I libri per i ragazzi

Sylviane Teillard

Libraires, auteurs et illustrateurs, éditeurs, bibliothécaires italiens étaient réunis le 26 mars dernier sous les lambris de l’Institut culturel italien et en présence de son directeur, Giovanni Pascolino, pour une journée d’étude intitulée « I libri per i ragazzi » (Les livres pour enfants), organisée par la Joie par les livres et Ibby (International Board on Books for Young People)-France. Y fut brossé un tableau du livre de jeunesse en Italie, ses évolutions et ses tendances.

Librairies

La librairie Giannino Stoppani, à Bologne, dont la responsable, Grazia Gotti, était présente, a été créée en 1983. Son offre reflétait alors une grande exigence pédagogique et culturelle et une immense passion. Sa localisation était idéale – Piazza Maggiore – proche d’un site qui était un lieu d’activité culturelle pour les enseignants – il s’y tenait des cours sur l’analyse de l’illustration. Créée sous la forme d’une coopérative et gérée par des libraires engagés, préoccupés de formation professionnelle (ils collaboraient avec l’université de la ville), son activité se double d’un travail d’éditeur et d’élaboration de documentation (la diffusion de bibliographies). Elle manifeste un intérêt marqué pour tout ce qui se passe dans le secteur de la petite enfance. Tout ceci dans un contexte national peu favorable : absence de Centre national du livre, absence de structures étatiques pour encourager le développement du livre et de la lecture. L’équipe doit vivre et donc assurer un chiffre de vente, tout en limitant les concessions aux modes. Elle se refuse à commercer pour commercer, rappelant à propos « qu’une belle passeggiata [promenade] est une meilleure façon de passer le temps que la lecture de certains livres ».

L’objectif des prochains mois est de créer une véritable librairie européenne au service des parents et des enseignants. Véritable libraire voyageuse, notre hôte découvre la production internationale au fil de ses déplacements et se fait aussi envoyer des livres. Elle revendique haut et fort le besoin pour les éditeurs d’être fiers de leur production, aime les romans de Brigitte Smadja qui n’évite jamais la prise de risque 1, souligne le peu de traductions françaises de romans italiens pour le jeune public, romans qui aujourd’hui sont souvent le fait d’écrivains issus du journalisme. Quarante-six pour cent des publications italiennes proviennent de traductions dont 8 % seulement viennent de France. La production est de 2 000 livres environ par an dont 884 de fiction.

Auteurs et illustrateurs

Roberto Piumini est un grand auteur italien contemporain que l’on peut qualifier de « polygraphe absolu ». Il a été publié chez plus de soixante éditeurs, mais seuls quelques titres ont paru en France 2. Enseignant avant d’être acteur professionnel, animateur de stages d’expression, il a traduit des sonnets de Shakespeare en italien ! Il a confiance dans la force des rêves et la beauté du monde sensible. Souhaitons que son œuvre foisonnante soit davantage traduite et que des éditeurs français lui fassent la place qu’il mérite.

Roberto Innocenti, illustrateur, publiciste d’abord, a été tardivement publié en Italie, et ce presque par hasard. Bien plus connu par les éditeurs et bibliothécaires français que dans son propre pays, il travaille aujourd’hui chez un petit éditeur. Connu pour ses illustrations de textes classiques – Casse-Noisette, Cendrillon, Pinocchio – il dit souhaiter travailler sur des textes contemporains.

Laetitia Galli, qui vit en France, écrit et illustre. D’abord décoratrice, c’est Innocenti qui l’a dirigée vers l’illustration. Très irritée par le comportement dictatorial et manipulateur de certains éditeurs tant envers les enfants que les adultes, elle fait le constat d’une industrie plus préoccupée de commerce et de profit que de culture, écrit elle-même les textes de ses albums et affirme le besoin de voir vivre et évoluer une littérature pour les enfants qui respire l’air du temps présent et s’en imprègne. Sa démarche est influencée par le combat personnel qu’elle a mené pour sa propre liberté. Elle revendique le fait que son travail n’offre pas d’unité de style.

Beatrice Alemagna, est illustratrice, et notamment de l’album Un et sept, du grand auteur italien disparu, Gianni Rodari 3. Grande admiratrice de ce dernier et de son œuvre, elle a le sentiment que ses textes concernent aussi les adultes, que sa poétique est compréhensible pour tous sans risques d’affadissement, que son goût pour le jeu, la fantaisie, la liberté de langage, l’anticonformisme qui imprègnent la vie de chaque jour dans un milieu urbain n’ont jamais pris de rides. Les fables de Rodari invitent à s’interroger sur la force de la désobéissance, sur l’absurdité qui se voile sous la gravité, sur l’équilibre entre divertissement et engagement, sur la dérision de la condition humaine, sur la place du rêve dans la réalité du quotidien le plus fade. Jamais de message appuyé, une légèreté dans le propos, et pourtant Rodari dénonce de façon métaphorique ce qui mérite de l’être. Rodari est un classique, au sens où ces récits courts et incisifs, souvent truffés de choses à la fois délicieuses et féroces, n’ont jamais fini de dire ce qu’ils ont à dire. Les éditions La Farandole avaient imposé Rodari en France au début des années 1980 4.

