Buch und Bibliothek, août 2001-août 2002
À la fois organe associatif et périodique de réflexion professionnelle, cette revue parvient à réaliser, par la diversité de ses rubriques, l’équilibre toujours difficile entre information et réflexion. La distribution des articles entre une vingtaine de thèmes, inégalement représentés suivant les numéros, permet de prendre la mesure des centres d’intérêt et des préoccupations de nos collègues allemands.
Offre de services et bouleversements technologiques
Pour la période considérée (août 2001-août 2002), un premier ensemble de contributions pourrait être regroupé autour de la notion de « services offerts aux publics » : ainsi, sur le mode interrogatif et prospectif, les bibliothécaires allemands réfléchissent à la composition et la forme des collections offertes. Les questions touchant aux ressources électroniques, et c’est là une heureuse évolution, sont donc de plus en plus souvent abordées selon cette perspective et de moins en moins en termes de technique pure. Les articles consacrés au management et au marketing ou aux nouvelles réalisations architecturales s’inscrivent, eux aussi, dans cette optique de services.
Un second ensemble d’articles reflète les interrogations et les incertitudes, à la fois professionnelles et politiques, des bibliothécaires devant les bouleversements technologiques et l’évolution du comportement des publics : il s’agit, pour l’essentiel, de récits de voyages ou de présentations d’établissements ou de réseaux étrangers. Chacun, dans ce contexte difficile, s’efforce de tirer parti d’expériences nouvelles, en se mettant en quelque sorte à distance des contingences quotidiennes.
Regards vers l’étranger
Si les bibliothécaires allemands se sont régulièrement référés au modèle américain, il semble à la lecture des articles de 2001 (est-ce un effet des congrès de l’International Federation of Library Associations and Institutions (IFLA) à Pékin en 1996 et à Bangkok en 1999 ?) que leurs regards se tournent désormais vers l’Extrême-Orient : en témoignent les articles enthousiastes consacrés aux bibliothèques de Hongkong (n° 2, février 2002), de Singapour (n° 12, décembre 2001) ou de Taïwan, « le petit dragon à la puissance électronique… » (n° 5, 2002). À propos de Singapour, Rolf Hapel, Jens Ingemann Larsen et Barbara Lison montrent bien la pertinence et la logique de l’action volontariste des pouvoirs publics : « Une nation comme Singapour ne dispose, pour toute matière première, que de la créativité, des connaissances et des capacités de ses habitants. » Voilà une observation qui pervertit quelque peu le discours convenu sur l’entrave que constituerait un service public fort et doté de moyens ambitieux dans le contexte de l’économie libérale…
Comme chaque année, on peut regretter que l’obstacle linguistique fasse que les bibliothèques françaises paraissent un peu oubliées ou ignorées par nos collègues d’outre-Rhin. Tout au plus, relève-t-on au fil des numéros quelques informations : un papier de notre collègue Gernot Gabel à propos de Labrouste et de la Bibliothèque Sainte-Geneviève, l’annonce de la nomination du nouveau Président de la Bibliothèque nationale de France (BnF), Jean-Noël Jeanneney. Il est également fait mention d’une communication d’Hugues Vanbésien (Bibliothèque départementale de prêt (BDP) de la Haute Vienne), au congrès 2001 des bibliothécaires allemands à Augsbourg. Son exposé sur la formation professionnelle en France est qualifié par la revue de « critique », exposé au cours duquel l’orateur a stigmatisé la formation française qui délivre des connaissances professionnelles limitées. On ajoutera que c’est Suzanne Rousselot (BDP du Haut-Rhin) qui réalise les « abstracts » en français de la revue.
Dans cette perspective, s’il fallait ne retenir qu’un seul article susceptible de faire écho à nos préoccupations franco-françaises, c’est celui d’Engelbrecht Boese (n° 5, mai 2002) sur le développement des bibliothèques publiques berlinoises qui retiendrait notre attention, et en premier lieu, celle de nos collègues parisiens : cet article montre, en effet, comment les bibliothèques de Berlin retrouvent le chemin d’une coopération centralisée, au moment même où leurs homologues parisiennes empruntent le chemin inverse…
Réflexions de fond(s)
On mettra ici en lumière le bel article, nourri par la tradition intellectuelle allemande, de Martin Eichhorn (n° 10-11, octobre novembre 2001) qui s’interroge sur le thème : la bibliothèque est-elle vraiment la mémoire de l’humanité ? L’auteur met l’accent sur la place du lecteur dans l’édification de la mémoire collective. En effet, c’est la construction cognitive nourrie par les recherches des lecteurs qui seule peut renforcer « la ligne ténue et trompeuse de la mémoire », pour reprendre l’expression de Botho Strauss citée par l’auteur de l’article.
C’est le même sujet qu’aborde Helga Lüdtke (n° 3, mars 2002) dans un texte au titre provocateur : « Bibliothécaires : destructeurs ou conservateurs du patrimoine culturel ? » En fait cet article fait écho aux polémiques suscitées aux États-Unis par la publication du livre de Nicholson Baker 1 accusant les bibliothécaires américains de détruire le patrimoine imprimé sous couvert de numérisation.
C’est au livre que s’intéresse également Rainer Strzolka dans un excellent article sur les recensions littéraires de langue allemande sur le web (n° 1, janvier 2002). De nouveaux outils, rapides, peu coûteux, plus indépendants et conviviaux devraient aider les bibliothécaires à lutter contre ce que l’auteur nomme la « monoculture » et à édifier des collections inventives. À quand le même article sur les sources francophones ?
Ce goût des textes et de la littérature guide les organisateurs de la manifestation « Une ville lit » à Erfurt (n° 5, mai 2002). Trois jours par semaine de 13 h 33 à 13 h 53, dans les locaux de la Fachhochschule, des personnalités de la ville lisent avec un grand succès un texte qu’elles ont choisi.
Nouveaux objets de lecture, nouvelles méthodes
On pourra s’attarder avec le plus grand intérêt sur le dossier de trois articles consacré à des expériences de prêt de e-books à Duisburg, à Biberach et à Cologne (n° 7-8, juillet-août 2002), le dernier texte de Gabriele Kunze et Horst Neisser s’ouvrant sur ce titre : « Après l’euphorie… ». Nos collègues se rejoignent sur un double constat : le dispositif technique de lecture a un avenir et correspond à de vrais besoins, mais le modèle économique et juridique de fourniture de textes est instable et insatisfaisant. Point de vue qu’il faudrait confronter avec les résultats des expériences en cours en France.
Du côté des méthodes de travail, l’article de Konrad Umlauf (n° 4, avril 2002) sur l’évaluation des bibliothèques ouvre des horizons très stimulants, puisqu’il tente de déterminer de nouveaux critères (il en propose quinze) permettant de comparer les établissements entre eux, et tenant compte de l’évolution des services, en particulier dans le domaine des ressources électroniques.
Solidarité
Au terme de cette lecture de textes de grande qualité et d’une grande variété de tons et d’approches, nous souhaitons nous associer à deux préoccupations de nos collègues allemands : les inondations de cet été qui ont touché de nombreuses bibliothèques (en particulier à Dresde) et de nombreux bibliothécaires.
Autre préoccupation : le Deutsches Bibliotheksinstitut (DBI) ayant été démantelé, les bibliothécaires allemands attendent avec impatience (qu’ils ont exprimée lors de leur congrès à Augsbourg en avril dernier) la création d’un « Innovationszentrum für Bibliotheken » (IZB). Espérons que les livraisons de Buch und Bibliothek au cours des mois prochains seront porteuses d’heureuses nouvelles.