Réseaux informatisés de bibliothèques et échanges de données
Annie Le Saux
C’est à la médiathèque d’Issy-les-Moulineaux, que la Fédération des utilisateurs de logiciels de bibliothèque (Fulbi) organisa, le 26 septembre 2002, une journée d’étude sur les réseaux informatisés de bibliothèques et les échanges de données.
Si le principe de travailler en réseau, de faciliter les échanges de données et leur consultation est en soi excellent, il faut cependant être conscient que la mise en œuvre de réseaux informatisés de bibliothèques est plus compliquée qu’il n’y paraît, ceci étant dû à diverses difficultés, qu’elles soient techniques, bibliothéconomiques, politiques, financières ou humaines.
Ce que le réseau a de positif, c’est qu’il est fédérateur de plusieurs sites, de plusieurs types d’établissements. Accès aux catalogues, importation, exportation de notices sont les objectifs les plus couramment recherchés et les plus faciles à atteindre dans les mises en réseau. A priori, il pourrait paraître évident que la mise en commun des ressources favoriserait une diminution du travail ainsi qu’un gain de temps, mais ce n’est pas toujours le cas, comme l’a fait observer Jean Bernon, en intervenant sur les échanges de données entre le Sudoc et le service commun de la documentation (SCD) de Lyon III. Même s’il trouve beaucoup de notices dans ce réservoir de données – environ 80 %, précise-t-il –, tout système local est amené à faire des adaptations, des ajouts, et des clarifications, ce qui fait que les gains ne sont pas aussi importants qu’on pourrait l’espérer.
Schémas et fonctionnalités
Ce furent essentiellement des petites et moyennes bibliothèques, exception faite du SCD de Lyon III, qui présentèrent leur système d’échanges de données. Différents cas de figure furent décrits : à l’échelon régional, Britalis, portail régional des ressources documentaires en Bretagne, évoqué par Isabelle Bailliet de l’Agence de coopération des bibliothèques et centres de documentation en Bretagne (Cobb) 1; à l’échelon départemental, Révodoc 2 présenté par Dominique Lahary de la bibliothèque départementale de prêt du Val-d’Oise ; à l’échelon local, l’exemple du réseau documentaire municipal sur une base unique de Strasbourg, détaillé par Mathieu Redlaub.
Tous ont eu des choix à faire variant en fonction d’un certain nombre de paramètres. Il est un préalable, sur lequel a insisté Jean-Paul Gaschignard, de la bibliothèque départementale du Cher, c’est l’analyse de l’existant.
Tout d’abord, à quel type d’architecture de réseau appartient-on ? Homogène ou hétérogène ? S’il s’agit d’un réseau hétérogène, est-ce une base unique, c’est-à-dire un catalogue commun, une base dupliquée, où chaque site recopie l’ensemble de la base, une base centrale, dont chaque bibliothèque possède une partie, l’exemple type étant celui des grands réservoirs de notices, ou encore des bases indépendantes, qui se caractérisent par une absence de références communes et impliquent une mise à jour constante de chaque site ?
Ensuite, quelles fonctionnalités recherche-t-on ? Importation et exportation de notices, mises à jour automatiques, consultation globale des catalogues, prêt ? Les choix se font à partir des priorités que l’on se fixe, en fonction également des coûts de l’opération.
Diversité des situations
Les difficultés ne s’arrêtent cependant pas là. Comme l’a souligné Dominique Lahary, les participants au réseau sont variés et ont des habitudes de travail différentes. « Qu’il s’agisse des heures d’ouverture, du prêt, du public…, chacun arrive dans le réseau avec ses règles », règles qu’on n’abandonne souvent qu’avec réticence. À Strasbourg, par exemple, le réseau documentaire municipal regroupe sur un même serveur différentes institutions culturelles, dont le réseau de lecture publique, des bibliothèques de musées, la bibliothèque du conservatoire et celle des archives municipales. Certains de ces établissements sont ouverts à tous les publics, d’autres non, certains prêtent leurs ouvrages, d’autres non, certains prêtent uniquement aux utilisateurs inscrits dans leur bibliothèque… Comment, devant cette diversité de situations, harmoniser les politiques documentaires, uniformiser le catalogue, dédoublonner les notices sans que des facteurs techniques, mais aussi politiques et humains ne viennent y mettre des freins ?
Dans tous les cas, l’échange des données est possible, même si un certain nombre de contraintes, dues par exemple à des différences de formats (normalisés ou propriétaires) des notices, ajoutent à la lourdeur de la gestion en nécessitant notamment un reformatage par l’administrateur du système – quand il existe –, comme l’a souligné Isabelle Bailliet.
En revanche, devant le véritable casse-tête que sont les prêts, beaucoup de réseaux ont choisi de continuer à traiter ce service chacun sur son site : c’est le cas de Révodoc et du réseau documentaire de Strasbourg.
Casimir Cerles, de C3RB, société informatique, dans son intervention sur la façon d’échanger les données entre différents systèmes via Internet, a illustré le fossé qui existe entre la théorie, qui rend toute chose possible, et la réalité, qui est nettement plus problématique. C’est ainsi que, citant le cas de petites bibliothèques indépendantes désireuses de mettre leurs fonds en commun, la fonction de prêt via Internet a dû être abandonnée, la fiabilité des transferts y étant imparfaite – au contraire de la consultation, pour laquelle il s’agit d’un moyen sûr et efficace. Choisir, pour le prêt, un mode de transfert en temps réel, par FTP, serait une solution, mais une solution fort onéreuse pour de petites bibliothèques. Les bibliothèques universitaires, comme le SCD de Lyon III, qui ont un accès à Internet en continu et à haut débit, échappent, elles, à ce genre de problème.
Dans un catalogue interfacé sur le web, l’utilisation de la passerelle Z39.50 est une solution toujours appliquée et appréciée, notamment par Dominique Lahary, qui se pose quand même la question de son avenir. Du moins ce protocole permet-il l’interconnexion et des recherches entre systèmes différents, à condition que le nombre de catalogues à connecter ne soit pas trop important, sinon les temps de réponse sont trop longs pour être intéressants, comme l’ont signalé plusieurs des intervenants.
Les avancées de la technologie et le développement gigantesque du web rendent toujours possibles de nouveaux accès au savoir, à condition d’oser en profiter, précise Pierre-Yves Duchemin, de la Bibliothèque nationale de France. On est, continue-t-il, dans une phase de transition. Jusqu’à il y a peu, les outils dont se servaient les bibliothèques, étaient axés sur la gestion des documents secondaires – description bibliographique et indexation. Dorénavant, il convient d’abandonner les normes « bibliothéco-bibliothécaires », les recommandations « franco-françaises », au profit de nouveaux systèmes de gestion et de nouveaux standards – créés ni par les bibliothécaires ni pour eux, et donc potentiellement accessibles à tous. XML est un de ces nouveaux outils de production et de diffusion de documents, non plus seulement secondaires, mais primaires, structurés. Seulement, la frilosité des établissements à adopter ce métalangage n’incite pas les producteurs à le développer. La complexité de la rédaction des DTD 3 (définitions de type de document) liées à XML a tendance à occulter ses avantages, parmi lesquels la disponibilité simultanée des ressources primaires, du catalogue et des instruments de navigation grâce à l’utilisation des mêmes standards. L’avenir des nouvelles générations de protocoles est encore fragile.