Images du Moyen Âge

mois du patrimoine écrit 2002

par Philippe Hoch
catalogues d’expositions. Paris : Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation, 2002. – 20 cm. – ((Re)découvertes).

Depuis treize ans, le « mois du patrimoine écrit » instauré à l’initiative conjointe de la direction du Livre et de la Lecture et de la Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation, est l’occasion, pour de nombreux établissements, d’attirer l’attention du public sur les richesses, encore largement méconnues, qu’ils détiennent. Des sciences à l’enfance, de la géographie à la gastronomie, grande est la variété des domaines abordés, à la faveur desquels les bibliothécaires surent mettre en évidence la diversité, parfois insoupçonnée elle aussi, des fonds dont ils ont la garde. Or, les « trésors » les plus prestigieux, ces fonds médiévaux que chacun associe le plus volontiers à la notion de patrimoine, n’avaient jamais, avant l’année 2002, été mis en lumière dans le cadre « fédérateur » de l’opération nationale, si ce n’est à titre exceptionnel ou de façon incidente. Alors qu’était rendue consultable, sur le site du ministère de la Culture, une base de données consacrée aux enluminures conservées dans les bibliothèques municipales 1 et que paraissait un très bel ouvrage mis en œuvre par l’Institut de recherche et d’histoire des textes, les « images du Moyen Âge » ont fait l’objet d’expositions dans toute la France. Six d’entre elles, sélectionnées par les instances organisatrices, ont bénéficié de l’édition d’un catalogue publié dans l’irremplaçable collection « (Re)découvertes », qui compte à présent soixante-douze fascicules.

La représentation de l’auteur

Les bibliothécaires savent combien forte est la curiosité du public à l’égard des manuscrits – surtout enluminés –, copistes, scriptoria et de tout ce monde qu’un roman fameux, Le nom de la rose, a rendu un peu plus familier. La bibliothèque de Poitiers, en étudiant, sous le titre de Portraits d’écrivains, « la représentation de l’auteur », a voulu répondre aux interrogations que continuent pourtant de susciter les livres du Moyen Âge. Dans une contribution toute didactique, Éric Palazzo décrit les différentes étapes de la fabrication des manuscrits dans les ateliers, tant monastiques que laïques, depuis la préparation du parchemin jusqu’à l’enluminure. Ces peintures représentent fréquemment l’auteur du texte copié, c’est-à-dire, au sens propre, « celui qui possède l’autorité lui permettant d’écrire […] des textes valant pour tous les chrétiens ». Une iconographie abondante est ainsi née, où l’on retrouve les évangélistes à l’œuvre, peints dans la posture et l’activité du scribe, ou tel pape, figuré sous les traits d’un écrivain, à l’instar de Grégoire le Grand, composant ses traités inspiré par l’Esprit saint. Un choix de manuscrits, assez réduit toutefois (une dizaine de pièces seulement), opéré dans le fonds de la bibliothèque de Poitiers – dont Régis Rech rappelle les origines et la composition – et complété par quelques incunables et post-incunables, présente différentes facettes de ce thème très intéressant.

Usages et mésusages

Somptueusement enluminés ou ornés de manière stéréotypée, les manuscrits étaient voués à des usages variés, de la lecture quotidienne dans le cadre de la liturgie ou de l’étude, à l’ « ostention » lors des solennités religieuses. De ces destinations contrastées, les œuvres conservent les traces, comme le montre Pierre Guinard dans la belle introduction du catalogue de la bibliothèque de Lyon, Manuscrits médiévaux, de l’usage au trésor. L’auteur du texte, de façon il est vrai assez exceptionnelle, le copiste plus fréquemment, les possesseurs successifs d’un livre le marquent tour à tour de signes que des générations de paléographes s’efforcent d’interpréter. Au nombre des interventions, heureuses ou funestes, qui sont la destinée de pièces précieuses, il convient de ranger les « mésusages » tels que le vol, les dégradations, le vandalisme. Pourtant, même détériorés, les parchemins médiévaux possèdent désormais le statut qui ne leur est guère contesté de « trésors ». Parmi les chefs-d’œuvre les plus remarquables du fonds lyonnais, figurent les manuscrits de l’Antiquité tardive (derniers témoins « de toute une production livresque qui a dû être foisonnante sous le Haut Empire ») et de la période carolingienne provenant de la bibliothèque du diacre Florus, formée au IXe siècle et qu’étudie Louis Holtz. Il en va de même, à l’autre extrémité du Moyen Âge, des riches témoignages de « la floraison de l’enluminure lyonnaise » durant la seconde moitié du XVe siècle, commentés par Élizabeth Burin.

