Les réseaux des bibliothèques à l'étranger
Les modèles français et espagnol
Il s’agit d’une brève étude sur les réseaux de bibliothèques à l’étranger : origines, caractéristiques, fonctions et développement. L’auteur compare le réseau espagnol des bibliothèques de l’Instituto Cervantes avec celui du réseau des médiathèques et des centres d’information sur la France contemporaine. Il décrit les services espagnols en France et les services français en Espagne, et évoque la création du nouvel Institut Ramon Llull qui aura pour objectif la diffusion de la langue et de la culture catalanes à l’étranger.
This article reports a short study of library networks across countries: origins, characteristics, functions and development. The Spanish network of the libraries of the Instituto Cervantes is compared with that of audiovisual libraries and information centres in contemporary France. Spanish services in France and French services in Spain are described, and the creation of the new Institut Ramon Llull is mentioned; its aim is the dissemination abroad of Catalan language and culture.
Es handelt sich um eine kurze Studie über die Bibliotheksnetze im Ausland: deren Anfänge, Eigenschaften, Funktionen und deren Entwicklung. Der Autor vergleicht das spanische Bibliotheksnetz des Instituto Cervantes mit dem der französischen Mediatheken und Informationszentren. Er beschreibt spanische Dienste in Frankreich und die französischen in Spanien und erwähnt die Gründung des neuen Instituts Ramon Llull, dessen Ziel es sein wird die katalanische Sprache und Kultur im Ausland zu verbreiten.
Breve análisis de las redes de bibliotecas en el extranjero: orígenes, características, funciones y desarrollo. Comparación entre la red española de bibliotecas del Instituto Cervantes y la red de mediatecas y centros de información sobre la Francia contemporánea. Descripción de los servicios españoles en Francia y de los servicios franceses en España. Creación del nuevo Instituto Ramon Llull que tendrá por objetivo la difusión de la lengua y la cultura catalanas en el extranjero.
L’Espagne a développé dans les années 1990, de manière programmée, harmonieuse et dans la mesure de ses possibilités, un réseau de bibliothèques et de centres de documentation et d’information à l’étranger dans le cadre de l’Instituto Cervantes, organisme officiel qui, depuis 1991, s’occupe de la diffusion de la langue et des cultures espagnoles et hispano-américaines dans le monde. Elle l’a fait avec un certain retard, et avec des moyens plus modestes que des pays comme la Grande-Bretagne, la France ou l’Allemagne.
Cet article propose une brève description de ce type de réseau de bibliothèques, en comparant tout particulièrement le réseau des médiathèques et des centres d’information sur la France contemporaine et le réseau espagnol des bibliothèques de l’Instituto Cervantes. D’un point de vue espagnol et en étudiant les services espagnols en France et les services français en Espagne, l’expérience française constitue à plusieurs égards un exemple pour notre pays, dans la mesure où les objectifs poursuivis sont similaires 1. Le modèle français est le plus utile pour l’Espagne, car il est le prolongement d’un système de lecture publique compétent et efficace, avec des méthodes de travail applicables à l’étranger, et en raison aussi de son expérience, de sa rigueur et de son professionnalisme.
Les services des bibliothèques des centres culturels à l’étranger
Dans un excellent travail récemment publié aux États-Unis, Ramón Abad et Jaume Bover, respectivement directeurs des bibliothèques de l’Instituto Cervantes de New York et de Tanger, ont établi les bases théoriques de ce que devaient être les services de bibliothèque et de documentation à l’étranger, thème qui n’avait pas été jusqu’alors abordé sous cet angle dans la littérature professionnelle 2.
