Coups d'oeil étrangers sur les bibliothécaires français
Comment les bibliothécaires étrangers perçoivent-ils les bibliothèques françaises ? La question semble simple. En fait, comme souvent dans la vie, la réponse est plus complexe qu’il n’y paraît. L’article présenté essaie donc de faire le point sur la manière dont les perceptions de la bibliothéconomie française et des bibliothèques diffèrent selon les pays, ou selon d’autres critères. Quelques surprises peuvent peut-être nous attendre, nous qui nous croyons parfois en France le point de mire d’autres pays…
Just how do foreign librarians perceive French libraries? The question seems simple, but in fact, as often in life, the answer is more complex than it seems. This article takes stock of the way in which perceptions of the French librarianship and libraries differ according to the countries perceiving, or according to other criteria. Some surprises may perhaps be waiting for us – we in France who sometimes believe ourselves to be the envy of other countries…
Wie nehmen ausländische Bibliothekare französische Bibliotheken wahr? Die Frage erscheint einfach und tatsächlich, wie oft im Leben, ist die Antwort komplexer als es scheint. Der vorliegende Artikel versucht eine Standortsbestimmung des französischen Bibliothekswesens und wie sich die Bibliotheken je nach Land oder anderen Kriterien voneinander unterscheiden. Welche Überraschungen können uns vielleicht erwarten, wir die wir manchmal in Frankreich glauben im Zentrum des Interesses anderer Länder zu stehen…
¿Cómo los bibliotecarios extranjeros perciben las bibliotecas francesas? La cuestión interrogante parece simple, de hecho, como a menudo en la vida, la respuesta es más compleja de lo que parece. El artículo presentado trata de hacer el balance sobre la manera cómo las percepciones de la biblioteconomía francesa y de las bibliotecas difiere según el país, o según otros criterios. Algunas sorpresas pueden esperarnos a lo mejor, a nosotros que nos creemos a veces en Francia el punto de mira de otros países…
Que pensent les bibliothécaires étrangers de leurs collègues français ? Comment sommes-nous perçus à l’extérieur de l’Hexagone ? Certains ne se sont jamais posé la question, sans doute parce qu’ils ne se sentent pas concernés, mais je pense qu’il y aurait fort à apprendre de ce regard parfois sans indulgence, qui nous révèle notre face cachée, ce que nous ne voulons jamais nous avouer, ou ce que nous ignorons, consciemment ou inconsciemment.
Tout d’abord, il ne faut pas être simpliste : il n’y a pas une vision unique de la France à l’extérieur. Selon la partie du monde (les îles Fidji ont-elles une opinion sur ce que sont les bibliothèques françaises ?), selon l’histoire des pays (sont-ils ou non d’anciennes colonies françaises, ont-ils ou non eu à se battre à un moment donné de leur histoire contre les Français – ah ! Napoléon, c’était parfois difficile pour le reste de l’Europe), selon leur niveau de développement économique (sont-ils dépendants de l’aide internationale en provenance notamment de l’Europe), selon la langue, etc., les pays n’auront pas la même réaction en parlant de la France en général, et nos collègues en parlant des bibliothèques françaises en particulier. Et même dans ces grandes catégories, le Vietnam ne réagit pas de la même manière que l’Algérie, les « Cajuns » que les habitants de Pondichéry, Chandernagor, Yanaon, Mahé ou Karikal…
Enfin, dernière distinction à faire, ces bibliothécaires qui nous regardent veulent-ils simplement découvrir nos établissements et notre manière de les gérer, ou viennent-ils travailler avec nous, dans un contrat de l’Union européenne par exemple, ou dans un contrat de soutien au développement des pays francophones ? C’est plus facile d’être admiratif quand on regarde, certes avec intérêt, mais de manière forcément distante, une institution, que quand on doit travailler au quotidien, faire ensemble des rapports, développer des produits et services communs ou reliés.
D’une manière générale, je voudrais vous faire part des principales remarques que j’ai pu entendre en voyageant dans le monde entier. Le mieux est peut-être de commencer par ce qui fâche, pour terminer sur une note plus positive !
Les critiques viennent plutôt de ceux qui ont réellement eu à mener un projet en commun.
Difficultés administratives, de procédures de travail, ou de compréhension…
Parmi les difficultés administratives, prenons l’exemple de ceux de nos collègues étrangers qui ont eu à travailler avec des bibliothèques françaises dans le cadre d’un marché administratif. Ils ont toujours marqué une surprise extrême devant la complexité et la rigidité de l’aventure. Personne d’autre ne semble capable de comprendre comment fonctionne le système, ni le niveau de contrainte qu’il impose. Et pourtant, ils s’aperçoivent bien vite que le paiement de leurs factures dépend de cette compréhension !
