Le nouveau code des marchés publics et les bibliothèques
Alain Colas
Il fallait être « particulièrement motivé », pour reprendre les termes mêmes de Christian Lupovici, pour venir à une journée à la thématique aussi ardue 1. Nous étions néanmoins nombreux à l’être, bibliothécaires et agents comptables pour une fois réunis, en ce vendredi 22 mars 2002. Certes, il eut été plus agréable d’évoquer ici les premières sensations printanières qui auront accompagné cette journée… ou encore de faire état de cette réhabilitation sobre et élégante qui caractérise l’architecture de l’université Lille II qui nous accueillait. À la faveur d’une pause, un esprit fatigué n’aura pas manqué de faire ce rapprochement facile : le nouveau code des marchés publics est-il une bonne ou une mauvaise réhabilitation de l’ancien ?
Mais revenons à l’esprit de sérieux qui aura prévalu tout au long de cette réunion. L’objectif de cette rencontre s’est voulu modeste : il s’agissait avant tout de parvenir à une compréhension homogène du texte par les bibliothécaires et les agents comptables, afin de prévenir les interprétations multiples qui risqueraient d’apparaître entre les établissements. De ce fait cette journée répondait à une urgence : appréhender à la fois l’esprit et la lettre d’une nouvelle réglementation qui ne fait que complexifier davantage la situation.
Les principes fondamentaux d’un « petit » décret
Pour autant, on ne peut que regretter de n’avoir affaire qu’à un « petit » décret en lieu et place d’une grande loi qui était attendue depuis de nombreuses années. En ce sens, l’exposé liminaire du professeur Xavier Vandendriessche, vice-président de Lille II, nous aura été d’un grand secours. En effet, il y avait une certaine vertu à nous rappeler d’une manière simple et claire l’esprit d’un texte en le resituant dans son contexte et en faisant ressortir quelques points clés. Trois principes fondamentaux ont guidé l’élaboration de ce document :
1. La liberté d’accès à la commande publique ;
2. L’égalité de traitement de tous les candidats ;
3. La garantie de la transparence des procédures.
Il s’agit par ailleurs d’assurer l’efficacité de la commande publique et de définir les cadres d’une bonne utilisation des deniers de l’État. Au-delà de ces idées force, le nouveau code apporte essentiellement deux innovations : il s’inscrit dans une logique de transposition des lois et commentaires et il marque une volonté de simplification dans le sens d’une plus grande souplesse (à l’exemple des nouveaux seuils de marché 2).
Il en va, semble-t-il, un peu différemment dans la pratique. Pour Colette Chadelaud, présidente de l’Association des agents comptables d’université et agent comptable de l’université Paris VII, ce code ne présente qu’une apparente simplification 3, dans la mesure où son application est complexe et que de nombreux autres textes restent en vigueur. Il n’est qu’à noter que tout achat s’inscrit dorénavant dans le cadre du marché public, dès le premier euro (où fixer alors les seuils ?), ou qu’une deuxième nomenclature apparaît pour le domaine scientifique et culturel, rendant de ce fait l’actuel système Nabuco obsolète…
Dans nos établissements, nous aurons à nous confronter à des difficultés majeures, comme par exemple la définition des seuils et celle même des opérations (notions d’achats récurrents ou d’achats ponctuels, qui n’obéissent pas aux mêmes formalités). Autant de points à clarifier par l’ordonnateur au moment de la commande, et non par le comptable dont le rôle se borne à contrôler la régularité des marchés. Il faut ainsi ne pas perdre de vue les étapes d’un véritable discours de la méthode : définir les besoins, se référer à la nomenclature, juger de la nature de l’achat. Dans ce paysage codifié, le président de l’université est la personne responsable des marchés (PRM) 4.
