Les compétences documentaires

des processus mentaux à l’utilisation de l’information

par Laurence Tarin

Claire Denecker

Villeurbanne : Presses de l’Enssib, 2000. – 208 p. ; 24 cm. ISBN 2-910 227-38-3 : 22,90 €

Cet ouvrage est tiré d’un mémoire soutenu par un conservateur stagiaire (promotion 1999-2000) et dirigé par Élisabeth Noël, conservateur à l’Enssib. Claire Denecker y aborde la question de la formation des usagers des bibliothèques d’une façon tout à fait originale, en s’interrogeant sur le fonctionnement cognitif de l’utilisateur. Elle fait l’hypothèse que l’une des difficultés majeures rencontrées par le bibliothécaire dans son activité de pédagogue est due au manque de connaissance des démarches intellectuelles adoptées par les lecteurs lors de leurs recherches documentaires. En effet, les cheminements des lecteurs s’appuient sur un certain nombre d’acquis qui sont le plus souvent négligés par les bibliothécaires. L’auteur a utilisé des concepts relevant de la psychologie cognitive qu’elle s’est efforcée d’appliquer aux processus mis en œuvre lors d’une recherche d’information.

Les mécanismes de l’apprentissage

Dans la première partie de son travail, Claire Denecker expose un certain nombre de théories empruntées donc aux sciences cognitives. Elle s’attache en particulier aux mécanismes de la mémoire, distinguant mémoire de travail (rapidement effacée) et mémoire à long terme, explicitant la différence entre connaissances déclaratives et connaissances procédurales. Les connaissances déclaratives décrivent le réel et sont mémorisées sous une forme organisée comme un réseau sémantique, alors que les connaissances procédurales sont une suite de consignes que l’on applique lors de l’exécution d’une action (comme la conduite automobile par exemple).

Elle s’intéresse également aux différentes opérations mentales qui « permettent à partir d’un matériau déjà existant de transformer ses connaissances et d’en acquérir de nouvelles ». Elle analyse aussi les phénomènes d’inférence, d’analogie et de catégorisation. Enfin, elle se penche sur les problèmes d’apprentissage.

L’exposé de l’ensemble de ces concepts théoriques aurait pu aboutir à un texte indigeste ou du moins difficilement abordable par un lecteur peu averti, mais la limpidité de l’écriture de Claire Denecker, sa volonté d’appliquer chaque concept emprunté à la psychologie à un exemple concret (le plus souvent issu de la réalité des bibliothèques) éclairent le texte. Son parti pris pédagogique l’a même conduite à synthétiser l’essentiel de son propos en un résumé à la fin de chaque chapitre important. Cela rapproche son ouvrage d’un manuel et (est-ce un clin d’œil aux sciences cognitives ?) facilite notre mémorisation et notre apprentissage. Son souci d’objectivité, qui lui fait relativiser bon nombre d’affirmations, contribue également à aider le lecteur à se construire une opinion.

Les usagers face à la recherche documentaire

Les concepts utilisés ayant été clarifiés, Claire Denecker analyse dans une seconde partie l’activité de recherche d’information, en s’appuyant sur les apports de la psychologie cognitive, mais aussi en faisant quelques emprunts à la sociologie de la lecture et aux études sur les comportements des usagers.

Ainsi, sont problématisés le repérage d’un lecteur dans les lieux et les collections, la recherche documentaire en tant que telle, la consultation des catalogues et la navigation dans les hypermédias (terme qu’elle préfère à « document multimédia »).

En ce qui concerne l’orientation du lecteur, Claire Denecker apporte une réflexion intéressante sur l’usage, ou plutôt le non usage de la classification, par les lecteurs et souligne qu’une classification telle que la Dewey entre en conflit avec l’organisation des connaissances véhiculée par l’enseignement. Elle tente également de s’attaquer au mythe du nouveau lecteur qui peut être nouveau sans être novice, comme, inversement, l’habitué peut fréquenter assidûment la biliothèque sans être expert.

