Au Portugal, la constitution d'un réseau
Au Portugal, un demi-siècle de régime autoritaire avait laissé les bibliothèques à l’abandon. Depuis les années 1980 et le lancement du programme « Réseau national de bibliothèques publiques », un fort mouvement de développement et de modernisation est lancé. Cet article analyse les principes de ce programme, souligne les influences (notamment françaises) qui l’ont inspiré et présente les premiers résultats de sa mise en œuvre.
In Portugal, half a century of an authoritarian regime had left the libraries in a sorry state. Since the 1980s and the setting up of the “National network of public libraries”, a strong movement for development and modernisation has been launched. This article analyses the principles of this programme, underlines the influences (notably French) that have inspired it, and presents the first results of its implementation.
50 Jahre hindurch hat das frühere autoritäre Regime die portugiesischen Bibliotheken völlig vernachlässigt. Seit den 80er Jahren, und mit der Einführung des Projekts »Nationales Netzwerk für öffentliche Bibliotheken«, kann man eine intensive Tätigkeit in Richtung Entwicklung und Modernisierung feststellen. Der Artikel analysiert die Basis dieses Programms, weist auf grundlegende Einflüsse (besonders französische) hin und berichtet über erste Resultate.
En Portugal, medio siglo de régimen autoritario había dejado las bibliotecas en el abandono. Desde los años 1980 y el lanzamiento del programa “Red nacional de bibliotecas públicas”, un fuerte movimiento de desarrollo y de modernización se ha emprendido. Este artículo analiza los principios de este programa, subraya las influencias (sobretodo francesas) que la han inspirado y presenta los primeros resultados de su ejecución.
Au Portugal, la création du Programme du Réseau national de bibliothèques publiques (RNBP) est étroitement liée à ce qui s’est passé en France, dans ce domaine, dans les années 1970 et 1980. Cela ne doit pas nous surprendre si l’on se rappelle que, durant des siècles, nous avons toujours observé avec attention la culture française et que les liens qui nous rapprochent sont nombreux depuis la fondation de notre pays, au milieu du XIIe siècle : Henri de Bourgogne fut le père de notre premier roi et cette influence a prédominé jusqu’à une époque récente.
Pour ma génération, le français était la première langue étrangère et jamais je ne me suis sentie étrangère à Paris ; et encore beaucoup moins aujourd’hui, dans la mesure où la littérature, l’art et la culture portugaise en général, ont commencé à y éveiller un plus grand intérêt. Il me suffira de rappeler, par exemple, Les Belles Étrangères en 1988 ou le Salon du Livre en 2000 à Paris. De nombreux écrivains et scientifiques portugais sont reconnus et tendent à remplacer l’image des émigrants du milieu du siècle écoulé. Ces mêmes compatriotes, toutefois et comme cela s’est passé un peu partout dans le monde, réussissent à s’adapter sans grandes difficultés et leurs enfants, bien intégrés et respectés dans les différents pays, que ce soit de ce côté ou de l’autre côté de l’Atlantique, participent activement à la vie sociale et politique. Beaucoup d’entre eux, partis il y a trente ou quarante ans, à la recherche de meilleures conditions de vie ou par refus de la guerre coloniale en Afrique, avaient des carences éducatives qui reflétaient bien la situation d’un pays présentant un taux élevé d’analphabétisme et d’illettrisme, situation qui est, encore aujourd’hui, à améliorer.
Le contexte portugais
Presque un demi-siècle d’un régime autoritaire et répressif qui nous fermait à l’influence extérieure a laissé des marques qu’il n’est pas facile d’éliminer ! Dans ce contexte où la culture était considérée avec suspicion et où la modernité était presque toujours absente, il n’est pas étonnant qu’il n’existât pas non plus de bibliothèques publiques dignes de ce nom, selon les principes du Manifeste de l’Unesco, organisation à laquelle, en outre, nous avons adhéré tardivement, et pour cause ! Les rares institutions qui portaient ce nom hébergeaient surtout des fonds patrimoniaux provenant de couvents fermés ; elles ne pratiquaient pas le prêt des documents, ni le libre accès aux ouvrages et ne possédaient, encore moins, de sections pour les enfants.