Également, le fait de ne pouvoir évoluer dans le cadre de ce marché (en fonction des évolutions techniques par exemple) leur paraît souvent absurde. On préfère en France s’en tenir à la lettre, même si la solution est plus coûteuse ou moins efficace, car sinon il faudrait de nouvelles rédactions administratives, chose terrifiante s’il en est. Même si les étrangers comprennent la fonction de « garde-fou » de ces marchés, ils sont parfois étonnés de ce mode de gestion.
En ce qui concerne les difficultés de procédures de travail, on entend souvent : « Les Français font tout différemment des autres, et veulent leur solution à eux. » Les normes, les formats bibliographiques, les règles de catalogage, les fichiers d’autorité, tout ce que nous utilisons paraît parfois bien « franco-français ». Bien sûr, cela arrive aussi dans d’autres pays (l’Allemagne par exemple a des règles de catalogage et un format bien différents, sans parler du catalogage matières), mais la France semble toujours vouloir donner des leçons !
Le problème très terre à terre des horaires de travail est aussi parfois une source d’incompréhension mutuelle. Un Hollandais reprochera à un Français de n’être pas disponible à son bureau à l’heure du déjeuner, mais un Français lui reprochera à son tour de ne plus y être après 17 heures, surtout le vendredi après-midi…
Nous devons aussi, hélas !, accepter l’idée que le français n’est plus la langue internationale, la « lingua franca » d’autrefois (franca, est-ce à dire française ?). Mais quand il s’agit de rédiger des rapports ou des documents techniques, quand il s’agit de communiquer sur des points juridiques, le mauvais anglais des Français, comme le mauvais français des autres pays, nous jouent parfois des tours ! Ainsi, « eventually » en anglais, signifie « à la fin, finalement » (mais certainement), alors que nous voyons bien que quand nous promettons de faire quelque chose « éventuellement », nous ne nous sentons pas engagés à le faire à tout prix. D’où, accusations de déloyauté, de manque de fiabilité, de ne pas tenir ses promesses, etc.
Quand un Français voulant simplement demander quelque chose, dit : « I demand », il ne sait pas toujours qu’il est en train « d’exiger », et il est tout étonné d’être taxé d’arrogance…
Les exemples abondent. Nous sommes souvent accusés de mauvaise volonté, ou carrément de manque de travail, pour des raisons terminologiques, ou parce qu’il n’entre pas dans la coutume française de passer son temps à se vanter ou à se faire valoir devant des visiteurs, alors que c’est courant en Amérique.
Mieux se connaître, c’est mieux s’apprécier
Pourtant, quand on creuse un peu les choses, on s’aperçoit que, malgré ces difficultés, qui ne sont heureusement pas fondamentales, une grande admiration pour les bibliothèques françaises, et une grande estime pour nos bibliothécaires, se font jour sous les critiques. C’est à cause des collections si riches et si anciennes, des bâtiments parfois si prestigieux, des nouvelles technologies aussi bien maîtrisées qu’ailleurs, de la normalisation où la France joue un rôle de pointe dans le Comité technique 46 de l’ISO, que la France est toujours admirée, dans ses bibliothèques comme ailleurs. Il fut un temps où l’on disait qu’en France « on n’avait pas de pétrole, mais on avait des idées ». Cela est toujours vrai. Les Français demeurent inventifs, innovants, et enthousiastes. Même s’il est souvent difficile de continuer à fonctionner après le lancement d’un produit ou d’un service nouveau, la réflexion est là, et les bibliothécaires français ont su s’approprier les nouvelles technologies comme ceux des autres pays. Le maillage du pays en bibliothèques publiques est bon, les ressources électroniques viennent pallier les problèmes de locaux des bibliothèques universitaires, la Bibliothèque publique d’information attire toujours autant de visiteurs, et la Bibliothèque nationale, même si elle a changé de nom, est toujours la Bibliothèque nationale de France. Le pays qui a initié le système des ISSN, qui réalise un catalogue collectif national ambitieux, qui possède un serveur offrant plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages numérisés, est reconnu par les plus grands pays comme étant leur égal.
Alors, que manque-t-il au bibliothécaire français pour être totalement apprécié en dehors de ses frontières ? Peut-être le sens de la coopération internationale, de l’importance de la mondialisation à l’heure actuelle, et, pour certains, la volonté de participer, de se déplacer, d’aller dans des pays où le mode de vie est différent, pour devoir y présenter, souvent en anglais, les réalisations nationales. Nous faisons à mon sens beaucoup plus en allant assister à des colloques ou conférences pour parler de nos projets ou de nos succès, même dans une autre langue, qu’en restant isolés en France, en se répétant entre nous que nous faisons des choses admirables, sans en informer la communauté internationale des bibliothécaires. Il faut sortir, il faut communiquer, de quelque manière que ce soit. C’est aussi le moyen pour nous d’apprendre en partageant avec les autres. Il faut vouloir.
Juin 2002