Les bibliothèques publiques des grandes villes françaises et étrangères
Politiques documentaires
Pour l’Observatoire permanent de la lecture publique à Paris (OPLPP), une meilleure connaissance des politiques documentaires des bibliothèques publiques des grandes villes du monde est devenue une nécessité. S’appuyant sur les résultats d’une enquête menée au sein de l’Intamel (INTernational Association of MEtropolitan Libraries), l’auteur analyse d’une part l’organisation et le niveau d’activité des réseaux métropolitains de bibliothèques, d’autre part les principes de leur politique documentaire et les procédures de mise en œuvre de celle-ci. L’avance en ce domaine des bibliothèques publiques nord-américaines, scandinaves et asiatiques s’affirme. Les résultats de l’enquête Intamel alimenteront sans aucun doute la réflexion des institutions membres de l’OPLPP et des bibliothèques municipales parisiennes.
For the Observatoire permanent de la lecture publique à Paris (OPLPP), greater knowledge of the documentary policies of the public libraries of great towns and cities has become a necessity. Drawing on the results of an enquiry carried out within the Intamel (INTernational Association of MEtropolitan Libraries), the author analyses on the one hand the organisation and the level of activity of the metropolitan networks of libraries, and on the other hand the principles of their documentary policy and the procedures for carrying this out. The progress in this area of North American, Scandinavian and Asian public libraries becomes apparent. The results of the Intamel enquiry will undoubtedly give food for thought to member institutions of the OPLPP and Parisian municipal libraries.
Für das “Observatoire permanent de la lecture publique à Paris (OPLPP)” ist die bessere Kenntnis der Dokumentationspolitik der öffentlichen Bibliotheken der grossen Städte in der Welt eine Notwendigkeit geworden. Der Autor analysiert einerseits die Organisation und die Aktivitäten des Bibliotheksnetzwerks der Gro_städte, andererseits die Grundsätze der Dokumentationspolitik und die Verfahren diese zum Laufen zu bringen. Dabei stützt sich der Autor auf die Ergebnisse einer Untersuchung die innerhalb von Intamel (INTernational Association of MEtropolitan Libraries) durchgeführt wurde. Der Vorsprung auf diesem Gebiet der öffentlichen Bibliotheken von Nordamerika, Skandinavien und Asien wird bestätigt. Die Ergebnisse der INTamel Untersuchung bestätigen ohne Zweifel die berlegungen der Mitgliedsinstitutionen der OPLPP und der städtischen Bibliotheken von Paris.
Para el Observatorio permanente de la lectura pública en Paris (OPLPP), un mejor conocimiento de las políticas documentales de las bibliotecas públicas de las grandes ciudades del mundo se ha vuelto una necesidad. Apoyándose en los resultados de una encuesta llevada a cabo en el seno de la Intamel (INTernational Association of MEtropolitan Libraries), el autor analiza por una parte la organización y el nivel de actividad de las redes metropolitanas de bibliotecas, por otra parte los principios de su política documental y los procedimientos de puesta en marcha de ésta. El avance en este ámbito de las bibliotecas públicas norteamericanas, escandinavas y asiáticas se afirma. Los resultados de la encuesta Intamel alimentarán sin duda alguna la reflexión de las instituciones miembros de la OPLPP y de las bibliotecas municipales parisienses.