Dans ce travail d’analyse systématique des réalités et de réflexion théorique, Abad et Bover ont décrit l’origine, l’évolution historique et la situation actuelle de ces bibliothèques et de ces services d’information rattachés aux centres culturels dans lesquels ils s’inscrivent et qui leur servent de support. Ces institutions partagent la plupart du temps, mais pas systématiquement, les caractéristiques suivantes : ce sont des établissements ouverts hors des frontières du pays dit « accréditant », qui dépendent de leur gouvernement et maintiennent avec lui des liens idéologiques et économiques. Ces institutions se trouvent dans un pays tiers, qui les accueille. Bien qu’elles aient des dimensions, des moyens économiques, techniques et en personnel totalement différents, elles ont toutes généralement pour mission de réaliser une action éducative ayant pour vocation l’enseignement de leur langue et la diffusion d’une culture représentative des différentes facettes de celle de leur pays (arts plastiques, littérature, musique, cinéma, théâtre, etc.).
Les services offerts par la bibliothèque sont en général intégrés dans le centre culturel. Selon les cas, qui dépendent en grande partie de l’infrastructure culturelle du pays qui les accueille et des relations historiques et culturelles qui existent entre les deux pays, les services que ces bibliothèques offrent vont de ceux d’une bibliothèque spécialisée à ceux d’une bibliothèque universitaire, ou encore d’une simple bibliothèque publique (dans le cas des pays en voie de développement).
Comme on l’a déjà dit et écrit, le prosélytisme n’est pas absent de tout cela, et, sous une façade culturelle, la propagande du pays représenté est sous-jacente. On peut ne pas être d’accord avec ces actes, mais ils se produisent cependant à certaines occasions, même si ce n’est pas sciemment. Il convient d’ajouter que, bien souvent, dans des pays au régime autoritaire, ou culturellement autarciques, ces bibliothèques ou centres culturels sont de véritables oasis de liberté, de petites fenêtres ouvertes sur le monde. On peut prendre comme exemple le rôle qu’ont joué l’Institut français de Barcelone durant le franquisme, les « American Houses » ou les Instituts britanniques dans le processus de dénazification de l’Allemagne à la fin de la guerre, ou des centres culturels se trouvant dans des pays ébranlés par des intégrismes de toutes sortes. Pour nuancer tout ceci, il convient d’ajouter que, si on devait dresser une carte historique de ce type de centres, on pourrait vérifier que plus d’un d’entre eux a été créé après que le pays accréditant s’est opposé militairement ou économiquement au pays d’accueil, et a gagné.
Les premiers réseaux de centres culturels
Ces « ambassades culturelles », ainsi qu’elles sont définies dans l’article précédemment cité, sont dans la plupart des cas occidentales et remontent à la fin du XIXe siècle. C’est à cette époque que se créent les premiers centres ou instituts de culture dans lesquels, comme dans beaucoup d’autres domaines, la France prend de l’avance par rapport aux autres pays avec la création de l’Alliance française dans les années 1880. D’origine privée et régie par l’administration locale du pays qui l’accueille, l’Alliance recevra très vite l’appui déterminé des autorités de Paris qui la déclarent d’utilité publique. La Societá Dante Alighieri verra le jour, à la fin de la même décade, pour développer l’enseignement de la langue et de la culture italiennes. Déjà au début du siècle suivant, le premier Institut français fait son apparition, en 1909, quelques années après la German Academy qui deviendra plus tard l’Institut Goethe. Le Svenska Institutet et le British Council sont, eux, créés dans les années 1930 et on devra attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour la mise en place des services de la United States Information Agency.
C’est aussi l’époque de l’apparition des premières tentatives espagnoles de création de centres à l’étranger selon trois axes bien définis : tout d’abord, dans certaines villes européennes – comme Londres en 1946 et Paris en 1952 – où la contestation du régime franquiste était la plus importante du fait de la présence active de groupes et de centres républicains, et où l’opinion publique était également défavorable à ce régime. Ensuite, en Afrique du Nord et plus particulièrement au Maroc et dans l’ancienne zone d’influence du protectorat espagnol, où, paradoxalement, à l’époque, des villes comme Tetuán disposent d’un service de bibliothèque meilleur que celui de n’importe quelle capitale de province espagnole. Et, en dernier lieu, et de manière tout à fait normale, dans les pays hispano-américains dans lesquels il n’y avait pas de cours d’espagnol du fait de l’utilisation naturelle de la langue.