Moines noirs, moines blancs

Chacun sait quelle place prééminente occupent les textes sacrés dans les collections patrimoniales françaises, nées pour la plupart et pour l’essentiel des confiscations des biens ecclésiastiques. Inventaires et catalogues ne débutent-ils pas, très généralement, par une section consacrée à la Bible, bientôt suivie d’une autre recensant les commentaires que les Pères de l’Église donnèrent des saintes Écritures ? Puisant dans ses propres collections, formées autour des richesses du Mont Saint-Michel, et dans celles de Troyes, ville dépositaire des livres de Clairvaux, la bibliothèque d’Avranches a voulu mettre en exergue, sous le titre d’Images de la foi, les manuscrits scripturaires et patristiques des moines noirs – bénédictins normands – d’une part et des moines blancs – cisterciens – de l’autre. Au Mont, comme le rappelle Pierre Bouet, les religieux portaient un « intérêt primordial » à « la lecture et à la méditation des Écritures saintes », ainsi qu’à leurs commentaires. Une partie d’entre eux sont issus de l’atelier même de Saint-Michel, lequel connut son « âge d’or » dans le troisième quart du XIe siècle. Quelque soixante-dix codices encore conservés peuvent être rattachés à son activité, comme le rappelle Monique Dosdat, qui décrit finement les particularités de son travail, notamment les « initiales ornées, dont la réalisation atteignit […] un haut point de technicité et d’inventivité ». L’iconographie des manuscrits de Clairvaux, inspirée par des principes de dépouillement et d’austérité, est évidemment toute différente, puisque la représentation de créatures animées y est proscrite et que le « style monochrome » s’impose dans la décoration. Jean-François Genest en examine les caractéristiques dans un excellent chapitre consacré au scriptorium et à la bibliothèque de Clairvaux.

Avant la fin du IXe siècle peut-être, dès le Xe en tout cas, un atelier fut également formé à l’abbaye Saint Vaast, producteur de ces Enluminures arrageoises à l’honneur à la bibliothèque municipale d’Arras. Rose- Marie Normand-Chanteloup rappelle les grandes heures d’une fondation religieuse qui remonte au VIIe siècle, tandis que Denis Escudier tourne les pages de l’histoire de son scriptorium, depuis les origines, présumées antérieures à l’an 800, jusqu’à la période gothique. Quelques codices, auxquels l’auteur s’attache plus particulièrement, renferment de précieuses informations au sujet des religieux voués à « l’œuvre des livres ».

La comptabilité sacrée de saint Vaast

Les ex-libris, les formules d’anathème proférées à l’encontre d’éventuels voleurs ou encore les louanges adressées au saint protecteur (« Ce livre t’appartiendra à jamais, vénérable Vaast ») constituent autant d’indices dignes d’intérêt, comme le sont, plus encore, les indications livrant le nom des copistes ; ainsi Rodolfus Monachus, auteur d’un poème sur lequel s’ouvre l’un des volumes de la bibliothèque. « Pendant que j’écris ce livre, dit Rodolfus, Vaast m’observe du plus haut de l’éther… Il note le nombre de signes que je vais tracer à la pointe du calame, le nombre de sillons que je vais creuser sur la page, le nombre de piqûres et de déchirures… Alors, observant notre travail et notre œuvre : dans ce livre, dira Vaast, je compte tant de signes, tant de sillons, tant de points ; ce sont autant de péchés que j’efface de ma liste. » L’identité de nouveaux copistes est révélée dans tel autre codex, où la contribution de chaque scribe a été clairement identifiée. Plutôt rares, de tels exemples sont, pour le spécialiste, pain bénit.

Lumières du Moyen Âge

Les médiévistes savent aussi quelles extraordinaires richesses conserve la bibliothèque universitaire de médecine de Montpellier 2. Bien que « née de la Révolution », selon le titre qu’Hélène Lorblanchet a donné à sa contribution au catalogue Images du savoir, la collection montpelliéraine porte l’empreinte d’un disciple des Lumières, Gabriel-Victor Prunelle, médecin, bibliophile, honnête homme, soucieux de faire bénéficier les futurs praticiens de la culture la plus vaste. En 1802, le ministre de l’Intérieur, Chaptal, le chargea de prélever dans les dépôts littéraires de la capitale tous les livres qui pourraient utilement former une bibliothèque pour la faculté de médecine de Montpellier. À travers les choix de Prunelle, se révèlent les goûts et la forte personnalité d’un homme dont Mireille Vial brosse le portrait. Prunelle voyait dans le Moyen Âge une période radieuse. Si Charlemagne incarnait à ses yeux « le restaurateur des lumières en Occident », il se plaisait à souligner par ailleurs l’apport irremplaçable des Juifs et des Arabes aux sciences médicales et philosophiques. C’est à cet homme, prônant « encyclopédisme et retour aux sources », que la bibliothèque universitaire de Montpellier doit les pièces remarquables présentées dans le catalogue.

Grande figure de l’histoire médiévale, Jeanne de France (1464-1505) renvoie, quant à elle, une image de la foi, comme le montre l’exposition que vient lui consacrer la bibliothèque de Bourges. Fille du roi Louis XI et de la reine Charlotte de Savoie, épouse de Louis XII avant qu’une sentence n’annulât cette union, Jeanne fut, selon Françoise Autrand, la « mal-mariée ». Elle fonda, il y a cinq siècles tout juste, l’ordre de la Vierge Marie, dit de l’Annonciade. De nombreux documents (manuscrits, imprimés, périodiques, gravures, lithographies, photographies et autres pièces iconographiques) décrits et commentés de façon souvent détaillée, évoquent la vie de la sainte, « d’une vertu et d’une foi exceptionnelles », qui lui valurent d’être canonisée en 1951. Six maisons en France et une en Belgique perpétuent de nos jours la dévotion à la Vierge Marie et son imitation voulues, il y a cinq cents ans, par Jeanne de France, duchesse de Berry.