C’est cependant vraisemblablement à propos de la recherche et de la consultation des catalogues que le recours aux sciences cognitives est le plus évident. À l’occasion de l’analyse de ces situations, l’auteur insiste en particulier sur la notion de représentation qui lui semble essentielle. En effet, elle considère qu’il est fondamental de comprendre que les usagers d’une bibliothèque construisent des représentations du but à atteindre et que c’est cela qui leur permet d’anticiper et de schématiser les actions qu’ils ont à accomplir pour l’atteindre. De même, elle souligne qu’ils se construisent une représentation des connaissances qui se modifie et se réajuste au fur à mesure de leurs recherches.

On notera que Claire Denecker, toujours dans un souci didactique, a enrichi son texte d’un glossaire qui permet de mieux comprendre le sens donné par les sciences cognitives à certains mots. C’est très utile en particulier pour des termes tels que « représentation » qui est employé ici dans un sens très différent de celui adopté, par exemple, par certains sociologues.

Cette analyse des représentations des lecteurs conduit Claire Denecker à distinguer trois catégories d’individus qui utilisent des stratégies différentes lors d’une recherche d’information :

– le novice qui pratique « la cueillette de baies » et qui construit sa recherche au fur à mesure de son déroulement ;

– l’érudit qui poursuit un plan orienté vers un but construit par l’attente d’un résultat en terme de contenu ;

– le professionnel de l’information qui poursuit lui aussi un but précis, mais dont le plan est construit sous forme de procédures et donc plus axé sur la méthode de recherche que sur le contenu.

Ce schéma semble particulièrement intéressant à appliquer à l’étudiant, au professeur et au bibliothécaire et peut sans doute contribuer à expliquer un certain nombre de malentendus.

On regrettera que, dans cette seconde partie, l’auteur n’ait que très superficiellement utilisé la sociologie de la lecture qui aurait certainement pu apporter un éclairage différent et compléter les enseignements de la psychologie cognitive. Cependant, il faut reconnaître que Claire Denecker ne pouvait aborder tous les aspects d’un sujet très vaste et encore en construction.

Les étapes de la recherche documentaire

Après avoir démontré dans la seconde partie que le comportement de l’usager de la bibliothèque est orienté par ses capacités cognitives, l’auteur s’attache, dans la troisième partie de son travail à rechercher des outils susceptibles de faciliter la création d’un dispositif de formation à la recherche de l’information. La notion de compétence lui a semblé intéressante à retenir. Elle commence par définir le concept de compétence toujours dans le même souci didactique et avec la même honnêteté intellectuelle qui l’amène à présenter à la fois l’intérêt du concept et ses limites. Elle analyse et critique ensuite, encore bien sûr au moyen des apports de la psychologie cognitive, différents modèles utilisés pour décrire en termes de compétence les étapes d’une recherche documentaire. Deux de ces modèles sont américains, le troisième « le passeport documentaire 1 » est français et a été élaboré par le Centre régional de documentation pédagogique (CRDP) du Languedoc-Roussillon. Ces trois modèles peuvent servir de point de départ pour la construction de programmes de formation à la recherche d’information. D’autres modèles assez similaires figurent en annexe. Cette troisième partie est quelque peu décevante. En effet, l’auteur, dont l’ouvrage présente certaines similitudes avec un manuel, aurait pu aller jusqu’à proposer et analyser des programmes de formation. Certes, les trois dernières pages du livre présentent un schéma des compétences documentaires en premier cycle universitaire, mais ce tableau est livré tel quel sans explication et il n’est pas dit s’il a été testé et ce qui en a résulté.

Cependant, on saura gré à l’auteur, comme le souligne Paul Thirion dans sa préface, d’avoir ouvert de nouveaux champs de réflexion et d’avoir contribué à modifier notre regard sur le comportement des usagers. Beaucoup de questions restent en suspens, certaines portes ne sont qu’entrouvertes, mais la confrontation, voire le heurt, des idées exposées par Claire Denecker sont extrêmement stimulants pour tous ceux qui s’intéressent à la formation des usagers.

  1. (retour)↑  Un passeport documentaire de l’école à l’université : de la BCD au CDI et à la BU, coordonné par Simone Brunel-Bacot, CRDP du Languedoc-Roussillon, 1997.