Les pôles associés de la BnF

Gilles Éboli

Le fait était suffisamment important et significatif pour être souligné par plusieurs participants : cette désormais traditionnelle journée des pôles associés se tenait donc, le 4 juillet 2002, à Lyon, et pas à Paris, en région et pas en capitale, fût-elle des Gaules. Patrice Beghain, adjoint au maire de Lyon chargé de la culture, donnait le ton à cette réunion en accueillant une centaine de participants par un maître mot : décentralisation. L’élu lyonnais signalait à Jean-Noël Jeanneney, président de la Bibliothèque nationale de France, l’intérêt évident de l’association à la BnF, autour de l’histoire du livre comme avec le dépôt légal imprimeurs rénové, mais soulignait aussi la charge financière correspondante, dépassant la mission municipale et appelant d’autres concours : appel du pied à la Région que d’autres reprendraient en cours de journée.

Après le nouvel élu lyonnais, le nouveau président intervenait à son tour, avec, déjà, une connaissance des dossiers qui fit pardonner dans un rire à la salle un dernier lapsus mettant Radio France là où on attendait Bibliothèque nationale de France. Jean-Noël Jeanneney s’attacha à mettre en avant les complémentarités déjà établies ou à rechercher entre la BnF et les pôles, parlant d’une triple fidélité à l’objet même de l’établissement fixé par le décret de 1994, à la volonté de rayonnement exprimé par François Mitterrand dès le 14 juillet 1988, ainsi qu’au mouvement général de décentralisation politique que connaît le pays. Clin d’œil aux nouveaux cours politiques, le président Jeanneney se fit enfin le chantre d’une BnF modeste, souple, volontariste et souhaitant « s’installer dans l’affection des Français ».

Sylvie Fayet, chef de la Mission scientifique, donna ensuite le bilan des pôles : en 2002, 39 conventions ont été passées pour des pôles documentaires (dont 10 labellisations, c’est-à-dire sans support financier) et 26 pour le dépôt légal imprimeurs (DLI).

Les objectifs de départ restent suivis aujourd’hui comme hier : aménagement du territoire, complémentarité documentaire par le partage des acquisitions, mise en réseau, notamment grâce au Catalogue collectif de France (CCFr).

Concrètement, 15 000 volumes sont acquis bon an mal an, sous forme de monographies étrangères essentiellement, les publications courantes restant très majoritaires par rapport aux achats rétrospectifs. Neuf bibliothèques municipales seulement participent au réseau qui est donc affaire avant tout d’établissements de l’enseignement supérieur et d’organismes de recherche. Une nette prépondérance des sciences et techniques et des sciences sociales (23 pôles sur 39) correspond à la jeunesse de ces collections à la BnF. Enfin, un équilibre Paris/Régions est respecté.

Après plusieurs années d’exercice, certaines limites se posent d’elles-mêmes : l’évolution des collections où de bonnes remises à niveau ont été faites (l’effort ici est désormais moins prioritaire) ; l’inflation des coûts qui pèse sur les acquisitions courantes ; le caractère incitatif des conventions amenant les partenaires à acheter là où ils n’auraient pas acquis hors convention ; le développement récent et s’accélérant de la documentation électronique.

Désormais, une diversification des actions est à envisager, comprenant le signalement (rétroconversion, bases bibliographiques régionales, traitement des fonds spécialisés), la conservation et la reproduction partagée ainsi que la numérisation ; de même que s’ouvrent de nouvelles perspectives incluant la consolidation des partages documentaires et le développement de volets sur projet (signalement, numérisation).

Pour le DLI, dont les conventions portent sur le personnel, on constate que les trois quarts de l’édition sont imprimés en région (41 000 titres sur 52 000), alors que s’affirme chaque jour la complémentarité DLE (dépôt légal éditeurs)/DLI. Toutefois est constatée l’incompatibilité des logiques administratives et des logiques documentaires, les ouvrages n’étant pas ici l’objet d’une sélection.

Le cas lyonnais

Après cet aperçu général, un éclairage particulier était donné au cas lyonnais avec l’université Claude Bernard de Lyon I (chimie-pharmacie). Grâce au pôle, 460 volumes sont acquis en pharmacie, faisant l’objet de 611 prêts aux usagers de Lyon I ; 1 600 ouvrages en chimie et 4 500 prêts, mais, on note une baisse du PEB (prêt entre bibliothèques) et une hausse du coût de la documentation. Chaque année, 250 à 300 volumes d’une valeur moyenne unitaire de 1 100 F sont acquis grâce aux crédits alloués par la BnF. Projets travaillés par François Cavalier : encore et toujours la numérisation, l’archivage électronique et la fourniture des documents à distance (logiciel ARIEL).

Pour la bibliothèque municipale de Lyon, Patrick Bazin parla du pôle Histoire du livre, mis en œuvre depuis 8 ans ; à raison de 100 000 F par an, budget suffisant, ce sont 2 479 ouvrages et 7 cédéroms qui ont pu être acquis, à 90 % étrangers. Parallèlement, et plus difficilement, depuis 1996 s’est développé un projet de numérisation des livres imprimés à Lyon au XVIe siècle qui vient d’aboutir sous la forme de 350 titres présents sur 18 cédéroms.

Ici, c’est l’œuvre d’Henri-Jean Martin qui a pu être poursuivie grâce à la BnF, à la grande satisfaction des chercheurs et de l’établissement qui a vu la place de Lyon dans ce domaine devenir aujourd’hui centrale.

