Évaluation de la formation initiale des bibliothécaires

Denis Pallier

Trois conseils de perfectionnement ont été créés en 2000 par l’Enssib auprès du conseil scientifique : un pour le diplôme de conservateur de bibliothèque (DCB), un pour la formation initiale des bibliothécaires et un pour la formation continue. Cette création était prévue par le contrat d’objectifs passé par le ministère de la Culture et de la Communication avec l’école pour la période 1999-2002. Le conseil de perfectionnement du DCB comme le conseil de perfectionnement de la formation initiale des bibliothécaires ont remis un rapport au conseil scientifique de l’Enssib. C’est une version abrégée de ces deux rapports qui est publiée ici.

Three working groups for improvement [“conseils de perfectionnement”] were set up in 2000 by Enssib alongside the scientific council: one for the diploma of library conservation officers (DCB), one for the initial education of librarians and one for continuing education. The creation of these councils had been anticipated by the agreement of objectives for the period 1999-2002, accepted by the Ministry of Culture and Communication along with Enssib. The working group for the DCB and that for the initial education of librarians have each sent a report to Enssib’s scientific council. It is an abridged version of these two reports that is published here.

Im Jahr 2000 wurden innerhalb des Wissenschaftsrats der ENSSIB (École nationale supérieure des sciences de l‘information et des bibliothèques) drei Beratungsausschüsse gegründet, um die folgenden Ausbildungsmöglichkeiten zu beurteilen: das Diplom für Bibliotheksleiter (DCB), die Grundausbildungskurse für BibliothekarInnen, Fort- und Weiterbildungskurse. Die Gründung dieser Ausschüsse wurde in einem Vertrag mit dem Ministerium für Kultur und Kommunikation über die Ziele der Schule zwischen 1999 und 2002 vereinbart. Die ersten zwei Ausschüsse haben dem Wissenschaftsrat der ENSSIB ihre Gutachten vorgelegt. Der Artikel ist eine Kurzfassung dieser Berichte.

Tres consejos de perfeccionamiento fueron creados en el año 2000 por la Enssib ante el consejo científico : uno para el diploma de conservador de biblioteca (DCB), uno para la formación inicial de los bibliotecarios y uno para la formación continua. Esta creación estaba prevista por el contrato de objetivos pasado entre el ministerio de la Cultura y de la Comunicación con la escuela para el período 1999-2002. El consejo de perfeccionamiento del DCB así como el consejo de perfeccionamiento de la formación inicial de los bibliotecarios remitieron un informe al consejo científico de la Enssib. Se publican aquí una versión abreviada de estos dos informes.

Suivant le contrat d’objectif passé entre le ministère de la Culture et l’Enssib (École nationale des sciences de l’information et des bibliothèques) pour la période 1999-2002, un conseil de perfectionnement (CP

Illustration
Composition du conseil de perfectionnement

) devait être chargé « de veiller à la cohérence et à l’évaluation du cursus de formation initiale des bibliothécaires », aux côtés d’un conseil de perfectionnement chargé de la formation initiale des conservateurs et d’un conseil d’orientation de la formation continue.

Il était précisé que le conseil de perfectionnement se prononçait sur le contenu pédagogique du cursus de formation et sur les méthodes utilisées, et qu’il remettrait un rapport au conseil scientifique de l’Enssib 1. Le directeur de l’Enssib a en outre indiqué, lors du conseil d’administration du 20 octobre 1999, avoir besoin d’indications nettes des employeurs, avoir besoin du point de vue des décideurs sur le « produit » que l’école leur envoie. Au sein des conseils de perfectionnement, ceux-ci doivent pouvoir indiquer les grandes directions dans lesquelles ils souhaitent que l’école s’engage.

Le conseil s’est réuni six fois, tantôt à Paris, tantôt à Villeurbanne, d’octobre 1999 à septembre 2001. Les membres ont été désignés par le conseil d’administration de l’Enssib, après concertation avec les administrations. A priori, ce conseil visait à représenter les différents types de bibliothèque. Sur le papier, il comportait quinze membres, plus des invités et des représentants du ministère de l’Éducation nationale (SDBD), du ministère de la Culture (DLL) et de l’Enssib. En fait, quel que soit le lieu des réunions, c’est un groupe de huit à neuf membres et invités, dont deux à trois directeurs de bibliothèque, qui a fonctionné.