Au Portugal, il n’y a pas d’organes élus intermédiaires entre le Parlement (Assembleia da República) et les 278 municipalités (municípios). De ce fait, les organismes de la sphère gouvernementale, tel que l’IPLB (Institut portugais du livre et des bibliothèques) qui est responsable de la politique du livre et des bibliothèques publiques, doivent dialoguer et travailler directement avec les municipalités. Par conséquent, et à l’inverse de la France, il n’existe pas de bibliothèques de prêt, centrales ou départementales, dotées d’un réseau de bibliobus. Par ailleurs, beaucoup de municipalités sont en train d’apporter, à travers leurs bibliothèques, un appui très fort au réseau de bibliothèques scolaires lancé récemment par le ministère de l’Éducation. Certaines ont déjà créé leur propre service itinérant qui amène la bibliothèque aux quartiers plus distants, aux entreprises, écoles, maisons de retraite, etc. De même, quelques municipalités ont créé sur des plages, dans des piscines ou des jardins, des services de lecture temporaires. En ce qui concerne les services itinérants de bibliothèques, on ne peut pas passer sous silence, en toute justice, l’action d’une entité privée, la Fondation Calouste Gulbenkian : celle-ci, depuis 1958, a créé et entretenu un tel service – aujourd’hui arrêté – dans tout le pays, et a joué un rôle très important.
L’exemple français et l’influence anglo-saxonne
L’exemple de ce qui fut réussi en France fut très important pour nous et pour le programme des bibliothèques municipales qui, depuis quinze ans, s’est développé au Portugal. Nous avons eu la chance d’accueillir à Lisbonne, en 1983, le bibliothécaire français Jean Tabet, vrai militant de la lecture publique, qui nous a aidés à mettre en place une stratégie pour combler notre retard, comme on y était parvenu en France précédemment. Nous avons reçu également Gérald Grunberg, Jacqueline Gascuel et quelques autres, qui nous ont fortement stimulés et soutenus lors du lancement du Programme Réseau national de bibliothèques publiques, conçu comme un investissement à long terme, financé à parts égales par le gouvernement – à travers le ministère de la Culture et son Institut portugais du livre et des bibliothèques – et par les municipalités. À ce jour, plus de 80 % d’entre elles font partie du RNBP, qui va désormais s’étendre aux régions autonomes des Açores et de Madère 1.
On peut donc comprendre que les nouvelles bibliothèques municipales françaises ont été pour les bibliothécaires portugais et pour moi en particulier, en tant que responsable du Programme mentionné plus haut, objet de curiosité et d’études attentives et qu’elles ont reçu de nombreuses visites de groupes de professionnels, pour lesquels elles représentaient un premier contact avec une nouvelle réalité et un exemple qu’il nous semblait, alors, difficile de suivre.
Nous n’avons pas prétendu copier ce que nous avons vu (pour la construction, par exemple, nous n’avons pas défini des cadres normatifs trop stricts), mais nous avons tenté d’adapter la taille des bibliothèques à la population qu’elles devaient desservir : le ministère a proposé un cadre de critères minimaux, conditions de l’appui financier à accorder après une sélection des candidatures déposées chaque année.
Contraints à des choix difficiles, en raison de la nécessité de tenir compte de la situation réelle du pays, nous avons toutefois évolué en ce qui concerne les conditions exigées pour l’établissement de ces partenariats au travers des contrats-programmes. Il convient de souligner que ceux-ci, depuis lors, ont constitué une exception à la loi en matière de finances locales qui règle les relations entre le gouvernement et les municipalités, puisqu’ils nous permettent de subventionner spécifiquement l’installation de ce type d’équipements culturels.
À l’intérieur du pays, ces équipements sont souvent l’unique espace collectif convivial, à l’abri des pressions commerciales ou de la simple consommation, avec des horaires élargis, susceptibles d’accueillir tout le monde, pour participer à toutes sortes de manifestations artistiques en relation avec le livre et la lecture, d’un côté et, de l’autre, aptes à appuyer la formation tout au long de la vie, permettant au plus grand nombre de citoyens de bénéficier de la société de l’information, afin de tenter d’éviter qu’ils ne restent aux marges de cette société et, de là, qu’ils en soient exclus, pour quelque motif que ce soit.