L’étrange document
Comme le rappellera plus tard Christian Lupovici pour introduire le débat, l’application de ce nouveau code aux achats documentaires se heurte à la spécificité du document « qui est par nature étrange ». Il s’agit en effet le plus souvent de commander un objet qui n’existe pas encore et dont on ne connaît pas le prix a priori.
Anne-Marie Motais de Narbonne, directrice du SCD de l’université Paris Sud XI (Orsay), nous aura ainsi démontré, dans un exposé très fouillé, que de cette réalité découlent un certain nombre de problèmes spécifiques. Comment en effet, dans le cadre des achats documentaires, satisfaire à l’article 5 du code qui stipule les fondamentaux suivants :
1. Il faut définir son besoin ;
2. Il faut que le choix soit le plus en adéquation possible avec le besoin exprimé.
Or les professionnels des bibliothèques savent bien que les besoins documentaires d’une université ne peuvent être définis à l’avance avec la précision suffisante. À cela s’ajoute la difficulté même de définir « le besoin documentaire », et pour lequel plusieurs paramètres entrent en jeu : la sélection des ouvrages, la prospective (prévoir les besoins futurs), le suivi des parutions, des acquisitions ponctuelles pour compléter des collections, etc. Le code des marchés publics n’aide donc en rien à réaliser une des missions fondamentales des bibliothèques universitaires : constituer et proposer des collections scientifiquement cohérentes 5.
La difficulté de définir le besoin documentaire se double ici de celle de l’application des critères de sélection des candidats et des offres (qui garantissent la transparence des procédures). En effet, comment juger de la capacité technique du candidat en cette matière, là où ses références constitueraient des arguments plus pertinents ? Par ailleurs, l’augmentation du nombre des critères pour le classement des offres (une dizaine au lieu de quatre auparavant) n’est pas adaptée à un besoin qui ne peut être défini précisément. Afin de se prémunir de ces difficultés, et de mieux sonder les capacités des fournisseurs, Anne-Marie Motais de Narbonne préconise aux bibliothèques d’accompagner les appels d’offres de questionnaires précis et détaillés, tout particulièrement en matière de prix et de délais.
Clarifications nécessaires
Dans le paysage économique de la documentation, d’aucuns constatent que ce sont quelques fournisseurs importants qui dictent leurs lois (c’est encore plus vrai dans le domaine des ressources électroniques), mettant à mal les principes mêmes des marchés. Que deviennent de ce fait les « petits libraires » de proximité qui n’ont pas les reins assez solides pour satisfaire aux critères de sélection des appels d’offres ?
En définitive, et on revient toujours à ce préalable, les problématiques que suscite le nouveau code dans le domaine de la documentation incitèrent Christian Lupovici à appeler de ses vœux une nécessaire clarification politique des achats documentaires dans l’université. Mais cette question récurrente mériterait à elle seule plusieurs journées d’étude…
Les nombreuses interrogations, mises à jour au cours du long débat qui aura clôturé cette journée, n’ont pas toujours trouvé leurs réponses, notamment celle des achats groupés en matière de ressources électroniques, même si Colette Chadelaud a pu esquisser ici et là des solutions à un certain nombre de problèmes. Du reste, la clarté de l’exposé initial se sera très rapidement brouillée dans des préoccupations spécifiques, bien que légitimes, de chaque établissement. En conséquence, un site web d’aide à l’application de ce nouveau code devrait s’avérer immédiatement utile, en cette année de transition. Cet outil, qui pourrait prendre la forme d’une Faq (Frequently Asked Questions – service de questions/réponses), constituerait d’ailleurs un excellent prolongement à ce séminaire de réflexion et de débats.
Enfin, on ne résistera pas ici au plaisir de relater cette étrange réponse du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie faite à un agent comptable qui sollicitait les services de Bercy pour statuer sur les achats de livres : ces opérations ne seraient pas soumis aux appels d’offres, en vertu de l’article 30 du code des marchés publics, au motif qu’elles constituent des « services récréatifs, culturels et sportifs ». Donc acte.