La culture quand même !
Patrick Bloche
Marc Gauchée
Emmanuel Pierrat
Publié dans la collection de débats « Essai » chez Mille et une nuits, ce petit livre (à peine 150 pages) s’inscrit volontairement dans l’actualité politique : il s’agit, ni plus ni moins, du programme d’un futur ministre socialiste de la Culture. Programme élaboré conjointement par Patrick Bloche, député PS de Paris, Marc Gauchée, qui « a été directeur des affaires culturelles d’une commune francilienne », et Emmanuel Pierrat, l’avocat bien connu des lecteurs de Livres Hebdo.
État des lieux
En bons connaisseurs du monde culturel, les auteurs dressent un état des lieux complet et souvent nuancé. Regrettant « la relative apathie des débats sur la culture », qu’ils expliquent par son « triomphe », et, partant, sa « sortie du débat politique », ils s’emploient à identifier les atouts et faiblesses des politiques culturelles d’aujourd’hui.
Points forts, la montée des pratiques amateurs, la couverture du territoire en réseaux informatiques, la vitalité de la création, la déconcentration du ministère de la Culture, le rapprochement avec l’éducation populaire, la compétence des acteurs culturels. Points faibles, le discours « cache-sexe » sur la démocratisation, l’instrumentalisation de la culture par le ministère des Affaires étrangères, la politique de la ville ou les collectivités territoriales (accusées de faire de la « mercatique culturelle »), la rigidité des modèles préétablis, et surtout la faiblesse du ministère de la Culture, taxé d’« impuissance », sans souffle, sans moyens, à la « cohérence perdue » : bref, « on bricole », malgré la bonne volonté des ministres.
On peut s’interroger sur la validité de certains diagnostics, résolument et exclusivement appuyés sur des exemples parisiens ou franciliens, comme le Festival du film de Paris, la politique de Bertrand Delanoë en faveur des bibliothèques de la ville de Paris, les chèques-culture mis en place par la région Ile-de-France (ils existent depuis des années en Rhône-Alpes), l’activité militante de la Maison des arts et de la culture de Créteil ou les squats d’artistes parisiens. Mais on peut aussi saluer l’effort des auteurs pour ne pas simplifier à l’excès mais, au contraire, pour nuancer leurs analyses : à un hymne à la culture hip-hop répond l’affirmation de la nécessité d’une politique de la mémoire ; la mise en évidence de la vitalité des industries culturelles n’empêche pas le souci affirmé d’une meilleure qualification des agents culturels ou d’un meilleur soutien aux intermittents du spectacle.
Enfin, on ne peut qu’approuver la prise en compte des bibliothèques et de leur apport, souligné à plusieurs reprises, et la façon dont est souligné leur rôle dans la cité : « maisons de la connaissance », « maisons ouvertes au plus grand nombre » et « maisons du lien social ».
Un futur minist(è)re de la Culture
L’état des lieux une fois dressé, les auteurs s’emploient à définir le programme d’un futur ministère et d’un futur ministre. Il s’agirait de « recomposer plutôt que refonder », disent-ils en contredisant ainsi Jacques Rigaud. Recomposer, c’est-à-dire redéfinir les contours des compétences du ministère. La première mission serait « la mémoire, sa conservation, sa transmission et sa valorisation », à partir de l’exemple de la Bibliothèque nationale de France. La deuxième mission serait « l’éducation tout au long de la vie », où les bibliothèques joueraient un rôle de premier plan. La troisième mission serait de favoriser les parcours culturels personnels. Enfin, le soutien aux industries culturelles et à leur développement international compléterait ce programme.
Ce « ministère du citoyen dans la société de la connaissance » se composerait de trois pôles : « un pan patrimonial renforcé et rénové, un pan pour la médiation artistique et culturelle qui à la fois protège, suscite et soutient toutes les formes de création, un autre enfin qui regrouperait le suivi de toutes les industries culturelles. » Recomposition radicale, qui scinderait les actuelles directions sectorielles en fonction du registre de leurs compétences et interventions, patrimoniales, de diffusion ou industrielles. Pas un mot, par contre, sur les grands axes qu’on définit aujourd’hui comme porteurs d’avenir, à savoir l’expertise et l’évaluation. Sans doute parce que les auteurs de cet ouvrage parlent fort peu des collectivités territoriales et beaucoup de l’État – l’articulation entre les unes et l’autre, le partage des responsabilités entre les unes et l’autre ne semblent pas leur importer.
Ce programme se place clairement dans la famille socialiste, dont nombre de responsables sont salués et félicités, ainsi Lionel Jospin, Jack Lang, Catherine Trautmann, Catherine Tasca, Jean-Paul Huchon, Bertrand Delanoë, Roger Madec ou Laure Adler. Cet usage immodéré de la brosse à reluire nuit, évidemment, au sérieux de cet opuscule qui n’est pas, cependant, dénué d’intérêt.