Schémas de services collectifs culturels

par Hélène Grognet
Ministère de la Culture et de la Communication, délégation à l’Aménagement du territoire et à l’Action régionale. Paris : Éd. des Journaux nationaux, 2002. – XIII –132 p. ; 30 cm. – (Journal officiel de la République française. Législation et réglementation ; 1754). ISBN 2-11-075309-9 : 9,50 €

C’est la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) du 25 juin 1999 qui a substitué au précédent schéma national d’aménagement et de développement du territoire plusieurs schémas de services collectifs : sur l’enseignement supérieur et la recherche, la culture, la santé, l’information et la communication, les transports, l’énergie, les espaces naturels et ruraux, le sport. Les schémas ont été approuvés par décret n° 2002-560 du 18 avril 2002, après un processus d’élaboration partagée et de consultation large au niveau régional (consultation par les préfets de région des parlementaires, des élus ; consultation des conseils régionaux, des conférences régionales d’aménagement et de développement des territoires, des conseils économiques et sociaux régionaux) et au niveau national. Ils sont publiés par les éditions des Journaux officiels, ils sont également disponibles sur le site de la Datar 1. Pour les lecteurs souhaitant une vue d’ensemble sur les différents schémas, il existe un ouvrage de synthèse paru à la Documentation française en 2002 : Les schémas de services collectifs.

La publication papier du Schéma de services collectifs culturels reproduit, sans autres commentaires, les éléments suivants : le rapport au Premier ministre relatif au décret précédemment cité, le décret lui-même, le schéma et sa déclinaison par région sous forme de documents d’objectifs régionaux.

D’une manière générale, les différents schémas, exercices de prospective à vingt ans, constituent désormais les cadres de référence dans lesquels doivent s’inscrire les politiques territoriales, et tout particulièrement celles qui font appel aux dispositifs contractuels (par exemple, les CPER contrats de plan État-région). Ils fixent également des dispositifs de suivi et d’évaluation régionaux et nationaux. Une première évaluation est prévue en 2005.

Des inégalités territoriales et sociologiques

Le travail s’appuie sur un état des lieux élaboré à partir des contributions des directions centrales du ministère, des directions régionales des Affaires culturelles, et sur divers documents, émanant notamment du département des Études et de la Prospective du ministère de la Culture et de la Communication : Les dépenses culturelles des communes, des régions et des départements : résultats de l’enquête 1993 et 1996, Les pratiques culturelles de Français 2 de 1997 et L’atlas des activités culturelles de 1998. Des cartes nationales issues de ce dernier document viennent illustrer le propos.

C’est d’abord la notion d’inégalités persistantes et de déséquilibre de l’offre qui est avancée : par exemple entre la région île-de-France et les autres, entre les territoires urbains, ruraux et périurbains. Un chiffre simple à retenir vient étayer cette constatation : la dépense culturelle en francs par habitant pour les départements varie de 1 à 10 ; pour les régions, elle varie de 1 à 13. L’état des lieux rappelle également que la dépense culturelle des collectivités territoriales est presque 2,5 fois plus élevée que celle du ministère chargé de la culture, et que ce sont principalement les communes qui portent cette dépense (près de 40 % du financement public de la culture). Deuxième idée-force : la politique d’offre jusqu’ici menée n’a pas suffi à réduire les inégalités sociologiques, ni le phénomène de non-appropriation de certains lieux ou certaines pratiques, malgré les efforts en matière de médiation culturelle et de politique tarifaire. Les tendances à la hausse enregistrées renvoient plus au gonflement des catégories de population les plus familières des équipements culturels (cadres et professions intellectuelles supérieures, professions intermédiaires, étudiants notamment) qu’à un réel élargissement des publics. Enfin, troisième constat majeur : l’essor des pratiques amateurs. Celles-ci ont doublé depuis 1973.

