Les bibliothèques de lecture publique de Berlin

L'an 12 de la réunification

Peter Borchardt

En août 2003, la conférence de l’IFLA se tiendra à Berlin. Les organisateurs attendent plus de 4 000 participants, qui auront ainsi la possibilité de faire la connaissance des bibliothèques de la nouvelle capitale de l’Allemagne réunifiée où la situation des finances publiques est catastrophique. Pour les bibliothèques, cela signifie des réductions partout : réductions de budget, de postes, de bibliothèques. Une restructuration du système de lecture publique (d’un système décentralisé vers une centralisation) pourrait peut-être améliorer la situation.

In August 2003, the IFLA conference will be held in Berlin. The organisers are expecting more than 4,000 participants, who will thus have the chance to get to know some of the libraries of the new capital of the reunified Germany, where the situation of public financing is catastrophic. For the libraries, that means reductions everywhere: reductions in budget, jobs, libraries. A restructuring of the system of public reading (from a decentralised to a centralised system) could perhaps improve the situation.

Im August 2003 findet die IFLA-Konferenz in Berlin statt. Mehr als 4000 Teilnehmer werden erwartet. Sie werden die Gelegenheit haben, die neue Hauptstadt des vereinigten Deutschlands kennen zu lernen, in der die Lage der öffentlichen Finanzen katastrophal ist. Für die Bibliotheken bedeutet dies Reduzierungen allerorten: bei den Haushaltsmitteln, den Stellen und der Zahl der Bibliotheken. Eine Neustrukturierung des Systems der Öffentlichen Bibliotheken (von einem dezentralisierten zu einem stärker zentralisierten System) könnte die Lage verbessern.

En agosto del 2003, la conferencia del IFLA tendra lugar en Berlín. Los organizadores esperan más de 4000 participantes, que tendrán de esta manera la posibilidad de conocer las bibliotecas de la nueva capital de Alemania reunificada en donde la situación de las finanzas públicas es catastrófica. Para las bibliotecas, esto significa reducciones por doquier: reducciones de presupuesto, de puestos, de bibliotecas. Una restructuración del sistema de lectura pública (de un sistema descentralizado hacia una centralización) podrían quizás mejorar la situación.

En août 2003, la conférence de l’IFLA se tiendra à Berlin. Les organisateurs attendent plus de 4 000 participants, qui auront ainsi la possibilité de mieux connaître les bibliothèques de la nouvelle capitale de l’Allemagne réunifiée. La ville en possède un grand nombre. Outre une multitude de bibliothèques spécialisées, universitaires, etc. (sans oublier la fameuse Staatsbibliothek, celle-là même que l’on voit dans le film de Wim Wenders Les ailes du désir), il existe autour de la Bibliothèque centrale et régionale de Berlin, la Zentral- und Landesbibliothek, un réseau bien établi de bibliothèques de lecture publique qui dessert les arrondissements de la capitale.

Cet article peut, bien sûr, servir de guide aux visiteurs professionnels francophones. Mais, comme tous les bons guides, il ne dissimulera pas la réalité de la situation. J’évoquerai notamment les problèmes soulevés par le passage d’un système de lecture publique décentralisé à celui d’une organisation de plus en plus centralisée. Ce dernier aspect intéressera sans doute particulièrement les lecteurs parisiens.

Situation politique et administrative de Berlin

Pour mieux comprendre la situation actuelle, il convient de décrire brièvement la situation politique et administrative de Berlin.

La ville telle que nous la connaissons aujourd’hui s’est formée au XXe siècle, au début des années 1920 seulement. C’est en effet en 1920 qu’une loi de la République de Weimar regroupe le vieux Berlin et les villes et villages autonomes qui l’entourent pour former ce qui fut appelé le Gross-Berlin (Grand Berlin). Cette métropole de plus de 4 millions d’habitants fut divisée en arrondissements, les Bezirke. Cette division administrative a depuis lors perduré, même pendant la guerre froide, où elle fut répartie entre les deux parties de la ville.

En 1990, à l’issue de la réunification de l’Allemagne, Berlin est devenu en même temps une région (Land) de la République fédérale et une ville de 3,4 millions d’habitants composée de 23 arrondissements qui constituent des entités disposant d’une forte autonomie. Chaque arrondissement est administré par une assemblée composée de délégués de l’arrondissement, la Bezirksverordnetenversammlung, et de l’office d’arrondissement, le Bezirksamt. Selon les règles des élections municipales, les délégués d’arrondissement sont élus par les électeurs allemands et les ressortissants des pays de l’Union européenne vivant dans l’arrondissement. L’office d’arrondissement, composé du maire et des conseillers de l’arrondissement, fonctionne sur le mode collégial.