À plusieurs reprises, des membres du CP de la formation initiale des bibliothécaires se sont enquis de la complémentarité de leur action avec celle du CP du diplôme de conservateur de bibliothèque (DCB). Une information sur les thèmes abordés parallèlement était souhaitée. En fait, la concertation des deux CP, autonomes et juxtaposés, a reposé sur les informations que se sont transmises leurs présidents, tous deux inspecteurs généraux.

Au-delà du problème de l’information réciproque et de la coopération entre CP, les deux présidents se sont interrogés sur la meilleure manière de répondre aux objectifs d’une école qui forme à la fois les bibliothécaires et les conservateurs. Est-il utile que deux groupes réfléchissent séparément sur ce qui distingue les fonctions des bibliothécaires et des conservateurs ? Est-il utile que deux groupes examinent, avec des méthodes différentes, deux formations assurées au sein d’une même école ?

L’opinion commune des deux présidents de CP est qu’après le travail de défrichage entrepris par des conseils de perfectionnement distincts, les conseils de l’Enssib devraient insister sur le transversal, pour tirer toutes les conséquences de la réunion depuis 1999 de deux formations très différentes au sein d’un établissement d’enseignement supérieur. Cela pourrait être fait en confiant la suite des études non à des CP autonomes mais à la Commission pédagogique de l’école, susceptible de créer des groupes de travail spécialisés et de coordonner leurs résultats.

Le contexte spécifique de la formation des bibliothécaires d’État

Il n’est pas possible d’examiner l’appareil de formation des bibliothécaires en 2002, sans examiner l’état du corps créé en janvier 1992. A priori, l’existence de deux corps de catégorie A dans une même filière n’est pas exceptionnelle (ainsi les attachés d’administration et les administrateurs civils). Le corps des bibliothécaires préexistait dans la Fonction publique territoriale. Il a son équivalent dans le secteur documentaire (chargés d’études documentaires). Cependant, en ce qui concerne le corps d’État, deux éléments négatifs méritent d’être soulignés. Ils ne sont pas sans conséquence sur la formation.

Le corps des bibliothécaires

Les perspectives de développement et d’emploi du corps des bibliothécaires ne sont pas discernables.

Le corps des bibliothécaires demeure le plus petit corps des bibliothèques (528 personnes, 9 % du total, à côté de 1 543 conservateurs représentant 27 % des personnels). Dans la Fonction publique territoriale, la situation est inverse (1 385 bibliothécaires et 570 conservateurs) 2.

Ce corps est très inégalement réparti, en raison à la fois de son origine (une part des bibliothécaires issus des concours exceptionnels a été nommée sur place) et des faibles créations d’emplois de bibliothécaires après 1995.

On a examiné, d’après des statistiques établies pour 2000, la proportion relative des bibliothécaires et des conservateurs dans les bibliothèques d’enseignement supérieur (où exercent les deux tiers des bibliothécaires). Sur 110 bibliothèques, 5 disposaient de plus de bibliothécaires que de conservateurs et 16 d’un nombre égal de postes des deux catégories. Partout ailleurs, les conservateurs étaient plus nombreux. Dans les BIU (bibliothèques interuniversitaires) de Paris, les anciennes BU provinciales, les SCD (services communs de la documentation) parisiens anciens, on trouve peu de cas où le pourcentage des bibliothécaires est égal à 50 % des conservateurs. On sait par ailleurs que la majorité des bibliothèques universitaires manque de personnel de catégorie B, ce qui peut tirer les bibliothécaires vers des tâches techniques.

Sur cette base, on peut craindre que les conditions d’exercice du métier de bibliothécaire soient très différentes d’un lieu à un autre.

Ce corps récent est issu très majoritairement de la promotion interne. Les concours exceptionnels qui se sont succédé de 1992 à 1995 ont pourvu 436 postes (82 % du total actuel).

Les concours non exceptionnels ont été ouverts pour un nombre limité de postes (20 en 1992, 48 en 1996, 40 en 1998, 16 en 2000, en utilisant, il est vrai, toutes les possibilités des listes complémentaires). Suivant le décret portant statut du corps (art. 4, 2 e), le concours interne de recrutement est ouvert « pour la moitié au plus du nombre total des postes mis au concours ». En gestion, les concours internes non exceptionnels ont été constamment ouverts pour la moitié des postes. La différence est sensible par rapport aux conservateurs, où la majorité des emplois (2/3 des emplois au moins) est offerte au concours externe.

