Vues d'ailleurs
la 35 e conférence annuelle de l'Intamel
Aline Girard-Billon
Du 1er au 8 septembre 2002, s’est tenue à Stockholm la 35e conférence annuelle de l’Intamel (International Association of Metropolitan Libraries) 1 sur le thème Changing and learning. C’était la troisième fois que la Suède accueillait une conférence de l’Intamel depuis la création de l’association en 1968, mais c’est Göteborg qui, en 1969 et en 1984, avait été la ville hôte.
Depuis la conférence de Copenhague en 1996, le programme proposé aux délégués s’est largement intensifié. Le principe appliqué depuis lors est d’alterner sur cinq jours interventions et visites. Les interventions sont celles des professionnels du réseau invitant et celles de délégués étrangers ; les visites font découvrir les bibliothèques de la ville qui reçoit, que celles-ci soient municipales ou dépendent d’une autre tutelle. Les membres de l’Intamel, au bout de leur semaine de travaux, ont ainsi une très bonne connaissance de l’offre de la ville-hôte en matière de bibliothèques, ainsi que de l’organisation des bibliothèques à l’échelle nationale.
Cependant, le parti que j’ai pris pour ce compte rendu n’est pas de dresser un tableau des bibliothèques suédoises, et plus largement scandinaves, en dépit de l’abondance et de l’intérêt de l’information recueillie à Stockholm, mais de porter un coup de projecteur sur certains aspects de l’activité de quelques grandes bibliothèques publiques, évoqués par les délégués : actions innovantes, problématiques spécifiques, expériences fructueuses.
Vues de l’ouest
Rick Ashton, de Denver (Colorado), « communicant » professionnel plein d’humour, mais aussi de « convictions » à l’américaine, a présenté le réseau des bibliothèques publiques de Denver : une bibliothèque centrale d’environ 50 000 m2 ouverte en 1995, vingt-deux bibliothèques de quartier et un bibliobus. La bibliothèque publique de Denver fait partie de ces nouvelles bibliothèques américaines, impressionnantes par leur architecture et l’ambition de leur projet, telles celles de Cincinnati, Cleveland, Phoenix, Salt Lake City, San Antonio, San Francisco, qui affirment haut et fort le rôle de la bibliothèque publique. Une visite au site de la bibliothèque 2 est le meilleur moyen de la découvrir à distance. Nous savons tous d’ailleurs que nous devons considérer la consultation régulière des sites web des grandes bibliothèques publiques américaines comme un devoir professionnel et une opportunité de formation permanente.
Gary Strong, directeur de la bibliothèque de Queens à New York, est intervenu sur le thème Management and leadership et a enrichi le point de vue nord-américain par un autre éclairage. La bibliothèque de Queens est mieux connue des professionnels français que celle de Denver 3. Elle a établi un partenariat privilégié avec la Bibliothèque publique d’information et Gary Strong a été l’un des trois bibliothécaires étrangers invités à intervenir lors du colloque « Les vingt-cinq ans de la BPI 4 » dans le cadre du débat « Le libre accès à l’heure de l’information électronique ». À Stockholm, son propos était de démontrer l’efficacité du lobbying et l’importance des relations avec les tutelles, les élus, les conseils d’administration, les groupes d’amis, les comités scientifiques, les comités de soutien, les partenaires de toute nature… et les financeurs éventuels. Un paysage que là aussi nous connaissons peu… et un pragmatisme dont nous sommes peut-être bien incapables !
Vues d’Europe
De ce côté-ci de l’Atlantique, l’optique européenne était donnée par Wiebke Andresen, directrice de la bibliothèque de Hanovre, et Claudia Lux, responsable de la bibliothèque centrale de Berlin. La bibliothèque publique de Hanovre 5, en Basse-Saxe, propose depuis peu à ses usagers un « contrat qualité ». Elle définit son service et s’engage vis-à-vis de ses utilisateurs sur un certain nombre de points forts. C’est cette démarche « qualité » que Wiebke Andresen a souhaité présenter en détail. Signalons que les bibliothèques de Hanovre avaient fait, il y a quelques années, un grand pas dans le sens d’un meilleur service à leurs utilisateurs, et plus largement à la population de la région, sous la forme d’une carte unique d’usager pour l’ensemble des bibliothèques municipales, universitaires et de recherche (réseau HOBSY).