L’Instituto Cervantes
Ce n’est qu’à la fin du XXe siècle, en 1992, que se crée l’Instituto Cervantes 3, en même temps que son homologue portugais, l’Instituto Camões 4, qui remplaçait l’ancien Icalp. L’Instituto Cervantes, créé par la loi n° 7/1991, coordonnera les centres déjà existants, qui développaient leur action à l’étranger – certains seront fermés –, et qui provenaient d’origines diverses et avaient différentes appellations. Ces centres travaillaient sous la tutelle du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Culture – centres ou Instituts culturels qui proposaient des activités culturelles – et du ministère du Travail, qui créa las Casas de España, fondamentalement destinées à réunir autour d’activités ludiques et festives une émigration économique d’origine espagnole.
Le passage des Casas de España à l’Instituto Cervantes provoqua, d’une certaine façon, un choc : les émigrants se réunissaient dans des espaces comprenant des bars et des salles, spécialement pensés pour eux, et autour d’activités culturelles qui leur étaient propres ou qu’ils ressentaient comme telles. Ils furent confrontés à une nouvelle réalité : le public recherché par les autorités espagnoles n’était plus seulement ou de préférence l’émigrant espagnol, mais plus précisément le citoyen français ou allemand. Les activités culturelles ne se limitaient plus au bal du samedi soir ou du dimanche, mais cherchaient à représenter une nouvelle image de l’Espagne, européenne, cultivée et séduisante.
L’organisation de l’Instituto Cervantes est placée, au début, sous un partenariat dans lequel le ministère des Affaires étrangères, le ministère de l’Éducation et le ministère de la Culture étaient représentés à parts égales. Quelques années plus tard, en 1996, suite à la fusion des deux derniers ministères, la participation des trois ministères se répartit équitablement entre le ministère des Affaires étrangères et le nouveau ministère de l’Éducation et de la Culture. Le ministère des Affaires étrangères récupère ainsi un rôle privilégié dans les grandes décisions et, bien que les Instituts conservent leur indépendance économique et gestionnaire, ce sont les ambassades qui sont les ultimes responsables dans les pays d’accueil. Une telle disposition applique le règlement concernant l’unité d’action à l’étranger.
Les bibliothèques de l’Instituto Cervantes
Avant la création du réseau des centres de l’Instituto Cervantes et de ses bibliothèques, furent étudiés en détail les modèles nord-américain, britannique, français et allemand, ce dernier étant globalement le plus proche du choix fait par le réseau espagnol. Il s’est agi de trouver un équilibre entre l’enseignement de la langue et l’activité culturelle, avec des bibliothèques de taille moyenne (entre 5 000 et 15 000 volumes) dans lesquelles la littérature, l’histoire, l’art, une collection de base d’ouvrages de référence et des publications retraçant les relations entre l’Espagne et le pays d’accueil, sont représentés de manière équitable.
À l’instar du réseau des centres, les bibliothèques ont également pris en compte d’autres modèles. Au moment de définir les services de la bibliothèque du Cervantes, le modèle français était le modèle de référence, car il prenait en compte la conservation 5, en même temps qu’il introduisait la modernité avec divers supports audiovisuels. C’est ainsi qu’en Espagne et dans le réseau des centres de l’Instituto Cervantes a été adoptée la classification systématique des documents sonores de la discothèque de Paris. Ceci n’a cependant pas empêché que, dans les réseaux de lecture publique qui se sont développés tout au long des années 1980, de nombreuses visites professionnelles ont été réalisées, qui ont abouti à l’adoption d’autres modèles comme les modèles suédois, danois ou britannique, tous très intéressants.
Le réseau des bibliothèques de l’Instituto Cervantes subira un processus nécessaire de réorganisation, qui consistera à professionnaliser ses responsables, à informatiser ses fonds, à aménager les espaces, à acquérir les fonds nécessaires et à les actualiser en permanence. Aujourd’hui ce réseau compte 38 bibliothèques dans 30 pays et comprend presque 500 000 documents 6.