La formation en alternance

Le cadre de formation retenu, formation dite en alternance, postaffectation, constitue un handicap spécifique au corps des bibliothécaires.

L’article 7 du décret n° 92-29 du 9 janvier 1992 portant statut particulier du corps des bibliothécaires indique : « Les candidats reçus aux concours mentionnés à l’article 4 sont nommés par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur en qualité de stagiaire. La durée du stage est fixée à un an. Ils reçoivent au cours de ce stage une formation dont le contenu et les modalités d’organisation sont fixés par arrêté… » Dans les faits, les candidats reçus sont nommés stagiaires dans une bibliothèque, où ils reçoivent une formation postaffectation. Dans le cas des conservateurs, le décret n° 92-26 du 9 janvier 1992 portant statut de ce corps prévoit (art. 4) que « les conservateurs stagiaires, élèves de l’Enssib, sont nommés par arrêté du ministre de l’Enseignement supérieur… » Ils sont élèves de l’école.

L’alternance entre école, stage et établissement d’affectation, a fortement pesé sur la construction pédagogique. Elle explique le choix d’une formation en modules pour gérer le temps annuel et adapter la formation à des profils différents (modules de spécialisation). Chaque module traite un sujet sur une semaine. Cette organisation a ses inconvénients. Jusqu’où peut-on découper les modules, différencier l’offre faite aux internes et aux externes ? Comment articuler modules et apprentissages longs (catalogage, bibliographie, informatique) ? C’est un choix qui peut entraîner une moindre progressivité, une possibilité d’approfondissement limitée (moins de temps disponible pour un travail personnel). Il s’accompagne d’une multiplicité d’enseignants. De même l’alternance et la forte part de stagiaires issus du concours interne ont conduit à personnaliser les cursus (validation des acquis, projet professionnel personnel – PPP, modules de spécialisation).

On devine l’intérêt possible d’une formation en alternance :

–intérêt pour le stagiaire, appliquant ses acquis dans un cadre professionnel, acquérant des compétences pratiques, « comportementales » ;

–intérêt pour l’établissement d’affectation (apport de connaissances à jour, insertion dans les équipes) ;

–intérêt pour l’école qui construit sa formation en fonction de savoirs qui évoluent et de compétences attendues.

L’affectation dans un poste au moment où débute une formation d’une année est une particularité exceptionnelle parmi les personnels des bibliothèques d’État. Il est apparu nécessaire de faire le bilan des avantages et inconvénients de cette organisation Ce bilan est largement négatif.

Du point de vue de l’établissement d’affectation, il s’agit d’une fausse alternance, quoique le département de la formation initiale des bibliothécaires se soit efforcé de rééquilibrer les périodes passées en établissement d’affectation et les périodes de formation à Villeurbanne et de stage. Dans le calendrier actuel, l’essentiel de la formation se déroule de novembre à mi-juillet. Pendant ces huit mois et demi, la durée de présence dans l’établissement d’affectation (doublée) est passée de 3 à 6 semaines. Le stagiaire est présent dans l’établissement d’affectation après mi-juillet, mais doit encore suivre deux modules de spécialisation, situés en septembre-octobre. Pour l’établissement, le poste est occupé, indisponible pour recruter un vacataire. L’établissement a le sentiment de prêter un poste pour la période de plus lourde charge annuelle.

Le stagiaire est partagé entre l’établissement d’affectation et l’Enssib. Une part des candidats internes est tentée de demander une large validation d’acquis, qui les dispense de modules de formation et leur permet de passer plus de temps sur leur lieu d’affectation. Internes et externes protestent contre les conditions matérielles : double localisation, donner satisfaction à deux maîtres sur des registres très différents 3

Le département de la formation initiale des bibliothécaires a toute la charge pédagogique. Il doit solliciter la relation avec les établissements d’affectation. Beaucoup de directeurs de bibliothèque ne viennent pas à la réunion organisée et ne sont pas représentés. Le département a l’essentiel de la charge de la personnalisation des cursus.