D’autres éléments ont contribué à modifier le paysage culturel : l’essor des technologies multimédias, les partenariats accrus entre l’État et les collectivités, l’émergence de nouvelles formes (musiques actuelles, spectacles de rue…).

Renforcement, développement et coordination

À partir de là, les objectifs et les mesures proposés s’appuient sur un certain nombre de principes : le maintien de la diversité culturelle, la réaffirmation d’un égal droit d’accès de tous à la culture, le rééquilibrage des territoires. Les mesures, même ordonnées selon divers objectifs, sont difficiles à résumer : il faudrait les citer toutes. On peut cependant relever trois logiques : le renforcement, le développement et la coordination. Le renforcement : il s’agit de conforter l’existant (soutien aux jeunes artistes, soutien à la librairie indépendante, élargissement de la charte des missions de service public…). Le développement des équipements : chaque citoyen devrait bénéficier, à proximité (le degré de proximité étant défini par la distance aux équipements évaluée en temps de trajet), d’une bibliothèque-médiathèque, d’un lieu de diffusion du spectacle vivant, d’un lieu de pratique artistique en direction des amateurs, d’une salle de cinéma, de l’accès à un établissement d’enseignement spécialisé ou à une antenne délocalisée. Mais également, développement des services : centres de ressources et d’information pour répondre aux demandes d’action et de pratique culturelle, services éducatifs dans les équipements… La coordination s’exprime à la fois dans la mise en place de structures, commissions, conseils… aux niveaux régionaux, départementaux ou intercommunaux : conseils territoriaux de la culture, commissions régionales pour la création architecturale et le patrimoine… et dans la volonté de regrouper les conventions thématiques (tels les contrats ville-lecture) dans des contractualisations plus transversales (Culture pour la ville-culture des villes).

Un catalogue de vœux pieux ?

L’élaboration de ce schéma comporte de nombreux points positifs : un état des lieux est un exercice nécessaire, la concertation a été effective, et l’existence d’un cadrage devrait rendre plus lisibles les politiques menées. Cependant, quelques points restent problématiques.

Dans la forme même, on note des redites et des répétitions, dont l’aspect le plus caricatural est la reprise intégrale de phrases entières : pages 54 et 55 « les politiques contractuelles seront développées et intensifiées par des outils d’action et des formes juridiques adaptées » et pages 59 et 60 « il importe que la dimension culturelle soit présente dans les contrats de pays ». « Copier-coller » malencontreux ou volonté incantatoire inconsciente ?

Sur le fond, on peut noter une certaine contradiction entre la volonté affirmée de substituer une logique de service à la logique d’investissement, suite aux résultats peu probants en matière d’élargissement des publics avérés par la dernière enquête sur les pratiques culturelles des Français, et la nécessité toujours présente de créer des équipements manquants. Sans parler des médiathèques, les demandes concernant les lieux de diffusion du spectacle vivant ou les lieux de répétition, ou encore les établissements d’enseignement artistique spécialisé… restent prégnantes.

De même, il existe toujours une contradiction entre le souhait d’une politique culturelle claire et la complexité des niveaux de contractualisation (agglomération, département, région) ou d’intervention en terme d’incitation ou d’expertise (pays) de l’État.

Enfin, le schéma reste empreint d’une caractéristique majeure du ministère de la Culture, inhérent à son domaine de compétence. À partir du moment où l’on reconnaît les formes émergentes de la création ou les nouvelles formes d’expression artistique, à partir du moment où l’on prend en compte les pratiques amateurs, sans abandonner les priorités antérieurement définies, les besoins croissent de façon exponentielle, et les mesures à prendre risquent de devenir un catalogue de vœux pieux.

Tel que, bien au-delà de son rôle de cadre de référence, et peut-être même à cause des problèmes qu’il soulève, le schéma de services collectifs culturels devrait être, me semble-t-il, une base de travail incontournable dans le cadre des réflexions actuelles sur la deuxième phase de la décentralisation.