« Un choix pertinent de documents est essentiel à l’accomplissement de la mission de la bibliothèque publique de Toronto. Celle-ci doit, entre autres, “offrir l’accès le plus large à tous les savoirs, toutes les expériences, toutes les idées et à l’information…”. L’objectif de la Politique de choix des documents de la bibliothèque publique de Toronto est de guider le personnel dans l’acquisition des documents d’intérêt immédiat et/ou de valeur permanente pour le profit des usagers actuels et à venir des bibliothèques. Cette Politique a aussi pour objet de permettre aux usagers de prendre connaissance des principes qui guident les décisions et les choix d’enrichissement des collections de la bibliothèque publique de Toronto. » 1
Le 6 décembre 2001 s’est tenu à la Bibliothèque nationale de France (BnF) le troisième colloque professionnel organisé par l’Observatoire permanent de la lecture publique à Paris (OPLPP), sur le thème Les collections des bibliothèques à Paris : mieux les connaître, mieux les partager. 2
Très vite après avoir choisi de développer une réflexion commune autour de la politique documentaire des bibliothèques parisiennes, l’OPLPP a souhaité disposer d’un éclairage sur des pratiques internationales. Cette option avait déjà été retenue lors du colloque de 1998 qui avait également eu lieu à la BnF, sur le thème Publics et usages des bibliothèques à Paris aujourd’hui : un défi pour la coopération 3. À cette occasion, des bibliothécaires de Montréal et de Berlin avaient présenté leurs expériences dans le domaine de la coopération inter-institutionnelle. En l’absence, le 6 décembre, d’un intervenant étranger, les informations sur les politiques documentaires des bibliothèques étrangères ont été recueillies par le biais d’une enquête internationale.
Quels étaient les objectifs de l’OPLPP en menant cette enquête ? Il s’agissait tout d’abord de connaître le degré de formalisation et le niveau d’application atteints par les bibliothèques des grandes villes du monde dans un domaine qui préoccupe particulièrement les professionnels français depuis quelques années, celui de la politique documentaire et de la gestion des collections ; puis de donner la possibilité d’une mise en perspective des réflexions et travaux français, qui se sont récemment multipliés.
La ville de Paris avait par ailleurs un objectif propre : comparer les prestations qu’elle propose dans son réseau de bibliothèques municipales avec celles fournies par les grandes métropoles, une manière d’étalonnage en quelque sorte. Ces bibliothèques étant à la fois membres de l’OPLPP et de l’INternational Association of MEtropolitan Libraries (Intamel) (cf. encadré 1) 4, l’idée de lancer une enquête auprès des bibliothèques adhérant à cette association a rapidement vu le jour.
Structure et diffusion du questionnaire
Un questionnaire d’enquête a été adressé, en version anglaise, à 83 villes membres de l’Intamel. Envoyé en août 2001, le retour étant attendu pour la fin du mois d’octobre, il était divisé en 7 chapitres, regroupés en 2 grandes rubriques :
– éléments d’information permettant d’identifier et d’évaluer les réseaux de bibliothèques : informations générales et données statistiques sur la ville et le réseau, législation en vigueur dans le pays, mission, statut et niveau d’activité du réseau, état de l’offre électronique ;
– éléments de politique documentaire : mission documentaire des bibliothèques du réseau, chartes documentaires et plans de développement des collections, objectifs en terme d’acquisition et d’éliminations, procédures de sélection et d’acquisition.
Il était demandé aux destinataires de bien vouloir joindre à leur questionnaire rempli tous les documents susceptibles de compléter l’information. Huit villes ont envoyé des documents d’accompagnement (missions, chartes, plans de développement, procédures, etc.) : Saint Louis, Houston, Lexington, Toronto, Turin, Copenhague, Rotterdam et Helsinki 5. Une recherche complémentaire a été effectuée sur les sites web de certaines bibliothèques. En complément des réponses à l’enquête, les dernières statistiques de l’Intamel, celles de l’année 1999, ont permis de compléter les informations sur l’offre et le niveau d’activité.
Sur les 83 villes destinataires du formulaire d’enquête, 28 ont répondu et 27 ont retourné un questionnaire rempli 6, soit un taux de réponse de 33,3 %. Les membres de l’Intamel se sont donc volontiers prêtés au jeu des questions. Sollicités chaque année pour transmettre leurs données statistiques, ils ont l’habitude de faire circuler au sein de l’association un certain nombre d’informations les concernant ; c’est pourtant la première fois qu’une enquête formelle était réalisée au sein de l’Intamel.