Sur ce point, le conseil de perfectionnement pense qu’il serait opportun d’aligner les deux formations assurées par l’Enssib. Le décret statutaire des bibliothécaires devrait être corrigé : « Les bibliothécaires stagiaires, élèves de l’Enssib, sont nommés par arrêté du ministre chargé de l’Enseignement supérieur », après création de postes d’élèves-bibliothécaires. Comme stagiaires gratuits, ils seront très bien accueillis et appuyés par les bibliothèques.

La formation des bibliothécaires

Quelques rappels généraux doivent être faits avant d’aborder les différents éléments de la formation.

–La formation des bibliothécaires n’est pas, en l’état, une formation d’enseignement supérieur, mais une formation de fonctionnaires, non diplômante.

–La formation « longue » des bibliothécaires stagiaires issus des concours non exceptionnels a commencé en 1995. L’Institut de formation des bibliothécaires a montré très tôt un souci d’évaluation.

–Les constats du CP ont été faits dans la période 2000-septembre 2001, sur la base des informations disponibles alors, tant sur l’organisation des formations, que sur l’effectif pédagogique et les moyens techniques.

Un fait doit être souligné. La formation des bibliothécaires repose quasi exclusivement sur des intervenants extérieurs. Pour être efficace, elle doit être solidement coordonnée. Les coordinateurs de modules doivent assurer la cohérence des interventions au sein du module et la qualité des méthodes pédagogiques. Ils doivent assister à tous les modules pour être capables de proposer leur recentrage. L’équipe centrale doit garantir le déroulement de la formation du personnel d’État, d’une part, et de la formation des personnels territoriaux, d’autre part, dissociée dans sa forme, ses contenus et sa gestion.

Les objectifs de compétences

La formation conçue pour les bibliothécaires est une formation généraliste, pour les rendre aptes à exercer leur métier dans tout poste relevant de leur statut. En même temps, elle devait être opératoire, maîtrise des concepts et apprentissage instrumental. Elle visait en outre une personnalisation du cursus.

L’IFB a proposé très tôt un tableau détaillé d’objectifs de compétences pour les bibliothécaires. Celui-ci demeure une référence pour le département de la formation initiale des bibliothécaires 4.

Alors que pour le corps des conservateurs les attributions sont illimitées, dérive liée à la pénurie de spécialistes et à une logique de territoire, un noyau de compétences a été bien identifié pour les bibliothécaires. Si on examine les résultats de l’enquête de Bertrand Calenge 5, l’étude menée en 1999 par le Conseil supérieur des bibliothèques sur les organisations de travail et l’encadrement, et enfin les profils de poste des bibliothécaires stagiaires des quatre derniers cycles (F à I, 1998-1999 à 2001-2002), les attributions les plus fréquentes des bibliothécaires sont la gestion d’un fonds, les acquisitions et le traitement documentaire, le service documentaire au public, la formation (avec une prédominance des dernières fonctions depuis 1998)… Cela correspond aux rubriques B, C, D, E du tableau de compétences. On doit noter que, pour répondre aux objectifs de compétences identifiés, l’IFB a mis en place des formations pionnières, tel le module « Collections ».

En revanche, le CP s’est interrogé sur le niveau de compétences recherché par les bibliothécaires et/ou sur le caractère opératoire de la formation.

Au vu des éléments d’évaluation de la formation du cycle G (1999-2000), fournis par le département de la formation initiale des bibliothécaires, les compétences recherchées par les bibliothécaires semblent se situer plutôt au niveau 2 du tableau des objectifs de compétences (« être capable d’utiliser », connaissances solides), qu’au niveau 3 (« être capable de contrôler, gérer », connaissances approfondies). Les modules jugés les plus utiles pour le métier, ceux dont le volume horaire est jugé insuffisant, correspondent aux matières donnant lieu à un apprentissage technique (Recherche documentaire, Traitement de l’information, Informatique…). La promotion F avait de même manifesté plus d’intérêt pour les cours techniques et fort critiqué le « survol » des techniques bibliothéconomiques (Rameau, Unimarc, recherche bibliographique).

Dans la formation, telle qu’elle a été conçue et telle qu’elle est offerte, l’accent a été mis sur l’encadrement, les enjeux, les perspectives des bibliothèques, ce qui était inédit. Pourquoi les bibliothécaires stagiaires insistent-ils sur les techniques ? Leur position peut être biaisée par les attentes immédiates des établissements où ils sont affectés et par la recherche d’une légitimité technique « compensatoire » par rapport aux conservateurs. Il est aussi possible que les enseignements techniques aient été insatisfaisants.

