Le romain du roi
La typographie au service de l'État, 1702-2002
Dominique Varry
Du 9 novembre 2002 au 2 février 2003, le Musée de l’imprimerie de Lyon a, sous ce titre, présenté une exposition qui fera date. Elle se situait dans le prolongement de celle présentée dans les mêmes lieux sur les Didot, en 1998. Le sujet et la muséographie en étaient peut-être austères pour le grand public, mais on doit souligner que les spécialistes et amateurs de typographie sont venus de loin pour voir rassemblés pour la première fois un ensemble de documents de première importance prêtés par de nombreuses bibliothèques, de grandes institutions telles la Bibliothèque nationale de France, le Cabinet des poinçons de l’Imprimerie nationale ou la St Bride Printing Library de Londres, et des collectionneurs privés comme André Jammes. Son double but était tout à la fois de présenter ce caractère mythique, et d’évoquer le métier, rare et trop méconnu, de graveur de poinçons. Le savant catalogue publié, sous le même titre, pour l’occasion, permettra de garder un souvenir précieux de l’événement, tout en constituant désormais un outil de référence pour le spécialiste et l’amateur. Les contributions de James Mosley, Sylvie de Turckheim-Pey, André Jammes, Arnaud d’Hauterives, Paul-Marie Grinevald, Christian Paput et Jacques André, tout en éclairant les documents exposés, constituent une mise au point bienvenue pour expliquer la genèse et le succès pluriséculaire de ce caractère.
Sa naissance participe en effet de tout un ensemble d’initiatives destinées à magnifier le règne et la personne de Louis XIV. Parmi celles-ci, sans oublier les médailles, on rappellera les Almanachs qui firent, en 1995, l’objet d’une autre belle exposition au Louvre : Les effets du soleil. C’est sous la présidence du célèbre abbé Bignon que se constitua en 1693 un groupe de travail chargé de rédiger une Description des Arts et Métiers, précurseur de l’Encyclopédie. Un an plus tard, cette « Petite Académie », comme on l’appela désormais, s’attela à un projet de réforme de la typographie royale. Jusque-là, l’Imprimerie royale utilisait encore des caractères dont les poinçons avaient été gravés au XVIe siècle par Claude Garamond, Robert Granjon ou Guillaume I Le Blé. Le secrétaire de la « Petite Académie » fut le technologue Jacques Jaugeon. Le groupe comptait aussi en son sein le graveur Louis Simonneau, le directeur de l’Imprimerie royale Jean Anisson, et Philippe Grandjean qui fut le véritable artisan de la réussite du nouveau caractère. Celui-ci fut utilisé pour la première fois pour imprimer les Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand, sorties des presses de l’Imprimerie royale pour être offertes au souverain en cadeau d’étrennes le 9 janvier 1702. Il avait fallu une quarantaine d’années pour rassembler le matériau de l’ouvrage qui présente 286 médailles. Par la suite, il fut imité par toutes les cours d’Europe. La médaille venait de conquérir une place indiscutable de « vecteur de communication ou de publicité ».
Le Romain du roi, avant de trouver sa forme définitive, connut divers essais et repentirs. Une fois fixé, il devint LE caractère de l’Imprimerie royale. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que se développa l’idée de le réserver prioritairement à l’impression des pièces officielles pour en garantir l’authenticité. En 1790, l’offre d’Anisson de l’utiliser pour fabriquer les assignats alors en préparation avait été déclinée. Mais un peu plus tard les Caractères nationaux (nouvelle appellation du Romain du roi datant de 1797) furent considérés comme garantissant l’authenticité des impressions gouvernementales. L’Empire et la Restauration en usèrent de même, tout au moins jusqu’en 1824 où une commission rassemblant des académiciens et les graveurs de poinçons Firmin Didot et Molé fut chargée de travailler à leur remplacement.
Les Caractères de Charles X furent gravés entre 1825 et 1832. Dès 1836, ils avaient remplacé le Romain du roi. Le dernier chef-d’œuvre à l’employer, faisant pendant aux Médailles sur les principaux événements du règne de Louis le Grand, fut la non moins célèbre Description de l’Égypte. Mais il n’était pas destiné à tomber dans les oubliettes de l’Histoire. On doit sa résurrection à Arthur Christian, qui fut directeur de l’Imprimerie royale de 1895 à 1906. C’est dans ce caractère que, pour l’exposition universelle de 1900, il publia l’Histoire de l’imprimerie d’Anatole Claudin. La nouvelle fonte du Romain du roi fut à partir de ce moment réservée à l’impression d’ouvrages bibliophiliques. Le dernier livre à l’utiliser est l’ouvrage de Gilbert Érouart : Le testament de l’oye, publié par l’Imprimerie nationale en 1996. Sa superbe page de titre, imprimée en rouge, était présentée à l’exposition. Depuis, Franck Jalleau a réalisé une transposition du caractère pour la photocomposition. Celle-ci a servi pour l’impression du catalogue.
L’exposition lyonnaise, et son catalogue devenu ouvrage de référence, ont donc très heureusement célébré le tricentenaire d’un caractère, dont l’utilisation se poursuit après une éclipse, et qui est en lui-même tout à la fois un chef-d’œuvre du classicisme français et un monument à la gloire du Grand Monarque.