Les grands réseaux de lecture publique à travers le monde
L’origine géographique des répondants fait apparaître que 9 villes sont nord-américaines, 16 européennes, une africaine et 2 asiatiques IMAGE(cf. tableau 1).IMAGE Trois villes ont une population de plus de 3 millions d’habitants (Los Angeles, Singapour, Hong Kong), 4 villes de plus de 2 millions d’habitants (Queens [New York] 7, Toronto, Paris, Bucarest) et 5 villes de plus d’un million d’habitants (Houston, Milan, Vienne, Prague, Le Cap).
La plupart des bibliothèques qui ont répondu à l’enquête sont des bibliothèques municipales (20 sur 28), 2 sont des bibliothèques régionales, équivalents lointains de nos bibliothèques départementales de prêt 8 (Saint Louis et Toledo), 4 ont un statut mixte, municipal et régional (Lexington, Philadelphie, Helsinki et Singapour). L’une a un statut singulier, la bibliothèque de Queens, qui est une organisation sans but lucratif (cf. tableau 2).
Les modes de financement sont également variés, bien qu’en toute logique majoritairement municipaux. En appoint des financements institutionnels, beaucoup de bibliothèques déclarent compléter leur budget par le mécénat, les recettes propres (inscriptions, ventes de produits et de publications), des subventions exceptionnelles d’une autre tutelle, liées à des missions particulières ou des projets spécifiques.
Les réseaux
L’analyse de la structure des réseaux IMAGE(cf. tableau 3)IMAGE montre que trois d’entre eux n’ont pas de bibliothèque centrale (Toronto, Paris 9 et Hong Kong) et que, a contrario, une ville a deux bibliothèques centrales (Le Cap). Deux villes ont un réseau réparti sur un nombre exceptionnellement élevé de sites (100) : Toronto et Le Cap. Le nombre moyen d’annexes pour les 28 villes concernées par l’enquête est de 40 10.
Les réseaux les plus étendus sont ceux de Houston (190 600 m2), Glasgow (173 300 m2), Toronto (153 134 m2) et Los Angeles (106 500 m2). Quatre réseaux ont entre 80 000 et 60 000 m2 de superficie (Singapour, Queens, Hong Kong, Paris). Dix-neuf villes complètent leur offre par des bibliobus, le parc le plus important – 10 véhicules – étant celui de Saint Louis (Missouri).
L’offre documentaire et le niveau d’activité de ces 28 réseaux métropolitains de bibliothèques sont très divers (cf. tableau 4 et tableau 5). Quatre villes réalisent plus de 25 millions de prêts par an (Hong Kong, Queens, Toronto, Singapour), 3 plus de 10 millions (Los Angeles, Paris, Le Cap). Huit villes ont une moyenne de plus de 9 prêts par habitant et par an, le record étant détenu par Helsinki (16 prêts) et Queens (15 prêts). Les prêts par usager sont supérieurs à 30 par an dans 10 villes. Quatre systèmes de bibliothèques ont un taux de fréquentation supérieur à 50 %, le taux moyen pour l’ensemble des bibliothèques de l’enquête étant de 33,3 % 11.
Il ne semble pas possible d’établir un lien entre l’étendue du réseau (en mètres carrés et en nombre de sites) et l’ampleur de l’offre documentaire d’une part, le niveau d’activité d’autre part. Le cas le plus exceptionnel est celui de la bibliothèque de Queens qui, avec moins de 80 000 m2 et soixante-trois sites, sert 871 000 usagers inscrits et réalise près de 34 millions de prêts par an à partir d’une collection de 11,6 millions de documents. Les cas de Hong Kong et Singapour sont également remarquables (respectivement 34 et 25 millions de prêts, 36,4 % et 56,2 % de taux de fréquentation pour des réseaux de superficie « moyenne »). À l’extrême inverse, les bibliothèques de Vienne et de Bucarest sont peu performantes et peu attractives. On peut facilement supposer que c’est l’existence d’une politique volontariste et dynamique dans le domaine de la lecture publique (horaires d’ouverture, variété et pertinence des services, collections, offre électronique) qui fait la différence.
