Échanges et transferts
Les bibliothèques publiques françaises sur la scène internationale
La situation de la lecture publique en France ayant radicalement changé ces dernières décennies, les relations internationales s’en sont trouvées changées, dans le sens d’un rééquilibrage des transferts d’expériences et de compétences. L’accueil de bibliothécaires étrangers s’est ainsi développé dans les bibliothèques françaises, soit dans le cadre de voyages d’étude thématiques, soit dans le cadre de stages individualisés. Cette demande internationale s’oriente notamment sur l’architecture des nouvelles bibliothèques municipales, la mise en valeur des collections patrimoniales – sur place et à distance –, les services aux publics, le travail de partenariat avec les structures de protection maternelle et infantile (PMI) ou encore avec la création littéraire contemporaine.
As the situation of public reading in France had radically changed in the last decades, international relations have changed as a result, in the sense of a readjustment of transfers of lessons and skills. So the reception of foreign librarians in French libraries has also developed, whether they come on study trips by subject, or whether the visits are tailored to individual needs. This international demand focuses notably on the architecture of the new municipal libraries, the development of inherited collections – on the spot and from a distance, services for the public, work in partnership with mother and child protection (PMI) structures, or else with contemporary literary production.
Die Situation des öffentlichen Lesens in Frankreich hat sich in den letzten Jahrzehnten radikal geändert. Die internationalen Beziehungen befinden sich im Umbruch, im Sinne eines veränderten Gleichgewichts des Erfahrungs- und Kompetenztransfers. Der Empfang ausländischer Bibliothekare ist in den französischen Bibliotheken sehr weit entwickelt, sei es im Rahmen von Studienreisen zu einer Thematik, sei es im Rahmen individueller Workshops. Diese internationale Nachfrage orientiert sich besonders an der Struktur der neuen Stadtbibliotheken, der Aufwertung der Sammlungen von Kulturschätzen – vor Ort oder in der Ferne – und der Arbeit an der Partnerschaft mit Strukturen des Mutterschutzes und zum Schutz des Kindes (PMI) oder wiederum an dem zeitgenössischen Literaturschaffen.
Habiendo cambiado radicalmente la situación de la lectura pública en Francia estas últimas décadas, las relaciones internacionales se han hallado cambiadas, en el sentido de un reequilibrio de transferencias de experiencias y de competencias. La acogida de los bibliotecarios extranjeros se ha desarrollado de esta forma en las bibliotecas francesas, ya sea en el marco de los viajes de estudio temáticos, ya sea en el marco de prácticas individualizadas. Esta demanda internacional se oriente particularmente hacia la arquitectura de las nuevas bibliotecas municipales, la valorización de las colecciones patrimoniales –in situ y a distancia–, los servicios al público, el trabajo de asociación con las estructuras de protección materno-infantil (PMI) o aún más con la creación literaria contemporánea.
La Fédération de Russie a accueilli en mai dernier un groupe de bibliothécaires français dans les villes de Moscou et Saint-Pétersbourg, troisième volet d’un échange ciblé sur les financements publics des bibliothèques, et notamment sur le rôle incitatif des financements de l’État. Ce programme, organisé par la Bibliothèque publique d’information, a reçu le soutien de la Direction du livre et de la lecture, de l’ambassade de France en Russie et du Comité d’orientation, de coordination et de projets (COCOP) du ministère des Affaires étrangères.
Lors de la journée d’étude organisée à la bibliothèque municipale centrale Vladimir Maïakovski de la ville de Saint-Pétersbourg, les bibliothécaires russes ont été invités à visiter virtuellement quelques nouvelles bibliothèques, dont celles de Toulouse (bibliothèque centrale rénovée et nouvelle construction de la bibliothèque municipale à vocation régionale), de Limoges ou Saint-Quentin-en-Yvelines, ainsi qu’à découvrir le travail mené en partenariat avec les structures de garde et de protection de la petite enfance, avec les prisons et les hôpitaux. L’impression produite par les exposés – et par les images projetées de ces bibliothèques – a été forte, au point de pouvoir parfois paraître décourageantes pour des collègues russes installés dans de tout autres conditions, même si leur énergie fait des miracles 1.
C’est pourquoi, lors de la réunion de bilan et de perspectives organisée à la fin du voyage d’étude à la bibliothèque pour enfants Tourguéniev (Saint-Pétersbourg), Alain Duperrier (Limoges) a jugé bon de rappeler combien ces réalisations en France sont récentes, ces succès, bien qu’attendus, toujours aussi enthousiasmants, pour nous, Français : « Il y a quinze ou vingt ans, nous n’y aurions pas cru nous-mêmes, les choses peuvent aller très vite ».