Pour mettre à jour les objectifs de compétences, il est apparu indispensable au CP de prendre l’avis du terrain. Un projet d’enquête a été élaboré par le CP.

Conception d’ensemble de la formation

Le niveau d’élaboration des documents reçus doit être souligné. On peut difficilement accuser les responsables de la formation des bibliothécaires de juxtaposer des contenus sans formuler des objectifs. L’IFB a dès le départ fixé des objectifs de compétences, en combinant métier et niveau statutaire.

Si on a en mémoire les critiques qui ont pu être faites par le passé à la formation des conservateurs (faible tronc commun, excès d’informatique, besoin de structurer autour de domaines fondamentaux), aucune ne paraît s’appliquer à l’enseignement des bibliothécaires.

L’organisation des enseignements est simple. Les modules de base constituent un très fort tronc commun, réparti en six ensembles thématiques :

–PS : Publics et services en bibliothèque (5 modules) ;

–INF : Informatique générale et informatique en bibliothèque (4 modules, dont un consacré à la bibliothèque numérique) ;

–COL : Bibliologie et collections (5 modules, le dernier consacré à la coopération documentaire) ;

–TI : Traitement de l’information (2 modules) ;

–REC : Recherche documentaire (3 modules) ;

–MAN : Management des bibliothèques (3 modules).

Les ensembles retenus se rapprochent de ceux de la formation initiale des conservateurs, de façon à favoriser les interactions entre les formations assurées à l’Enssib.

Chaque module occupe une semaine. À chaque semaine correspond un objectif, dans un ordre d’apprentissage. Des modules d’ensembles différents se succèdent par niveau, en recherchant un maillage cohérent et en résolvant les problèmes pratiques que représentent les cours communs avec les conservateurs. Différents travaux sont réalisés au sein des modules d’enseignement. Un après-midi par semaine est consacré à des ateliers et travaux pratiques d’approfondissement (catalogage, manipulation des outils informatiques…).

Pour compléter cette formation très unitaire, avec très peu d’options, chaque stagiaire doit suivre également deux modules de spécialisation, destinés à le rendre plus opérationnel sur les questions qu’il doit traiter à son poste. On a vu que les stages étaient intégrés au cursus.

Au long de l’année, les stagiaires rendent cinq travaux personnels faisant le lien entre modules d’enseignement, stages pratiques ou travail sur le poste. S’y ajoute un devoir sur table portant sur les enseignements de management et d’informatique. Un rapport professionnel (projet professionnel personnel, PPP) doit être rédigé au cours de la formation.

L’ensemble paraît une construction lisible et cohérente, visant à faire acquérir aux bibliothécaires stagiaires la formation initiale indispensable pour tout emploi, compétences spécifiques (culture du livre, de l’information, connaissance des publics, nouvelles technologies…) et compétences complémentaires. C’est une formation à jour (sur les ressources électroniques, les espaces…). Elle invite les bibliothécaires à se situer dans l’économie de l’information, à réfléchir aux politiques publiques.

A priori, l’ensemble a été jugé très positivement par le CP, qui a trouvé peu de lacunes (le droit des collections ?).

Ce cycle de formation comporte cependant un défaut, ressenti par les enseignants et apparent dans les évaluations rendues par les stagiaires : le cursus n’est pas adapté à l’hétérogénéité des bibliothécaires stagiaires.

La formation initiale des bibliothécaires doit en effet satisfaire deux publics distincts, égaux en nombre. Les apprenants se partagent entre stagiaires issus du concours interne et stagiaires issus du concours externe, ou plutôt entre internes et faux externes, connaissant le métier, et vrais externes. Non seulement ces derniers ont une faible connaissance des bibliothèques et de la diffusion de l’information, mais certains ignorent ce qu’est un métier et un cadre de travail. Ils ont une vision angélique des métiers culturels, refusant par exemple l’évaluation, comme « outil du privé ».

C’est un problème que d’évoquer les enjeux, le service public, le service au public avant que les externes sachent ce qu’est une bibliothèque, comment elle fonctionne. Il n’est pas plus facile de situer le catalogage et l’indexation devant un groupe composite.