Je crois pouvoir dire que, dans la tradition française, on accorde une plus grande emphase à la lecture publique : cela nous paraît une option claire. Pendant assez longtemps – peut-être aussi parce qu’il s’agit d’un pays disposant de ressources beaucoup plus importantes, doté en outre d’organismes très différenciés et d’entités multiples qui ont pour but de combler des carences d’ordre éducatif, de formation professionnelle et ayant, de surcroît, des services sociaux indubitablement structurés – les bibliothèques municipales françaises sont restées concentrées sur leur vocation traditionnelle, un peu éloignées des pratiques anglo-saxonnes dans lesquelles, et plus encore de nos jours, les bibliothèques publiques tendent à jouer de nouveaux rôles.
Au Portugal, depuis quelques années déjà, nous avons été attentifs à ces nouveaux défis et, pour cette raison également, nous avons resserré les contacts avec les pays de langue anglaise aussi bien qu’avec les pays nordiques.
La situation aujourd’hui
Nous ne disposons pas de ressources suffisantes et les professionnels qualifiés ne sont pas assez nombreux – ou leur nombre ne correspond pas à nos ambitions –, mais nous considérons que, soit au niveau gouvernemental, soit au niveau local, les décideurs politiques regardent déjà les bibliothèques publiques non seulement comme un simple équipement culturel mais comme un appui essentiel au développement intégral des populations, particulièrement à l’intérieur du pays où la désertification et beaucoup d’autres carences se font sentir, et où la coopération s’est montrée difficile 2.
L’information est un facteur décisif du développement et les bibliothèques publiques peuvent ouvrir au citoyen une fenêtre sur le monde, en lui permettant d’utiliser les technologies disponibles sans lesquelles son exclusion, par manque des moyens nécessaires, serait encore plus grave. Je rappellerai, à ce sujet, que le prêt et tous les services dans nos bibliothèques publiques sont gratuits, bénéficiant de la dérogation offerte lors de la transposition de la directive communautaire.
Les carrières professionnelles, considérées sous les aspects des profils de formation et des salaires, ne sont pas différentes de ce qui existe dans les bibliothèques universitaires ou même à la Bibliothèque nationale, ce qui rend plus facile la circulation des personnels entre elles ; ceci présente, certes, un certain nombre d’avantages mais, en contrepartie, quelques inconvénients car la spécialisation se fait presque uniquement sur le terrain.
Aujourd’hui, les motifs d’enrichissement et de réflexion sont toujours présents, pour les bibliothécaires portugais, dans les échanges professionnels avec la France, dans la participation aux congrès, dans les voyages d’étude 3, dans toutes les occasions fournies par la longue amitié, la grande admiration et la forte complicité qui caractérisent nos relations et qui se sont consolidées au fil des années. Que ce soit les réunions au Portugal où la participation des spécialistes français a toujours suscité le plus grand intérêt, que ce soit celles organisées en France et auxquelles nous avons souvent eu le privilège d’assister, à l’invitation de la DLL, de la BPI, de l’ABF, de la FFCB ou d’autres organismes, toutes ont eu une importance exceptionnelle pour notre évolution en tant que professionnels, nous imposant d’approfondir la réflexion sur le travail que nous développons au Portugal et nous obligeant à nous interroger sur les choix effectués.
Pour ma part, je suis convaincue que si nous avons besoin de quelques certitudes pour avancer dans la concrétisation de nos projets, ce sont les doutes qui soutiennent une vision plus prospective et se révèlent créateurs d’innovation pour atteindre les buts que nous poursuivons. Pour cela, l’analyse conjointe et les débats ont une importance décisive, que ce soit au niveau bilatéral ou dans les fora internationaux auxquels le Portugal et la France participent, avec leur spécificité de pays latins, héritiers d’une culture millénaire.
Novembre 2002