Claudia Lux a exposé les difficultés de la réunification Est-Ouest en matière de bibliothèques à Berlin. Avant 1989, il y avait à Berlin deux bibliothèques centrales : la Berliner Stadtbibliothek à Berlin-Est et l’Amerikagedenk Bibliothek à Berlin-Ouest. Les deux établissements, depuis la réunification, sont placés sous une direction unique et sont devenus, depuis, la Zentral- und Landesbibliothek Berlin. L’enjeu de la dernière décennie a été la mise en place d’une organisation nouvelle pour la structure bicéphale, résultant de la clarification des tâches et des fonctions des personnels, et la définition d’un nouvel organigramme. C’est la difficulté de cette entreprise que Claudia Lux a exposée à Stockholm, en détaillant les pièges du parcours et la nécessité de mener de front plusieurs actions pour éviter les chausse-trapes et l’échec. L’obligation d’agir sur tous les fronts a été ramenée par Claudia Lux à une formule lapidaire qui témoigne avec humour du caractère acrobatique de la figure à réaliser : en premier lieu réfléchir ; en premier lieu observer ; en premier lieu agir. Elle a fait allusion également au projet de construction d’une nouvelle bibliothèque centrale à Berlin. La construction de cette nouvelle bibliothèque centrale – 40 000 m2 – permettra de réunir les collections des deux anciennes centrales et d’offrir une grande diversité de services. Le bâtiment occupé aujourd’hui par la Zentral- und Landesbibliothek Berlin, et situé à proximité de la Schlossplatz, restera à disposition de la bibliothèque et abritera certains services intérieurs et des magasins. L’ambition du projet fascine. Berlin, dans tous les domaines, se hausse à la mesure d’une ville capitale. Comme dans la plupart des grandes villes du monde – et aujourd’hui des grandes villes françaises – la bibliothèque publique est un des axes majeurs autour duquel s’articule la vie culturelle locale et régionale et elle est synonyme de modernité et de vitalité. De quoi plonger la représentante des bibliothèques de la ville de Paris dans de profondes réflexions 6…
Vues de l’est
Encore plus à l’est… La dernière intervention a été celle de Serguei Ivachkine, chef du département de l’Évaluation et des Statistiques de la bibliothèque centrale de Moscou. Depuis 1998, un programme spécial appelé « Modernisation des bibliothèques de Moscou », soutenu par le ministère de la Culture, vise à faire entrer les nouvelles technologies dans les bibliothèques municipales. Une des orientations retenues a pour but la création de centres Internet dans les bibliothèques moscovites. Onze centres sont aujourd’hui ouverts : un à la bibliothèque centrale, dix dans des bibliothèques de quartier (un par district administratif). L’objectif est de mettre ainsi à la disposition de la population des informations légales et gouvernementales, indexées : lois, décrets, codes, réglementations juridiques, économiques et sociales, procédures administratives, programmes éducatifs, etc. Les usagers de ces centres civiques d’information sont extrêmement variés : entreprises et étudiants bien sûr, mais aussi tout citoyen à la recherche d’informations pratiques sur les impôts, les successions, la propriété et la location, les salaires, les retraites, les transports, les droits des consommateurs, l’assistance médicale, etc. Une formation des usagers est assurée par les bibliothécaires dans les onze bibliothèques offrant ce service aux Moscovites. En parallèle, un programme national soutient la création de centres civiques d’information dans toutes les régions de la fédération de Russie.
Un autre programme, financé par l’État et la ville de Moscou, a permis par ailleurs de développer, grâce à Internet et aux nouvelles technologies, une aide spécifique aux personnes handicapées. Dans ces mêmes centres civiques d’information, un accueil particulier est réservé aux personnes atteintes d’un handicap, ou à leur famille, à la recherche d’informations sur la législation et les ressources liées au domaine. Toutes les institutions et associations agissant dans le champ du handicap, ou impliquées dans des secteurs connexes, sont ainsi recensées.