L’observation des dépenses d’acquisition par habitant (de 25,65 p à Queens à 0,06 p à Bucarest, avec une moyenne de 3,95 p sur l’ensemble des villes) permet d’établir une relation entre l’investissement financier consenti par la tutelle pour la bibliothèque et l’existence d’une politique documentaire.
Sur les 12 villes qui dépensent plus de 3 p par an et par habitant pour les acquisitions, 9 ont des chartes documentaires (complétées ou non par des plans de développement des collections) : Queens, Houston, Lexington, Philadelphie, Toronto, Glasgow, Copenhague, Rotterdam et Helsinki.
La place qu’occupent les bibliothèques dans le paysage social et culturel et le rôle qu’elles jouent au sein de la communauté locale ou nationale ne sont de toute évidence pas les mêmes partout... Cette observation ne doit pas mettre en cause, de quelque manière que ce soit, la qualité du travail fait par les professionnels dans chacune des villes de l’enquête : beaucoup d’entre eux ont été convaincus de la nécessité de préciser la mission documentaire de leur bibliothèque et l’ont fait (bibliothèques allemandes, Prague, Milan, Turin). Avec un meilleur soutien politique et/ou financier de leur tutelle, bon nombre de situations seraient plus satisfaisantes.
L’offre électronique
Quelle est l’ampleur et la variété de l’offre électronique des bibliothèques touchées par l’enquête ? L’ensemble des bibliothèques interrogées, sauf une, Bucarest, ont dans leurs collections des documents électroniques (cédéroms/DVD-roms). Il s’agit pour certaines de plusieurs milliers de documents (plus de 4 000 documents électroniques à Brême, Copenhague, Rotterdam, Helsinki ; plus de 7 000 à Queens, Toledo, Dresde, Glasgow ; plus de 10 000 à Lexington et Toronto). Hong Kong et Singapour proposent, quant à elles, respectivement 32 000 et 72 000 documents électroniques 12.
Toutes les bibliothèques ayant répondu donnent accès à Internet dans leurs locaux, sur un nombre de postes très varié (de 3 à Zurich jusqu’à 1 327 à Toronto). La quasi-totalité des bibliothèques dispose d’un site web. Seules Paris et Bucarest ne proposent pas ce service à leurs usagers. Sur ces sites web, cohabitent des prestations aux usagers (cf. encadré 2) et des services documentaires.
Parmi ces derniers, le plus courant est l’accès au catalogue (95 % des bibliothèques). Les liens avec d’autres sites web (signets ou bookmarks), sélectionnés par la bibliothèque et intégrés au catalogue, sont très largement pratiqués. Vient ensuite la mise à disposition d’images, de documents en texte intégral, de périodiques électroniques et de documents numérisés. Les bibliographies et les listes de nouvelles acquisitions, prestations couramment proposées en version imprimée par les bibliothèques, sont relativement peu présentes sur les sites web 13.
Parmi les services web plus exceptionnels, attirons une nouvelle fois l’attention sur le cas de la bibliothèque de Queens. La bibliothèque est, via son site web, un portail e-book, c’est-à-dire que les usagers peuvent télécharger chez eux les textes de leur choix et constituer, au sein de l’offre de la bibliothèque, leur bibliothèque virtuelle, sur le nombre de titres et pour la durée qui leur convient. À l’heure où les e-books ont fait leur apparition dans les bibliothèques françaises (Issy-les-Moulineaux, Boulogne-Billancourt, Lyon), la recherche d’informations sur le service de Queens serait sans doute intéressante. Signalons également l’offre de la bibliothèque de Toronto qui propose sur son site web une bibliothèque de référence virtuelle, offrant en ligne des documents numériques, 17 000 sites sélectionnés et cinq portails spécialisés.