Les bibliothèques de l’Instituto Cervantes en France
À Aubervilliers, entre Paris et Saint-Denis, où résidait une importante communauté d’émigrants d’origine espagnole installés depuis le début du XXe siècle, il y avait, au numéro 64 de la rue Landy, une bibliothèque populaire espagnole. Ce fait, qui mériterait à lui tout seul une étude, est très intéressant. En France, les services espagnols de bibliothèque n’ont pas servi seulement à un petit groupe d’hispanistes français, mais également à une communauté espagnole ou d’origine espagnole arrivée en France au siècle dernier par vagues migratoires successives à caractère politique et économique.
Au moment de la création de l’Instituto Cervantes 7, l’Espagne avait trois bibliothèques bien implantées en France : la Bibliothèque espagnole de Paris (cf. image), la bibliothèque du Collège d’Espagne et la bibliothèque de la Maison de Goya (cf. image). La bibliothèque de Toulouse s’est ouverte par la suite. L’absence de centres dans les autres grandes agglomérations françaises comme Marseille ou Lyon est à noter. Cependant, au moment de la rédaction de cet article, l’ouverture d’un nouveau centre à Lyon est à l’étude.
La Bibliothèque espagnole de Paris
À Paris, une des villes au monde qui concentre le plus grand nombre de centres culturels étrangers, la présence de l’espagnol était indispensable. Langues Info, la base de données qui répertorie les langues enseignées en région parisienne, fait état d’un total de 166 langues proposées 8.
La Bibliothèque espagnole de Paris fut inaugurée il y a maintenant cinquante ans, le 20 octobre 1952, et son fonds a été constitué grâce aux volumes présentés lors de l’Exposition du Livre espagnol, qui avait eu lieu la même année dans la capitale. Depuis sa création, elle occupe un hôtel particulier situé au numéro 11 de l’avenue Marceau, un bâtiment qui avait accueilli le gouvernement basque en exil pendant la Guerre civile espagnole et après la Seconde Guerre mondiale.
Elle compte un fonds important de plus de 40 000 volumes concernant l’étude de la littérature et l’histoire espagnole et hispano-américaine.
La bibliothèque de la Casa de Goya à Bordeaux
L’Instituto Cervantes de Bordeaux a été réalisé selon le schéma précédemment mentionné : le ministère des Affaires étrangères avait créé un centre culturel, la Maison de Goya, dans laquelle le peintre vécut les derniers mois de sa vie. Le centre culturel possédait une petite bibliothèque principalement consacrée à la littérature. À la suite de travaux, la bibliothèque proposa à ses lecteurs un espace rénové ainsi que des services plus performants.
La bibliothèque de Toulouse
En 1994, la Maison de l’Espagne de Toulouse a cédé ses locaux à l’Instituto Cervantes. Depuis, la bibliothèque de cet Institut, faisant figure de modèle et dotée d’un excellent fonds audiovisuel – plus important que celui de Paris –, met ses services à disposition d’une ville dont le passé récent est très lié à l’histoire de l’Espagne.
Le Collège d’Espagne
La bibliothèque du Collège d’Espagne fut créée en 1935 dans un premier temps avec le souci de rendre service aux résidents du Collège 9. Après un long parcours, l’établissement est pris d’assaut en mai 1968 par des manifestants en opposition au régime franquiste qui détruisent une grande partie des installations. Fermé pendant plusieurs années, il est reconstruit avec le retour de la démocratie et rouvert en 1987. Depuis sa réouverture, la bibliothèque du Collège offre un bon service d’information sur l’Espagne. Elle dispose actuellement d’un fonds bien structuré de plus de 20 000 volumes et dispense des services de qualité qui vont au-delà des besoins des résidents et suscitent l’intérêt des hispanistes et de toutes les personnes concernées par la culture espagnole.
Médiathèques et centres d’information sur la France
Comme on l’a déjà dit, le réseau des centres français à l’étranger est étendu et hétérogène. Leurs dénominations, tout comme celles des Alliances locales et des Instituts français gouvernementaux, sont très diverses. En dehors de ce puissant réseau de plus de 250 médiathèques-centres de ressources 10, la France compte certains établissements spécialisés qui se distinguent par leur ambition et leur envergure : la Casa de Velázquez, la Villa Medicis à Rome, l’École française d’Athènes, l’Institut français d’archéologie du Caire, l’École française d’Extrême Orient et la villa Kujoyama de Tokyo.