Vie de l’association
L’assemblée générale de l’Intamel s’est tenue jeudi 5 septembre. Six points étaient à l’ordre du jour : élection d’un nouveau bureau, relations avec l’Ifla, statistiques, liste de discussion INTLIB, futures conférences et une intervention de la déléguée de la ville de Paris. Un bureau de trois membres a été élu pour un mandat de trois ans. Le président de l’Intamel est dorénavant Frans Meijer, directeur de la bibliothèque publique de Rotterdam, aux Pays-Bas. J’en suis la secrétaire, représentant les bibliothèques de la ville de Paris, et la trésorière est Tay Ai Cheng, du National Library Board de Singapour. Un comité exécutif a également vu le jour, composé des trois nouveaux membres du bureau et des deux membres sortants, Dan Wilson, directeur de la Saint Louis County Library, et Jan Boman, ancien directeur des bibliothèques de Stockholm, aujourd’hui membre du Conseil national suédois pour les affaires culturelles.
Les relations de l’Intamel avec l’Ifla ont été évoquées. L’Intamel était depuis 1976 une table ronde de l’Ifla rattachée à la division III, Bibliothèques publiques. Or, ce type de structure a cessé d’exister au sein de l’Ifla depuis la conférence de Glasgow en août 2002. La dizaine de tables rondes existantes se sont pour la plupart transformées en sections, composantes de base de la fédération. Il s’agissait donc d’analyser à Stockholm les conséquences du changement de statut imposé par l’Ifla sur l’organisation et le fonctionnement de l’Intamel, et de se prononcer pour un maintien de l’Intamel au sein de la fédération ou, au contraire, pour une séparation des deux organismes. Les participants ont dans leur majorité confirmé l’adhésion de l’Intamel à l’Ifla. Pour affirmer cette position, une open session sera sans doute proposée par l’Intamel à la conférence de Berlin en août 2003, ce qui sera renouer avec une pratique abandonnée depuis plusieurs années.
Wiebke Andresen, de Hanovre, qui, comme on l’a dit plus haut, est chargée de publier les statistiques de l’Intamel, a fait part aux membres de son inquiétude devant le faible taux de réponse au dernier questionnaire annuel. Seuls vingt-six réseaux de bibliothèques ont répondu à l’enquête statistique 2001, alors que traditionnellement ce sont trente-cinq à quarante bibliothèques qui communiquent leurs données. Il semble que l’envoi des questionnaires par messagerie électronique n’ait pas été totalement opérant. Les délégués dans leur ensemble ont confirmé l’importance des statistiques de l’Intamel dans leur processus d’évaluation et ont affirmé qu’ils apporteraient une attention accrue à l’envoi des informations attendues.
Les membres de l’Intamel disposent depuis 2000 d’une liste de discussion INTLIB, maintenue par Stuart Brewer, de Newcastle au Royaume-Uni, qui par ailleurs est le coordinateur Intamel/Ifla. C’est un moyen d’échange et d’information largement utilisé par les membres de l’Intamel. C’est aujourd’hui, avec la page Intamel sur Iflanet, le seul mode de communication de l’association, puisque la revue Metro a cessé de paraître en juillet 2001.
L’assemblée générale a choisi les sites de prochaines conférences. Il s’agira de Singapour en 2003, Bucarest et Brasov (Roumanie) en 2004, Rotterdam (Pays-Bas) en 2005, Paris et Lyon en 2006 7.
Pour terminer, j’ai présenté aux membres de l’association les résultats de l’enquête que j’avais menée au sein de l’Intamel dans le courant de l’année 2001, résultats qui ont été portés à la connaissance des professionnels français lors du colloque OPLPP du 6 décembre 2001, dans le cadre de mon intervention « Les politiques documentaires des bibliothèques de grandes villes étrangères », et ultérieurement par un article du BBF 8. À Stockholm, j’ai donc rendu compte aux « enquêtés », les membres de l’Intamel. L’intérêt des participants a été manifeste. Ils y ont vu une précieuse mise en perspective de leur politique et de leur mode de fonctionnement. Il a été décidé en séance que la version anglaise de l’article paru dans le BBF, remise aux membres présents, serait proposée à l’Ifla pour publication dans l’IFLA journal.
La richesse du programme professionnel de la conférence de Stockholm, l’efficacité de l’organisation et la simplicité de l’accueil ont été très appréciées des participants. Le succès de cette trente-cinquième conférence est complet. Les délégués attendent la trente-sixième conférence avec impatience : le réseau des bibliothèques de Singapour mérite, on le sait, le déplacement.