Toutes les bibliothèques sauf une (Zurich) proposent à leurs usagers une médiation pour l’utilisation des ressources électroniques. La prestation offerte par la bibliothèque varie : elle va de l’assistance individuelle à la recherche (dans l’Opac, les cédéroms et les bases de données en ligne, sur Internet), jusqu’aux classes ou ateliers de formation organisés sur une base régulière. Dans le cadre de ces séances destinées à des petits groupes, aux recherches précédemment citées s’ajoutent selon les cas des formations aux logiciels bureautiques, à l’utilisation d’une messagerie électronique, à la conception des sites web.
Pour terminer ce tour d’horizon et offrir tous les éléments d’appréciation souhaitables, quelques informations générales d’une part sur la législation en vigueur dans les pays dont les bibliothèques de l’enquête sont originaires, d’autre part sur la définition des missions des bibliothèques concernées.
Législation
Les 28 bibliothèques qui ont répondu à l’enquête sont originaires de 17 pays différents. Sur ces 17 pays, 8 disposent d’une loi sur les bibliothèques 14. Au sein de ces 8 pays, 7 ont inclus dans leur loi sur les bibliothèques une définition de la mission des bibliothèques publiques.
Les 9 pays exempts d’une loi nationale disposent pour 5 d’entre eux de textes législatifs régionaux (les State laws and regulations aux États-Unis, les réglementations au niveau des Länder en Allemagne, au niveau des Regione en Italie) ou de réglementations ministérielles (Roumanie, Hong Kong), qui cadrent la mission et le champ d’action des bibliothèques. Seuls 3 pays (France, Suisse, Autriche) ne donnent aux bibliothèques aucun soutien ni législatif, ni réglementaire. Lyon mentionne comme texte de référence la Charte des bibliothèques produite par le Conseil supérieur des bibliothèques en 1992.
Missions
À la question « La mission des bibliothèques de votre réseau a-t-elle été définie, et si oui, par qui et dans quel type de document ? », 23 bibliothèques sur 27 ont répondu positivement. Dans la grande majorité des cas, la mission a été définie par l’équipe de direction de la bibliothèque ou le conseil d’administration (Board of Trustees). Une seule bibliothèque (Lexington) mentionne la participation d’un comité d’usagers.
Sauf aux États-Unis où une ratification de ce type ne semble pas de mise, elle a été ensuite validée par les autorités de tutelle (en l’occurrence le conseil municipal pour les bibliothèques financées par une ville). En Roumanie, à Singapour (ville-état) et à Hong Kong (ville-région), ce sont des structures gouvernementales nationales qui ont précisé la mission des bibliothèques concernées (ministère de la Culture en Roumanie, National Library Board à Singapour 15, gouvernement de la région administrative spéciale de Hong Kong).
La mission des bibliothèques est décrite le plus fréquemment dans les mission statements aux États-Unis, les rapports annuels, les plans pluri-annuels de développement, les règlements, les guides d’information à l’intention des usagers. C’est un document public dans presque tous les cas.
Pour conclure cette première partie, examinons brièvement la mission attribuée aux bibliothèques publiques de l’enquête, et la population qu’elles sont appelées à servir. Pour les 23 bibliothèques qui ont répondu à la question, certaines missions apparaissent comme fondamentales, inhérentes au concept premier de lecture publique, d’autres complémentaires (cf. encadré 3).
Ces quelques éléments d’information laissent supposer à quel point l’organisation et le fonctionnement de réseaux de cette importance peuvent être complexes. Des dizaines de milliers de mètres carrés de bibliothèques à gérer sur des territoires souvent très étendus, une multiplicité de sites et d’équipes, autant de points qui rendent difficiles une réflexion et une action cohérentes. Mis en relation avec les éléments qui vont suivre, ils fournissent l’opportunité de juger s’il s’agit ou non d’un handicap au développement d’une politique documentaire raisonnée et formalisée.