Régularité, efficacité et souplesse
Au début des années 1990, le ministère des Affaires étrangères décide de réorganiser et de moderniser cette nébuleuse de grandes et petites bibliothèques qui servent à l’étranger 11. Cette action s’est appuyée sur une importante réflexion préalable établie sur des critères professionnels. L’objectif était de profiter du travail en réseau, d’introduire délibérément tous types de supports et de tirer avantage, d’une façon plus coordonnée et logique, de l’expérience et des ressources qu’offre le système de lecture publique français.
Dans ce sens, la Bibliothèque publique d’information s’érigeait, à bien des égards, comme le modèle à suivre : universalité, qualité et richesse des fonds, esthétique et idéologie d’avant-garde qui, mises au service de toute la communauté, recherchent l’intégration et évitent toute sorte d’exclusion. Les espaces architecturaux se caractérisent fondamentalement par une volonté de servir et de gérer l’information et la documentation destinées à un public divers. Le public est à la fois le commencement et la finalité des services. Les normes sont conçues en tant qu’outils, afin de faciliter et d’aider le travail d’information et de documentation, et non pas pour peser lourdement dans l’organisation. L’équilibre repose ainsi sur trois principes de base : régularité, efficacité et souplesse.
La formation, l’union avec le réseau de lecture publique
Par définition, le médiathécaire doit servir de lien entre le système de lecture publique du pays d’accueil et le réseau français. Il est donc indispensable qu’il connaisse parfaitement les ressources documentaires françaises, et qu’il ait également des connaissances professionnelles suffisamment importantes pour assurer un service de qualité. Pour ce faire, des formations sont périodiquement organisées en collaboration avec l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Enssib), à Villeurbanne et avec Médiadix (Paris X), et des stages ont lieu à la Bibliothèque publique d’information.
Les publications
Une mention spéciale doit être délivrée aux excellents outils de travail produits par la direction du réseau français au ministère des Affaires étrangères, qu’il s’agisse du Bulletin ou des Dossiers, plus spécialisés, des Bibliothèques de France à l’étranger. Ces publications permettent de connaître parfaitement le réseau à travers des recensements et des statistiques. Elles permettent également un meilleur fonctionnement des centres, grâce notamment à la très utile Mémothèque 12, et aux répertoires de musique française, de films, etc.
Le réseau de médiathèques en Espagne
Le réseau des médiathèques et des centres d’information sur la France d’aujourd’hui s’est implanté en Espagne dans les six plus grandes villes du pays : Madrid, Barcelone, Valence, Séville, Saragosse et Bilbao 13. Il faut également ajouter l’importante bibliothèque de la Casa de Velázquez à Madrid et les petites collections des Alliances françaises.
La médiathèque de Madrid
Créée en 1913, la bibliothèque de Madrid (cf. image) est la plus importante et la plus ancienne des médiathèques françaises en Espagne, et l’une des plus actives et des plus fréquentées des trente bibliothèques du réseau. Totalement réaménagée en 1994, la médiathèque répond scrupuleusement à tous les critères précédemment mentionnés concernant les collections et l’organisation des services et propose à un public nombreux une bibliothèque attrayante. Dans le contexte de la bibliothèque espagnole actuelle, elle est considérée comme une référence pour la réorganisation d’une bibliothèque publique et spécialisée de taille moyenne.
La médiathèque de Barcelone
L’Institut français de Barcelone fut créé quelques années plus tard, en 1919. Plus petite que celle de Madrid, la médiathèque de Barcelone, rénovée dans les années 1990, est devenue plus fonctionnelle et plus attrayante. Son existence et ses activités, en perpétuel renouvellement, grâce notamment à un nombre important et récent d’acquisitions de matériel et de documents audiovisuels, sont reconnues et appréciées à Barcelone.