Francine Boucher, responsable des éditions genevoises « La Joie de lire », évoqua à son tour Rodari et sa proximité avec les thèses de Célestin Freinet, ainsi que son influence sur le renouveau de la pédagogie dans l’école primaire italienne.

Paroles d’éditrice

Roselina Archinto est une pionnière, responsable aujourd’hui du service « Babalibri » pour L’École des loisirs, équivalent du travail de diffusion en France des « Minimax, Kilimax ». Active dans le monde du livre depuis trente-cinq ans, elle est influencée par l’aphorisme d’un auteur affirmant que les livres d’enfants laissent des traces. Européenne avant l’heure, elle a en effet vécu en Allemagne, en France et en Italie bien sûr, l’Italie qui lui doit la découverte, dès 1966, de Petit-Bleu et Petit-Jaune de Leo Lionni et Max et les maximonstres de Maurice Sendak, un cadeau resté plutôt confidentiel puisque 300 exemplaires seulement sont vendus à l’époque.

En 1985, coup de folie dit-elle : elle crée sa maison d’édition, devient responsable de publications aussi prestigieuses que les œuvres de Sendak, Ungerer, Buzzati, Mari.

Les initiatives en termes de vente ou de prêt étant rares – pas de réseaux de bibliothèques ni de librairies spécialisées à cette époque –, elle vend ses livres sur les marchés, entourée de ses enfants. Déplorant le manque d’amour pour les livres en Italie où la concurrence de la télévision est terrible, elle s’interroge sur le maintien d’une tradition de culture dans ce pays, et s’inquiète tant de l’impatience des jeunes illustrateurs qui refusent de se remettre autant de fois que nécessaire sur leur ouvrage quand les éditeurs leur font des remarques que du peu d’intérêt des grands éditeurs italiens pour les livres d’enfants.

Témoignage d’une bibliothécaire

Européenne avant l’heure, toujours entre deux trains et deux amitiés, c’est ainsi qu’Antonella Agnoli est définie dans l’article paru dans le dossier « Rencontres italiennes » de La Revue des livres pour enfants 5.

C’est une « personne-ressource » en matière de littérature de jeunesse, d’architecture et d’équipement des bibliothèques – elle en a créé plusieurs, à Spinea, à Bologne, entre autres. Installée aujourd’hui à Pesaro, sur la côte adriatique, elle travaille au projet d’aménagement d’un nouvel équipement. Convaincue que le livre est l’instrument par excellence de la liberté, elle déplore la scolarisation des bibliothèques en Italie et l’absence de formation professionnelle. Elle s’intéresse à chaque lecteur : n’est-ce pas le meilleur credo pour une professionnelle du livre ?

Un caffé stretto a conclu cette journée qui a porté témoignage d’initiatives individuelles et audacieuses et d’un État qui, depuis peu, prend en main les questions d’offre de lecture au jeune public tandis que Emanuele Luzzati, grand décorateur de théâtre, illustrateur, peintre, céramiste et célèbre réalisateur de films d’animation, nous enchantait avec la présentation de la sautillante Gazza ladra (traduisez La pie voleuse) du grand Rossini !

  1. (retour)↑  Brigitte Smadja a publié de nombreux ouvrages à l’École des loisirs, chez Actes Sud, Bayard Jeunesse…
  2. (retour)↑  Roberto Piumini, Mathias et son grand-père, Paris, Gallimard Jeunesse, 1994, coll. « Folio Cadet », n° 298 (épuisé), La patte de l’artiste, Paris, Hachette Jeunesse, 1994, coll. « Le livre de poche jeunesse », n° 495 (épuisé), La fureur de l’aube, Paris, Gallimard Jeunesse, 1996, coll. « Lecture junior », Les mouettes de la vengeance, Paris, Hachette Jeunesse, 1996, coll. « Le livre de poche jeunesse », n° 455 (épuisé), La verluisette, Paris, Hachette Jeunesse, 1992, coll. « Le livre de poche jeunesse », n° 374 : Junior)
  3. (retour)↑  Gianni Rodari, Beatrice Alemagna, Un et sept, Paris, Le Seuil Jeunesse, 2001.
  4. (retour)↑  L’éditeur suisse « La Joie de lire » a édité dans la collection « Récits » : Nouvelles à la machine, 2001, Les affaires de Monsieur le chat, 2000, et Il était deux fois le baron, 2000. Les éditions « Rue du Monde » ont réédité avec bonheur Grammaire de l’imagination, en 1997, coll. « Contre-allée ».
  5. (retour)↑  Martine Poulain, « Portrait d’une bibliothécaire, Antonella Agnoli », Revue des livres pour enfants, février 2002, n° 203, p. 115-116.