C’est vrai que tout a changé rapidement dans le domaine de la lecture publique, et que la France se trouve en position désormais d’inviter des bibliothécaires étrangers à visiter ses réalisations, alors que la tradition était auparavant davantage orientée vers les voyages d’étude à l’étranger, du fait du « retard français ». La réciprocité est désormais possible, et des échanges bilatéraux se sont ainsi développés récemment avec l’Allemagne, la Russie et la Finlande. L’accueil de stagiaires en formation s’est également développé, et la fonction de conseil ou d’évaluation sur des projets à l’étranger s’est renforcée, les sollicitations se faisant plus nombreuses.
Les bâtiments
Parmi les fleurons légitimes de ce nouvel état de fait, les bâtiments eux-mêmes, leur architecture et leur conception, viennent sans aucun doute en premier, qu’il s’agisse de constructions ou de rénovations. Et ce sont les BMVR 2 qui sont sans doute les plus médiatisées hors de nos frontières, comme l’avait relevé l’article de Livres Hebdo « BM pas si VR que cela 3 ». La chronologie des ouvertures au public de ces grandes bibliothèques a dessiné dans un premier temps une géographie des bibliothèques orientée vers l’ouest : Orléans, Poitiers, Limoges, La Rochelle, qui se rééquilibre désormais avec l’ouverture des BMVR de Champagne-Ardenne, de Montpellier et de Nice.
Il ne sera donc pas étonnant de relever que le voyage d’étude organisé en 2000 par la Bibliothèque publique d’information, avec le soutien de la Direction du livre et de la lecture, dans le cadre du colloque « Architectures et bibliothèques », lors de l’ouverture des nouveaux espaces dans le Centre Georges Pompidou après deux ans de services délocalisés rue Brantôme, a suivi cet axe charentais et limousin. Les directeurs de bibliothèques et architectes de neuf pays (Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, Israël, Portugal, Québec…) ont ainsi découvert les bibliothèques d’Orléans, Poitiers, La Rochelle, Limoges, et la belle réalisation de Rochefort, dans la Corderie royale.
C’est que le nombre de constructions ou de rénovations dépasse largement celui des 12 grands chantiers à financement spécifique : c’est environ 200 chantiers qui sont soutenus par l’État en moyenne chaque année à hauteur de 40 % des dépenses d’investissement. Les directions régionales des affaires culturelles (Drac), et au premier chef les conseillers du livre et de la lecture, sont responsables de ce financement qui obéit à des règles strictes 4. Ce montage financier entre l’État et les collectivités territoriales – auquel s’ajoutent parfois des fonds européens – est d’ailleurs une spécificité bien française, comme l’avait souligné le débat entre intervenants et participants allemands et français lors de la journée d’étude organisée au Goethe-Institut de Paris.
Ces réalisations sont de toutes tailles. Ainsi, de Rouillac à Chambéry en passant par Cavaillon ou Dole, pour ne citer que les bibliothèques publiques visitées par les différents voyages d’étude cités plus haut, les réalisations ne manquent pas, permettant de varier les itinéraires d’accueil à l’infini. Toujours sur ce sujet de l’architecture, il faut mentionner que les deux grands établissements nationaux parisiens suscitent toujours la curiosité de nos hôtes. Les nouvelles constructions de l’Ile-de-France, dont la médiathèque de Rueil-Malmaison qui a clairement affiché son ouverture sur les langues de l’Europe lors de son inauguration, grâce au soutien des crédits européens de l’Année européenne des langues, justifieraient à elles seules un voyage d’étude, pour les Français ou les étrangers 5.
Plusieurs de ces bâtiments sont devenus des références au niveau international, utilisées comme telles dans l’élaboration de projets et de programmes : que ce soit au Québec pour la grande bibliothèque 6, à Vienne pour la bibliothèque municipale, ou au Maroc pour la Bibliothèque nationale du royaume du Maroc, un « modèle français » est intégré dans les réflexions et les parcours personnels. Les architectes retenus pour la Bibliothèque nationale du Maroc, à la fois bibliothèque nationale et grande bibliothèque publique, ont ainsi été accueillis en France, à la Bibliothèque nationale de France, où le site de Tolbiac leur a été montré, et à la bibliothèque municipale à vocation régionale de Montpellier, pour de fructueux échanges avec les bibliothécaires et architectes français. Il faut d’ailleurs souligner que la participation française aux jurys étrangers de concours d’architecture est de plus en plus fréquente.