Par ailleurs, ils permettent d’une part de mettre à jour certaines données déjà connues sur les bibliothèques étrangères, d’autre part de faire découvrir la situation des bibliothèques de certains pays qui font très rarement l’objet d’étude : c’est le cas notamment de la République tchèque, l’Autriche, la Croatie, la Roumanie, l’Afrique du Sud, Singapour et Hong Kong.
Les contours des politiques documentaires
À la question : « Existe-t-il une définition de la mission de votre bibliothèque en termes de collections et de services d’information ? », 22 bibliothèques ont répondu oui, 6 ont répondu non. Parmi ces dernières (Saint Louis, Turin, Glasgow, Zurich, Vienne, Paris), la ville écossaise se distingue, puisque la charte documentaire est en cours de définition.
Pour les bibliothèques ayant répondu oui, dans 8 cas, la mission documentaire concerne l’ensemble du réseau 16 ; pour les autres, la définition précise également la mission de la bibliothèque centrale, des annexes et, quand ce service existe, celle des bibliobus 17.
Comme pour la mission générale de la bibliothèque, c’est l’équipe de direction de la bibliothèque ou le conseil d’administration qui a élaboré la définition, mais cette fois sur la base d’un travail préalable mené par des professionnels spécialistes (responsable [du développement] des collections, de la politique documentaire, acquéreurs, etc.).
Dans 83 % des cas 18, cette mission a été spécifiée dans un document écrit. Ce document est le plus souvent une charte de politique documentaire (Queens, Houston, Lexington, Philadelphie, Toronto, Brême, Copenhague, Rotterdam, Helsinki, Hong Kong) 19. Dans tous les cas sauf un (Brême), c’est un document public, validé par la tutelle. La première édition peut en être ancienne : la charte documentaire de Philadelphie date de 1964, celles de Cleveland et de Houston respectivement de 1985 et de 1987. Cependant, la plus grande partie des documents de politique documentaire a été conçue et publiée au cours des années 1990. Après leur publication, les chartes documentaires sont mises à jour, soit sur un rythme régulier (tous les deux ans, trois ans, cinq ans), soit ponctuellement quand le document existant n’est plus adapté (évolution du public, de l’offre éditoriale, des technologies de l’information, etc.). Le document est disponible dans une version imprimée, et est très fréquemment accessible sur le site web de la bibliothèque, en version intégrale ou abrégée. Les chartes documentaires sont également utilisées en interne, comme document de cadrage de l’action des professionnels.
Démarches préalables
En vue de définir la mission documentaire de la bibliothèque :
–des données statistiques ont été réunies par 84 % des bibliothèques 20, concernant les collections, les publics et les usages. Une démarche préparatoire d’analyse statistique paraît donc indispensable (cf. encadré 4).
Il est évident que les éléments pris en compte dépendent de la variété des données statistiques fournies par les logiciels de gestion de bibliothèques. Par ailleurs, apprécier l’ampleur et la nature de la consultation sur place repose souvent sur des comptages manuels ou des enquêtes de public, ce qui n’est pas toujours compatible avec les moyens humains ou financiers dont disposent les bibliothèques. Cependant, on peut dire que l’analyse des collections existantes et l’évaluation des usages, désignées par Bertrand Calenge dans ses ouvrages 21 comme des préalables essentiels, sont considérées comme tels depuis longtemps par les professionnels étrangers.
–toutes les équipes des bibliothèques qui possèdent une charte documentaire, sauf une (Copenhague), ont intégré dans leur réflexion des éléments externes : la nature et l’ampleur des collections et services d’informations d’autres bibliothèques situées sur le même territoire.