Le département peine à satisfaire internes et externes sur les mêmes bases. Cela apparaît nettement dans l’évaluation des enseignements par les stagiaires. Les bibliothécaires issus du concours externe ne voient pas clairement les objectifs des modules PS, COL, INF, REC, tout en s’intéressant davantage aux unités de PS et COL plus généralistes. Pour les stagiaires issus du concours interne, leur préférence va aux modules plus techniques (INF, TI, REC).

L’équilibre entre théorie et pratique

À l’issue de la scolarité, les évaluations faites par les stagiaires font état d’une formation trop magistrale et pas assez active. Les bibliothécaires issus du concours externe pensent avoir acquis une culture professionnelle, une connaissance des problématiques des bibliothèques. Les bibliothécaires issus du concours interne font état d’une remise à jour, d’ouvertures. Mais les uns et les autres attendaient plus de formation technique et opératoire, de transmission d’outils et de références instrumentales. La demande porte sur la forme (plus de travaux pratiques, d’ateliers, d’exercices), et parfois sur le fond (ateliers de catalogage peu nombreux, dispersés dans le temps, pas de pratique d’un SIGB). En réponse, le département ouvre de nouveaux ateliers (création d’un site web, gestion de projet…) et souhaite la participation active des stagiaires sur le terrain.

Du point de vue du CP, un substrat technique fort est nécessaire aux bibliothécaires. Le conseil est favorable à une pédagogie active. Il a constaté que le découpage des intervenants au sein des modules de la formation des bibliothécaires entraîne moins de permanence et de vue transversale et qu’il est du coup plus facile de faire des cours magistraux que des travaux dirigés.

Pour améliorer la situation, trois recommandations sont faites :

–comptabiliser précisément les enseignements appliqués, dans et hors module, et fixer des objectifs de formation plus active ;

–demeurer attentif aux apprentissages longs (catalogage, bibliographie, informatique) ;

–augmenter l’encadrement pédagogique.

Modes d’évaluation

Les différentes étapes de l’évaluation au sein du département, présentées par Noëlle Drognat-Landré, ont appelé peu de remarques du conseil :

–travaux personnels notés, avec un allègement des devoirs, l’abandon des TP notés. Le département reconnaît un problème de corrections (délai, explications) ;

–travaux de groupe réalisés au cours de modules de base ;

–rapport professionnel (PPP), rédigé pendant les six mois précédant la fin de la formation et rendu un mois avant la fin du cursus ;

–bilan de milieu et de fin d’année ;

–certification des bibliothécaires ayant répondu aux obligations d’assiduité et obtenu la moyenne générale ;

–évaluation des enseignants par le coordinateur, hypothèse d’évaluation par les stagiaires.

Pour respecter l’arrêté de 1993, les différents travaux de groupe et travaux personnels sont regroupés pour aboutir à 5 notes, vérifiant différents acquis. C’est un aménagement fonctionnel d’un cadre contraignant. Le PPP fait l’objet d’une note distincte. Une septième note est donnée à un devoir sur table.

Le problème du diplôme a été évoqué. La formation des bibliothécaires succède à une formation diplômante offerte dans un contexte différent (le CAFB, diplôme professionnel, sanctionnait l’acquisition d’une formation technique, prérecrutement). Cette formation est donnée maintenant dans un établissement d’enseignement supérieur, qui procure un diplôme de fin d’études aux conservateurs. Pour les bibliothécaires stagiaires, l’absence de diplôme est perçue comme l’absence de validation scolaire d’une année d’études (la validation professionnelle est donnée par la titularisation).

De nombreuses formations postrecrutement de fonctionnaires ne sont pas sanctionnées par un diplôme. Mais, dans le cas considéré, l’existence d’un vrai diplôme aurait des avantages :

–pour des élèves associés (il y en a eu et le département reçoit beaucoup de demandes) ;

–pour la recherche d’un poste à l’étranger ;

–pour des candidats internes sans diplômes généraux, qui auraient la possibilité de continuer des études sans demander la validation d’une université.

Pour qu’une formation postrecrutement soit sanctionnée par un diplôme, cette disposition doit être inscrite dans le statut du corps considéré. Cela supposerait une modification du décret portant statut des bibliothécaires.