Le patrimoine écrit : intégration, conservation et valorisation
Au-delà des bâtiments, c’est une conception de la bibliothèque qui est transmise, de ses services et de son rôle dans la cité. En ce domaine, trois directions privilégiées d’échanges au niveau international peuvent être soulignées : l’intégration du patrimoine écrit, sa conservation et sa valorisation – y compris par les médias en ligne ; la fonction sociale de la bibliothèque, ou plus exactement des bibliothécaires, par leurs actions dans et hors les murs, en direction de tous les publics, dont les jeunes enfants, les hospitalisés et prisonniers ; les liens avec le secteur marchand du livre et la création artistique et littéraire.
On retrouve ces thèmes au niveau des demandes d’accueil de stagiaires, notamment au niveau des programmes Courants, gérés par la Maison des cultures du monde avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication, et, pour la partie « professionnels des bibliothèques », par la Direction du livre et de la lecture en coopération avec l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib).
Sur l’intégration du patrimoine, spécificité liée à l’histoire révolutionnaire de notre pays, la bibliothèque municipale à vocation régionale de Troyes pourrait en être le symbole, par le mur de livres anciens offert à la vue de tous les lecteurs ou visiteurs, l’intégralité des collections patrimoniales étant ainsi mise en scène. Cette richesse se trouve principalement dans les bibliothèques municipales classées 7, mais également dans plus de deux cents bibliothèques sur tout le territoire. Mais surtout, ces collections sont conservées avec soin et mises en valeur. C’est cet usage des documents anciens sur place et à distance dans les sites en ligne qui a sans doute marqué nos collègues finlandais lors de leur voyage en France, que ce soit sur les sites de Troyes, Dole ou Chambéry, ou également celui de la BnF, notamment par les documents pédagogiques et les expositions virtuelles.
Stages et échanges
La demande d’accueil en stage sur le thème de la conservation est tellement forte, que la Bibliothèque nationale de France a mis en place un stage international de conservation qui se déroule chaque année. Pour 2002, il est organisé du 7 au 25 octobre. Ses objectifs sont notamment de proposer une méthode pour planifier et programmer les actions préventives avec des priorités claires, de sensibiliser les décideurs, les responsables politiques et les équipes à la conservation et de développer un réseau de responsables et d’experts en conservation en partenariat avec la BnF et les autres organisations existantes telles que la section Preservation and Conservation (Pac) de l’IFLA.
Un second stage est proposé aux bibliothécaires étrangers sur les services au public, organisé par la Bibliothèque nationale de France en coopération avec la Bibliothèque publique d’information. Certains services de la Bpi comme l’espace autoformation ou le service bpi-info de réponses à distance sont des références au niveau national et international.
Les deux établissements parisiens accueillent en outre, dans leurs différents services, de nombreux stagiaires. À ce jour, on estime que ce sont environ 300 bibliothécaires étrangers qui sont accueillis en France chaque année, que ce soit par le programme Courants, les stages spécialisés de la BnF et de la Bpi, les accueils individuels dans ces deux établissements et par la Joie par les livres, ceci pour le seul domaine des bibliothèques publiques, auxquels il faudrait ajouter les échanges gérés directement par les bibliothèques territoriales, qui ne sont pas recensés de façon systématique.
Parmi les actions envers les publics, les services aux jeunes lecteurs sont un sujet sur lequel les bibliothèques françaises sont abondamment sollicitées, notamment par les pays en développement. Des liens étroits ont été tissés depuis de nombreuses années par La Joie par les livres et notamment son secteur interculturel. Les interventions hors les murs, notamment dans les structures sociomédicales de protection de la petite enfance, suscitent en particulier beaucoup d’intérêt. Le travail mené par l’association Actions culturelles contre les exclusions et les ségrégations (Acces) ou par ses associations partenaires, dans différentes régions de France, est connu au-delà de nos frontières, notamment par les écrits de Tony Lainé, René Diatkine, Marie Bonnafé et Dominique Rateau 8.
Enfin, il faut citer le travail de conventionnement avec l’administration hospitalière et avec l’administration pénitentiaire, qui a fixé le cadre d’une coopération interministérielle et d’un développement de services de lecture adaptés dans les hôpitaux et les prisons.
Un autre sujet d’échange est constitué par les liens avec le secteur marchand du livre, édition et librairies, ainsi qu’avec la création contemporaine. Ce lien est inscrit dans les structures administratives, tant au niveau de la Direction du livre et de la lecture, qu’à celui du Centre national du livre, où l’ensemble des acteurs de la chaîne du livre sont rassemblés, auteurs, traducteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires. L’organisation du Centre national du livre et ses statuts 9 sont régulièrement présentés aux directeurs étrangers en charge des bibliothèques accueillis officiellement par le ministère. Dans ce domaine, il faut également citer rapidement un autre sujet d’étude, celui de la déconcentration de l’action de l’État dans les directions régionales des affaires culturelles. Le chef du bureau des bibliothèques de la Direction du livre et de la lecture du ministère de la Culture du Sénégal a ainsi été accueilli en stage, à la fois en administration centrale (Direction du livre et de la lecture), en Drac et dans des bibliothèques municipales et départementales.
