidement l’intégralité de cette sélection, bien représentative des nouveaux champs couverts par le cinéma documentaire contemporain.