Les maires de tous les arrondissements forment, avec le bourgmestre en exercice, le Regierender Bürgermeister – qui est aussi le premier ministre du Land de Berlin –, le Conseil des maires. Le Sénat, c’est-à-dire le collège formé par le bourgmestre et les sénateurs (ministres régionaux), est tenu, pour les questions législatives et administratives fondamentales, de consulter le Conseil des maires.

La conséquence de cette organisation administrative, pour les bibliothèques, est qu’il existe 23 systèmes autonomes de lecture publique qui totalisent 230 bibliothèques, plus une bibliothèque centrale au niveau du Land, la Zentral-und Landesbibliothek. Cette structure est, comme on peut l’imaginer, à la fois lourde et coûteuse, mais il faut rappeler qu’elle a été voulue ainsi par les fondateurs du Gross Berlin.

Dans les années qui ont suivi la réunification, Berlin a rencontré des difficultés financières croissantes, et les dépenses en sont venues à dépasser de plus en plus les recettes.

Ce déficit est désormais parvenu à un niveau catastrophique, au point que les autorités de la ville ont dû déclarer « un état d’urgence budgétaire » (Haushaltsnotstand 1). Et la règle est de faire, coûte que coûte, des économies.

Parallèlement à sa politique de réduction des dépenses publiques, la ville de Berlin a commencé à réformer les structures lourdes et souvent inefficaces de son administration. Dans le même temps, une réforme territoriale, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2001, a été mise en place. Le nombre des arrondissements a été réduit, et Berlin est désormais quasiment constitué de 12 grandes villes, comptant entre 230 000 et 340 000 habitants (cf. tableau

Illustration
Les nouveaux arrondissements de Berlin

). Ce découpage a entraîné des modifications de l’échelle des circonscriptions.

Les bibliothèques

Les bibliothèques n’ont bien évidemment pas été épargnées. Ce sont avant tout les unités de base, les bibliothèques d’arrondissement, qui ont été touchées. Entre 1995 et 2001, leur budget d’acquisition a diminué de 46,6 % (il est passé de 4 530 557 à 2 418 921 euros). Ces restrictions budgétaires se sont accompagnées d’une politique systématique de réduction de personnel, chaque fois que l’occasion s’est présentée. Le nombre de directeurs, par exemple, est passé de 23 à 12, et, comme plusieurs arrondissements ont fusionné, il a fallu également unifier les options et les procédures de travail, répartir les équipements et les personnels selon une nouvelle organisation, etc.

Les bibliothécaires ont dû s’adapter à une configuration administrative nouvelle, à l’introduction de méthodes de management public, ainsi qu’à une nouvelle organisation comptable assortie d’un dispositif de contrôle de gestion.

Imaginez que vous ayez, du jour au lendemain, à rassembler les services de villes d’une taille comparable à Nantes et Rennes, et vous aurez une idée de l’ampleur des problèmes rencontrés…

Pour compliquer les choses un peu plus, cette réorganisation a coïncidé, en 2000-2001, avec la mise en place d’un système d’information et de gestion commun à toutes les bibliothèques de lecture publique de Berlin, le VÖBB 2. Ce projet va révolutionner dans les années à venir les structures de lecture publique de Berlin. Il prévoit l’intégration de 12 grands systèmes autonomes en un seul SIGB (système intégré de gestion de bibliothèque), où acquisitions, catalogage et prêt seront intégrés.

Ce dispositif implique une perte significative de l’autonomie des arrondissements. Avant sa mise en place, les bibliothèques, réparties sur les 900 km2 qui forment Berlin (c’est-à-dire presque 9 fois la surface de Paris !), présentaient d’importantes disparités d’un arrondissement à l’autre, résultats de plusieurs décennies d’autonomie. Or, le VÖBB a entraîné une uniformisation, qui fait que, pour les usagers des bibliothèques, les arrondissements n’ont désormais plus de signification : il y a une carte de lecteur pour la ville et il est désormais possible de réserver un document à partir de n’importe quel point du réseau berlinois, et même de se le faire livrer à domicile.

Un avenir incertain

Cette informatisation centralisée a largement contribué à la fusion du réseau 3. Un tel rapprochement, effectué dans une période difficile de restrictions, pose cependant plusieurs interrogations :

–Quelle sera désormais la marge de responsabilité, et donc d’initiative, des bibliothèques d’arrondissement pour leur permettre de répondre aux besoins de leur environnement ?