Le CP s’est également interrogé sur le poids réel de la scolarité dans la validation professionnelle, puisque le bibliothécaire est titularisé par le directeur de l’établissement d’affectation, dont les critères sont professionnels. Ce directeur est destinataire des relevés de notes. Mais le cas a été rencontré d’un directeur proposant la titularisation d’un bibliothécaire, en ignorant qu’il ne s’était pas soumis au contrôle obligatoire des connaissances (absence de PPP).

La formation des bibliothécaires territoriaux

Dans les évaluations organisées par l’IFB, la question « Quelle formation est nécessaire à un bibliothécaire de lecture publique, quelle formation est nécessaire à un bibliothécaire d’État ? » a été posée et reposée. Chaque fois a été recommandée l’homologie des formations, plus la prise en compte du fait que les bibliothécaires territoriaux assurent souvent des responsabilités de direction.

La formation actuelle des bibliothécaires territoriaux, telle qu’elle a été décrite au CP par Catherine Lancha, est différente de celle des personnels d’État, par son cadre, mais aussi son contenu et sa gestion. Le cadre est celui des écoles nationales d’application des cadres territoriaux (Enact), en charge de la formation des cadres territoriaux A et B. Cette formation s’échelonne sur quatre années : une année pour la formation avant titularisation (FAT) d’une durée de six mois, puis la formation d’adaptation à l’emploi (FAE) représentant six mois au cours des trois années suivantes.

Une convention, passée pour deux ans en mai 2000, a fixé la participation de l’Enssib. L’Enssib est un prestataire de services, qui organise chaque semestre des stages de formation destinés aux bibliothécaires territoriaux en formation postrecrutement. Suivant le dispositif initial, il s’agissait de :

3 stages « fondamentaux professionnels », d’une semaine chacun (27 heures), dans chacune des Enact d’Angers, Montpellier et Nancy, soit 9 stages par semestre. Destinés à l’ensemble des bibliothécaires, issus du concours interne ou du concours externe, ils ont pour objet d’apporter des connaissances professionnelles et des éléments de réflexion et de méthode. Les thèmes sont : « Le bibliothécaire dans son environnement professionnel et les missions de la bibliothèque publique », « Publics et services en bibliothèque », « Concevoir et conduire une politique documentaire ». Un coordinateur scientifique, directeur de bibliothèque municipale ou de bibliothèque départementale de prêt, organise la semaine de stage, choisit et encadre les intervenants.

5 stages optionnels, un dans chaque Enact, à Angers, Dunkerque, Montpellier, Nancy et un à l’Enssib, soit 5 stages par semestre. Ces stages, également d’une semaine, sont conçus pour apporter des savoirs techniques aux bibliothécaires issus du concours externe. Ils ont pour thèmes : « Constitution des collections » (2 stages), « Traitement des collections », « Renseigner et orienter les publics », « Organisation spatiale et circulation des documents ».

Ce dispositif a été fortement modifié. Le dispositif initial garantissait l’apprentissage de trois fondamentaux en formation avant titularisation. Ces enseignements se trouvent désormais dans un ensemble utilisable à la carte.

Le département de la formation continue des bibliothécaires à l’Enssib ne gère pas les stagiaires et ne reçoit pas d’information de gestion. Cependant des problèmes de fond lui sont apparus :

–La formation réelle est trop courte et la notion de cursus n’est pas reconnue. De manière générale, la participation aux stages et l’ordre des stages ne sont pas gérés. Ainsi, d’après un essai d’évaluation fait par le département, peu de stagiaires suivent une formation complète. Les fondamentaux sont suivis de manière dominante, mais un stagiaire peut suivre un optionnel avant les fondamentaux, et un optionnel entre deux fondamentaux. Les stagiaires issus du concours interne semblent largement dispensés de formation (validation d’acquis ?).

–La formation ne tient pas compte d’un public très hétérogène.

En outre, l’Enssib rencontre des problèmes pratiques : trouver des coordinateurs et intervenants prêts à se rendre dans les Enact, qui disposent de peu d’équipement informatique et documentaire ; aller en site pour ouvrir et évaluer des stages auxquels le représentant de l’Enssib ne peut assister dans leur entier. Le principe a été accepté que l’Enssib devienne lieu de stage, ce qui réglera des problèmes d’équipement et d’intervenants.