Yvette Weber, elle, intervint pour le DLI, se félicitant des cinq années de convention qui ont permis à cette institution, malgré encore aujourd’hui le manque de moyens, de sortir d’une quasi-impasse pour aboutir à un service remotivé, renforcé et pris en compte dans le cadre du patrimoine régional. Pour 2000-2001, ce sont ainsi 6 400 titres qui sont entrés au catalogue (mais 1 000 périodiques restent en attente).

Enfin, pour clore et parfaire l’exemple lyonnais, Anne Meyer, responsable du Département des ressources documentaires, intervint pour présenter, à la bibliothèque de l’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques), un exemple de valorisation avec la constitution d’une base de sommaires en sciences de l’information (SSS) signalant, depuis 1998, plus de 19 000 articles.

Signalement des collections et mise en réseau des catalogues

L’après-déjeuner voyait démarrer une table ronde autour de la coopération en matière de signalement des collections et de la mise en réseau des catalogues, coordonnée par Yves Moret, adjoint au directeur des Services et des Réseaux (BnF). Catherine Marandas, responsable du CCFr, en donnait alors l’état des lieux (nouveautés : champ spécifique et actif pour signaler et interroger les catalogues en ligne, interrogations thématiques, ouverture à des établissements hors de France ; perspectives : accès simultané à différents catalogues en ligne, autres supports, XML) tandis qu’à sa suite André-Pierre Syren (bibliothèque municipale de Dijon) et Alice Zunino (Centre régional des lettres Bourgogne) retraçaient l’histoire d’un catalogue collectif régional, celui établi à partir de la bibliographie bourguignonne et qui regroupe aujourd’hui 70 000 notices. Exemplarité du projet : l’union des forces du CNRS, de la BM de Dijon et de l’agence de coopération (ex-ABIDOC) autour notamment d’une carte de répartition des acquisitions et de la conservation des fonds régionaux.

Joël Moris, directeur de la Maison du livre et de l’affiche de Chaumont, parlait à leur suite et avec Valérie Pietyra du traitement du fonds d’affiches de Chaumont : fonds ancien provenant d’un don (entièrement numérisé), fonds contemporain fort de 15 000 affiches provenant du monde entier (et dépassant donc le dépôt légal de la BnF) progressivement cataloguées et photographiées dans le cadre du pôle.

Au cours de l’après-midi, la BM de Lyon déployait à travers différentes visites tous les fastes de ses magnifiques collections : impossible alors de se dédoubler entre collection des Fontaines, fonds chinois et autres merveilles anciennes ou plus récentes si ce n’est en suivant les progrès de la numérisation à la Part-Dieu : numérisation des dossiers de presse (mais problèmes de droits), bases d’enluminures (12 000 images), estampes, affiches et provenances remarquablement présentées par Pierre Guinard qui, faisant écho aux propos de Patrick Bazin, se félicita à son tour de la « livraison » des cédéroms contenant les 350 livres du XVIe siècle, numérisés eux aussi.

La table ronde de reprise abordait, elle, les « perspectives de coopération en matière de conservation, de reproduction et/ou de valorisation partagée ». Autour de Catherine Lupovici, deux jeunes conservateurs-stagiaires de l’Enssib, Olivier Jacquot et Nathalie Clot, et Catherine Weill, faisaient état du projet de conservation partagée des périodiques en sciences naturelles BnF/Muséum national d’histoire naturelle avant que Catherine Lupovici ne parle de la bibliothèque numérique et de projets menés dans le cadre de l’OAI (Open Archive Initiative 1) et Armand Dhermy du programme de numérisation des publications des sociétés savantes mises en ligne sur le site Gallica.

Avec une ponctualité toute lyonnaise, la journée se terminait sur l’intervention de Jean-Sébastien Dupuit. À son tour, le directeur du Livre et de la Lecture soulignait le caractère exceptionnel de ce rendez-vous lyonnais, pour se féliciter de cette décentralisation en région, et pointait quelques aspects importants mis en exergue par la journée. Tout d’abord, l’effet moteur et bénéfique des conventions DLI tirant quelques dépôts d’une misère initiale ; autre motif de satisfaction ensuite : la diversification des pôles, dans leurs partenaires comme dans leurs objectifs, la seule accumulation documentaire étant désormais dépassée, et relayée par des élargissements successifs concernant le signalement, la conservation partagée, la numérisation. Jean-Sébastien Dupuit souleva en passant deux problèmes : d’une part, les coûts en hausse de la documentation et, d’autre part, l’interrogation quant à la pérennité de ce travail de coopération que sont les pôles. Mais pour lui, cette coopération ne doit pas être un supplément d’âme, ni l’ultime variable des adaptations budgétaires, mais bien une des missions fondamentales de la BnF. Ici encore, l’échelon régional, à l’heure du passage du bilatéral au multilatéral, est convoqué, en pensant aux Régions elles-mêmes, ainsi qu’aux agences de coopération, tant il est vrai qu’en région il ne saurait y avoir de monopole mais bien plutôt un maillage de terrain, de proximité. Évoquant en fin d’intervention l’intérêt présenté dans ces perspectives par les EPCC (établissements publics de coopération culturelle), Jean-Sébastien Dupuit affirma que, de même que la décentralisation avait été bénéfique pour la lecture publique, elle le serait aussi pour l’étude et la recherche, grâce là encore aux pôles associés.