–Peut-on imaginer des formes d’organisation qui, sans revenir à l’organisation antérieure, pourraient assurer autrement l’efficacité du réseau et la qualité du service rendu à la population ?

La question mérite d’être posée, car les derniers chiffres montrent un déclin progressif. Les budgets d’acquisition, déjà réduits considérablement depuis 1995, le seront encore plus dans les années à venir : pour 2002, le total des budgets des arrondissements était de 2 158 000 euros seulement, et pour 2003, seuls 1 916 200 euros figurent dans les plans budgétaires 3. En 1995, le montant s’élevait à 4,5 millions d’euros.

En outre, le nombre des bibliothèques est passé de presque 230 à l’heure de la réunification, à 127 en 2002. En 2003, il est encore prévu la fermeture d’au moins 13 autres bibliothèques. La réduction du nombre de ces établissements s’accompagne de celle des personnels : plus de 50 postes ont été supprimés en 2001, plus de 30 en 2002, et pour 2003 il faut craindre la perte d’au moins 20 autres postes. L’avenir ne s’annonce pas rose…

C’est pourquoi un nombre croissant de collègues réclame l’ouverture d’une discussion générale sur l’organisation de la lecture publique à Berlin. Ne vaudrait-il pas mieux quitter la tutelle des arrondissements et former un organisme nouveau (dans l’esprit, par exemple, de ce que sont, dans le contexte juridique français, les « établissements publics ») regroupant toutes les actuelles bibliothèques d’arrondissement ? Ne faudrait-il pas restructurer les services de façon à leur offrir une identité qui leur permette d’être plus efficaces ?

Ce mouvement en est à ses débuts. Les directeurs des bibliothèques des deux plus grands arrondissements de Berlin (Tempelhof-Schöneberg et Mitte), qui en sont les porte-parole 4, réclament la tenue d’une grande conférence nationale. Pour garantir plus de force et d’imagination que les seuls bibliothécaires berlinois ne peuvent en faire preuve, ils ont exigé un comité d’experts indépendants (composé de spécialistes venus de Berlin, des autres régions de l’Allemagne, mais aussi de l’étranger). Ce comité, baptisé « Lecture publique à Berlin en 2009 » aurait pour mission de proposer un modèle répondant à une vision prospective de la lecture publique à Berlin. Quel que soit l’espoir – malheureusement incertain – que peut susciter une telle initiative, la tonalité générale est à l’inquiétude, si ce n’est au découragement.

Cette peinture peut sembler pessimiste, à l’image, d’ailleurs, de la situation de la ville de Berlin. Elle ne doit pas décourager le lecteur français de venir à la rencontre des bibliothèques berlinoises, bien au contraire, et pas seulement pour l’intérêt que présente la ville en elle-même ! Certes la pénurie est bien là, mais elle est cependant loin de faire du réseau un désert ! Quelles que soient les difficultés qu’elles rencontrent, les bibliothèques de lecture publique de Berlin présentent toujours un grand intérêt pour leurs usagers et les visiteurs professionnels. Tel est tout particulièrement le cas des bibliothèques centrales des arrondissements (notamment Berlin-Mitte, mais aussi Wedding, Neukölln et Spandau), qui consacrent aux enfants et aux adolescents des services remarquables.

La problématique de leur devenir peut d’ailleurs éclairer la réflexion sur les mutations qui semblent aussi s’annoncer en France.

Enfin, qu’il me soit permis de dire, qu’en matière de bibliothèques aussi, Berlin, comme Paris, mérite (comme on dit en France) « le détour »… Alors, que ce soit dans le cadre des visites organisées par l’IFLA, ou encore (et peut-être de façon moins officielle et plus vivante), en dehors, ne manquez pas de le faire !

Décembre 2002

  1. (retour)↑  En 2002, Berlin reçoit 8 milliards d’euros (impôts, etc.), les dépenses pour le personnel seul (150 000 fonctionnaires et employés) : 7,3 milliards d’euros.
  2. (retour)↑  Verbund der Öffentlichen Bibliotheken Berlins (réseau automatisé des bibliothèques de lecture publique à Berlin) : http://www.voebb.de
  3. (retour)↑  Il faut souligner que les budgets sont très inégaux d’un arrondissement à l’autre : pour 2003, on peut trouver un minimum de 100 euros (pour 270 000 habitants !) et un maximum de 300 000 euros.
  4. (retour)↑  Engelbrecht Boese dans son article mentionné ci-dessus et Jörg Arndt dans une interview avec le quotidien Taz le 8 octobre 2002 http://www.taz.de/pt/2002/10/08/a182.nf/text