Les médiathèques de Valence, Séville, Saragosse et Bilbao
L’Institut français de Valence a pour origine un collège français, créé en 1888, qui a d’abord été un établissement de l’Alliance française avant de devenir l’Institut français. Il possède aujourd’hui une médiathèque donnant accès aux réalités de la France d’aujourd’hui. Créée en 1996, cette médiathèque propose des collections de base et offre des services semblables à ceux de Valence.
Le centre de Saragosse fut inauguré la même année que celui de Barcelone, en 1919, et a changé plusieurs fois d’établissement par la suite. Avec des locaux moins importants que celui de Valence, il offre des services similaires.
Le centre de Bilbao fut inauguré en 1945. De petite dimension, comme la médiathèque de Saragosse, la médiathèque de Bilbao a été réaménagée à la fin des années 1990. Elle dispose d’un fonds et de services semblables à ceux proposés à Valence, Saragosse et Séville.
La Casa de Velázquez de Madrid
La Casa de Velázquez ne dépend pas du ministère des Affaires étrangères mais des ministères de l’Éducation nationale et de la Recherche, et elle sert de résidence aux chercheurs français, plus particulièrement aux hispanistes désirant poursuivre leurs études ou réaliser des travaux de recherche 14. Inauguré en 1928, l’établissement fut terminé en 1935. Il fut complètement détruit un an plus tard, car il était situé sur la ligne de tir, lors du siège de Madrid pendant la Guerre civile espagnole. À la fin des années 1950, l’établissement fut reconstruit et est aujourd’hui une bibliothèque de référence qui compte un fonds de plus de 80 000 volumes.
Les Alliances françaises
Il existe en Espagne de nombreuses Alliances françaises plus ou moins importantes, qui possèdent, pour certaines d’entre elles, un service minimum de bibliothèque proposant, la plupart du temps, un matériel qui sert de support à l’apprentissage du français 15. Bien que ces petits centres aient un intérêt et une certaine importance, on ne peut pas les considérer comme de véritables bibliothèques. Les demandes pointues d’information de leurs élèves sont dirigées vers les services des Instituts français.
Un nouvel organisme : l’Institut Ramon Llull
Une nouvelle institution culturelle est en gestation au moment même où est écrit cet article. Celle-ci aura pour objectif la diffusion de la langue et de la culture catalanes à l’étranger, ce que faisait déjà en partie l’Instituto Cervantes. Ce nouvel organisme, qui aura pour nom l’Institut Ramon Llull 16, a pour instigateurs le gouvernement autonome de la Catalogne et celui des Iles Baléares, ainsi que le gouvernement de la Principauté d’Andorre, le gouvernement autonome d’Aragon et, si les raisons politiques qui aujourd’hui l’en empêchent disparaissaient, le gouvernement autonome de Valence. Le département français des Pyrénées orientales (le Roussillon) serait également, bien entendu, le bienvenu. Avec près de 10 millions de personnes qui la parlent, la langue catalane est la langue européenne « minoritaire » la plus utilisée 17.
La culture catalane ne disposait jusqu’à présent d’aucune institution officielle chargée exclusivement de sa diffusion à l’étranger. Les raisons politiques et historiques en sont bien connues. L’Espagne, le pays qui avait la plus forte concentration de Catalans, a historiquement pratiqué une politique culturelle unitaire et monolingue. La création du Centre d’études catalanes à Paris en 1977, qui s’est déroulée en dehors de toute initiative officielle espagnole, illustre bien cet état de fait. Il fut réalisé, en effet, avec l’aide financière de particuliers et sous l’égide institutionnelle de l’Université de Paris IV. Cette solution avait pour objectif d’éviter les obstacles et les entraves légales qu’aurait pu rencontrer un projet d’une telle ampleur dans le cadre d’un programme culturel espagnol. La bibliothèque du Centre d’études catalanes travaille depuis cette date à la diffusion de la culture catalane.