Les liens entre bibliothèques et création littéraire se traduisent en outre par de nombreuses actions, comme l’organisation de lectures publiques et d’ateliers d’écriture, l’animation de clubs de lecture, la participation à des programmes des classes à projet artistique et culturel (classes à Pac), de multiples formes de coopération avec les librairies, maisons d’édition et maisons d’écrivains localisées à proximité ou encore le développement de collections de bibliophilie contemporaine.
Des échanges réciproques
Même si j’ai insisté ici sur l’exportation des savoir-faire français – car c’est dans ce sens que les évolutions sont les plus rapides –, les échanges internationaux sont basés sur la réciprocité et le dialogue, ce qui débouche sur des coopérations fructueuses.
Par exemple sur le thème de l’architecture des bibliothèques, puisque dix directeurs de bibliothèques françaises ont été accueillis en Allemagne et ont ainsi découvert des bâtiments et des services originaux. Au-delà des points communs largement répandus dans le monde comme l’ouverture des espaces, les grands plateaux, les façades transparentes, le groupe français a observé des points précis, comme l’installation d’espaces dédiés à la musique sur tous les supports, intégrant des locaux insonorisés et équipés de pianos ou de matériels d’enregistrement ; ou encore la conception de grands espaces de documentation sur les voyages, avec des cartes à toutes les échelles, des plans de ville, des vidéos et CD, des guides…, tout cela en nombre imposant, ou la mise à disposition de paniers pour les lecteurs, l’implantation systématique de cafés, souvent « à l’orée » de la bibliothèque, comme dans la très belle bibliothèque de Munster, ou encore l’utilisation d’escaliers mécaniques…
Un autre exemple peut être fourni par l’échange développé avec la Finlande, orienté sur les services à distance. Cet échange se situe dans le cadre plus global d’une coopération intergouvernementale sur la société de l’information, décidée par les deux premiers ministres en 1998. Elle se développe dans divers champs, et, pour le ministère de la Culture, sur différents projets, dont celui de l’architecture virtuelle.
Les services à distance ont été présentés par les professionnels finlandais à Paris à deux reprises, en décembre 2001 et juin 2002. Les fonctionnalités du site Internet 10 regroupant toutes les bibliothèques, avec des fonctionnalités originales comme la possibilité d’interrogation très fine sur les compétences particulières des bibliothécaires, ou encore une organisation mutualisée des réponses à distance, sont particulièrement intéressantes pour la profession, alors que les sites des bibliothèques ou de regroupements de bibliothèques 11 se développent et devraient se multiplier à l’avenir, appelant la nécessité d’un site fédérateur clairement identifiable. Sans parler des techniques de communication avec les lecteurs inscrits, utilisant toute la palette des moyens modernes, dont la messagerie électronique et le SMS 12. Si le taux d’équipement en ordinateurs connectés à Internet et l’usage plus généralement de la messagerie électronique restent très inférieurs à ceux des Finlandais, la progression du téléphone portable en France pourrait peut-être amener les bibliothèques à utiliser ce moyen dans les prochaines années.
On aura bien compris que les sujets ne manquent pas, pas plus que les bibliothèques à faire découvrir aux bibliothécaires étrangers, sans oublier le charme des villes et des produits régionaux…, grandement appréciés. Les conditions sont donc réunies pour équilibrer nos échanges internationaux, accueillir et être accueillis, dans une réciprocité et un respect mutuel des différences de niveau de développement des réseaux de lecture publique et des différences de conception de la bibliothèque.
Au-delà des échanges organisés par les différents acteurs – administrations, associations professionnelles, institutions… –, le lieu de dialogue permanent entre les professionnels des différents pays demeure principalement la Fédération internationale des associations de bibliothèques et des institutions (Fiab/Ifla). Les différents comités permanents offrent des possibilités de contact et d’échanges très appréciables et les conférences annuelles permettent en outre de découvrir les bibliothèques du pays organisateur. Une vingtaine de Français sont actuellement membres des divers comités et il faut espérer que cette implication se renforcera en 2003, à la suite des prochaines élections, comme s’y emploie le Comité français Ifla 13.
Juillet 2002