Pour la révision de la convention Enssib/CNFPT, en mai 2002, de meilleures perspectives peuvent être ouvertes.

Conclusion

Un groupe de travail peut difficilement avoir une vision directe et exhaustive d’une formation. Ici, les avis du conseil de perfectionnement sur la coordination des modules, sur les travaux et leur notation, sur les possibilités d’approfondissement ou sur les stages, résultent du croisement des avis des responsables de la formation et des évaluations demandées aux stagiaires. Et le conseil a eu le sentiment de s’appuyer sur une équipe compétente, dotée d’outils d’évaluation.

Le conseil de perfectionnement a souligné les points forts de la formation initiale des bibliothécaires :

–Réflexion approfondie sur les objectifs de compétences.

–Recherche de personnalisation des cursus.

–Évaluation permanente des enseignements, exploitation détaillée des réponses des stagiaires.

–Veille professionnelle et adaptation continue.

Plusieurs constats du CP sont des rappels et illustrations de difficultés déjà identifiées par l’IFB, qui a montré très tôt un souci d’évaluation :

–La faible durée de l’enseignement, qui compte peu de stages et offre une fausse alternance.

–La nécessité d’adapter l’enseignement à deux populations, si les concours et l’offre de postes ne sont pas modifiés.

–La recherche d’un meilleur équilibre entre théorie et pratique.

–L’intérêt de sanctionner la formation par un diplôme.

–Le caractère insatisfaisant d’une formation territoriale légère et sans cursus.

L’apport original du conseil concerne essentiellement deux questions :

–la question stratégique du positionnement des bibliothécaires dans les établissements. Cette question est posée en termes de fonctions. Il n’est pas apparu qu’elle se pose fortement en termes de spécialités disciplinaires ;

–l’amélioration nécessaire de la procédure de validation des acquis (qui est aussi une condition de l’adaptation des enseignements à deux populations, un moyen d’informer les intervenants sur le niveau des stagiaires).

Ce CP a eu en outre une préoccupation permanente : l’encadrement de la formation. Dans l’organisation de la formation des bibliothécaires, le choix a été fait de diversifier les intervenants, option considérée comme un moyen d’ouverture sur le métier et de renouvellement. Mais, pendant la période de fonctionnement du CP, ce dispositif a connu deux difficultés. La première est commune à nombre d’organismes de formation, c’est la difficulté à recruter et fidéliser de nouveaux intervenants pertinents et professionnels. La seconde difficulté a été l’expérience du minimum en termes d’encadrement pédagogique. Or, dans l’organisation en place, des responsables de modules sont indispensables. Ils doivent assister à tous les enseignements, recadrer, concentrer. Chacun doit assurer la cohérence dans le module et son lien avec les autres enseignements. Un effectif de base permanent doit être garanti à la formation initiale des bibliothécaires.

Septembre 2002

Illustration
Pierre Lombard face à ses étudiants. Pierre Lombard, Livres des sentences (détail), XIIIe siècle, ms. 79 (54). © Olivier Neuillé / BMVR de Poitiers, Médiathèque François-Mitterrand.

  1. (retour)↑  Ce texte est une version abrégée de ce rapport, également résumé dans le rapport d’activité de l’Inspection générale des bibliothèques pour 2001 : http://www.education.gouv.fr/syst/igb
  2. (retour)↑  Chiffres tirés de l’Enquête démographique sur les personnels des bibliothèques, publiée en 2001 par le ministère de la Culture et de la Communication, le ministère de l’Éducation nationale et le CNFPT.
  3. (retour)↑  Les bibliothécaires stagiaires se sont exprimés à ce sujet lors de la journée d’évaluation des enseignements organisée par l’IFB en 1998, puis dans le cadre de l’auto-évaluation menée par l’association BISTRE (BIbliothécaires STatutaires en REseau), Le livre BISTRE de la formation initiale des bibliothécaires d’État, décembre 1999. Avec le regroupement IFB-ENSSIB, les bibliothécaires avaient constaté que leur situation différait totalement de celle des conservateurs.
  4. (retour)↑  Cf. le livret La formation initiale des bibliothécaires stagiaires. Mode d’emploi.
  5. (retour)↑  Bertrand Calenge, « Les bibliothécaires d’État : naissance d’un corps », BBF, 1997, t. 42, n° 6, tableau 4.