Heureusement, le processus démocratique est un fait acquis, et, bien que, pour beaucoup, l’Institut Ramon Llull arrive un peu tard, il est soutenu par tous les organismes espagnols et tout particulièrement par l’Instituto Cervantes avec lequel il travaillera en étroite collaboration. Il faudra un certain temps pour voir quel genre d’actions l’Institut Llull va mener, s’il va utiliser le réseau de l’Instituto Cervantes et de ses bibliothèques ou s’il préférera une implantation physique moins étendue en s’inspirant de modèles culturels comme ceux de la Hollande, de la Suède, de la Hongrie ou de la Finlande.
Conclusion
Le réseau français des médiathèques possède, comme nous l’avons déjà signalé, plus de 250 centres sur tous les continents, le réseau de l’Instituto Cervantes, lui, en compte à peine 38. Chacun des pays est représenté par des centres et des bibliothèques implantés dans les plus grandes villes du pays d’accueil : la France, de façon plus volontaire, car elle est présente non seulement dans les plus grandes villes mais également dans certaines villes de moindre importance grâce aux Alliances françaises, alors que de grandes villes comme Lyon, Marseille ou Nice n’ont toujours pas de centre espagnol. Les moyens mis à disposition sont plus importants du côté français : équipements, acquisitions, personnel, etc. La formation continue du réseau des médiathèques et les stages proposés aident à améliorer l’efficacité de ses professionnels. Ce type de formation se pratique également dans le réseau espagnol, mais peut-être pas de manière aussi complète. Bien que l’organisation des deux réseaux soit différente, ils se rejoignent par leur volonté de représenter leurs propres cultures et leur actualité tout en s’adaptant à la réalité locale, en actualisant constamment leurs collections, sur tous les supports sans restriction. Néanmoins, ces volontés, disons « techniques », sont subordonnées à d’autres impératifs plus « politiques ».
Un haut fonctionnaire du service diplomatique de l’Équateur disait avec raison que les pays doivent se fixer des objectifs réalisables. Il est certain qu’il reste à l’Espagne beaucoup à faire, et que quand elle se compare à la France, il lui en reste encore plus ; mais son économie et son poids politique ne pèsent pas autant en Europe et dans le monde. Loin d’atteindre la dimension d’un réseau tel que celui de la France, l’Espagne doit aspirer à se doter d’un service modèle à la mesure de ses possibilités : étendre et améliorer le réseau de lecture publique espagnole ainsi que le lien qui l’unit à l’extérieur.
À l’occasion d’une table ronde récemment organisée par le ministère des Affaires étrangères français, qui se déroulait au siège de l’Institut Goethe de Paris, les réseaux allemand, britannique, français et espagnol émettaient des interrogations quant au futur de leurs bibliothèques et de leurs services de documentation face à un monde en changement. Lors de cette réunion, intitulée « Les établissements culturels dans le monde : convergences et divergences », et qui portait surtout sur la place réservée à la documentation, Frances Salinié, assistante du directeur du British Council de Paris, soulignait que ce qui importait, c’était de trouver un compromis entre bricks and clicks (entre les briques et les clics de souris), faisant allusion à la nécessité d’établir un équilibre entre une présence physique et une autre virtuelle via Internet. C’est le chemin que nous sommes en train de découvrir et sur lequel il faudra essayer d’inviter le plus grand nombre de personnes intéressées, en cherchant à éviter l’exclusion due, entre autres, à l’absence d’accès à Internet, ce qui nous semble d’une importance vitale.
À de trop nombreuses occasions, ce qui apparaît comme de l’apprentissage n’est ni plus ni moins qu’une confirmation réitérée de nos préjugés, qui servent à organiser et à construire de manière irréfutable nos opinions, dans la négation du message d’autrui auquel nous sommes imperméables. Nous, les bibliothécaires qui travaillons pour informer sur ce que nos pays et nos cultures sont, ou sur ce que nous croyons qu’ils sont, nous devons nous rappeler qu’il faut en même temps écouter ce que l’autre a également à nous dire. Cette tâche revêt un caractère d’urgence, tout particulièrement dans un monde entraîné dans une spirale de conflits : connaître, reconnaître et estimer l’autre est le point de départ de toute entente.
Mai 2002