Selon la variété de l’offre en bibliothèques de la ville concernée, ont été considérées les collections de la bibliothèque nationale 22 (BN), des bibliothèques universitaires (BU), des bibliothèques scolaires et des bibliothèques spécialisées (BS). Le plus fréquemment, c’est l’offre documentaire des bibliothèques universitaires et scolaires qui est concrètement prise en compte.
Peu de partenariats formels existent cependant : à Prague, pour le partage des collections de techniques, de médecine et d’art (BM, BU et BS) ; à Houston (BM, BU) pour des domaines particuliers ; à Brême, dans le cadre d’un partenariat spécifique entre les BM et les BU, allant jusqu’à un accord sur le partage des acquisitions ; à Dresde, pour le partage des collections de périodiques (BM, BU et BS) ; à Queens et Lyon, pour le partage des fonds d’intérêt régional ; à Singapour, par la fourniture d’un kit documentaire de base aux bibliothèques scolaires, assorti d’une aide au suivi des collections.
Par ailleurs et selon les cas, le prêt interbibliothèques est pratiqué entre les bibliothèques situées sur le même territoire ; des publications communes sont produites (Dresde) ; les résidents de la collectivité territoriale peuvent emprunter conjointement dans les bibliothèques municipales et universitaires (Lexington) ; des liens privilégiés apparaissent sur les sites web.
Coopération inter-institutionnelle
Deux cas de coopération inter-institutionnelle méritent d’être brièvement développés ici : celui de Queens et du réseau METRO ; celui de Rotterdam et du réseau Rotterdamnet 23.
La bibliothèque de Queens est membre de la Metropolitan Library Association METRO, réseau dont les membres sont les bibliothèques universitaires, publiques et spécialisées de New York. L’adhésion n’inclut pas d’autres partenariats formels que le partage des ressources d’origine régionale. De multiples ententes informelles existent cependant en complément. La bibliothèque de Queens participe également au Conseil des bibliothèques scolaires (School Library System Advisory Board), dont la mission est de porter attention aux besoins documentaires des élèves de tous niveaux et de définir les ressources qui doivent être mises à leur disposition. À Rotterdam, par le biais de Rotterdamnet, un partenariat entre les bibliothèques publiques, universitaires, scolaires et spécialisées a été établi. L’intention de partager les ressources documentaires est clairement affirmée, mais, pour l’instant, aucun accord spécifique n’a été défini. Pour l’OPLPP, dont l’ambition est d’instaurer une véritable coopération documentaire entre les bibliothèques de la capitale, ces informations sont un encouragement à maintenir un cap difficile et à rechercher une prise de position politique déterminée.
Des plans de développement des collections
Des plans de développement des collections complètent-ils les chartes documentaires ? À l’examen des réponses, il apparaît que plusieurs bibliothèques ne disposent que d’un seul et unique document de référence pour la définition de leur politique documentaire et la gestion de leurs collections (Queens, Houston, Dresde, Helsinki, Prague). Ces documents mixtes sont plus ou moins élaborés et précis. Pour Queens, la Collection Development Policy est conçue comme un document de politique documentaire et un recueil de procédures. Il contient les principes de la liberté intellectuelle et précise les services à fournir à la communauté. Il définit les niveaux de la collection, les collections spécialisées, les types de documents et conclut sur les principes du désherbage.
Cependant, 10 bibliothèques possèdent de réels plans de développement des collections : Lexington, Philadelphie, Toronto, Brême, Milan, Copenhague, Rotterdam, Zagreb, Singapour, Hong Kong. Ils ont été rédigés en coopération par des professionnels du réseau spécialistes des collections (coordinateur du développement des collections, directeur du département des collections, responsables de départements spécialisés) et par les responsables des annexes. C’est donc un travail réservé à des bibliothécaires impliqués dans la gestion des ressources documentaires du réseau, même si la direction de la bibliothèque est engagée elle aussi dans le processus.
Dans 6 cas sur 10, les plans de développement des collections sont des documents exclusivement internes. À Lexington, à Toronto et à Hong Kong seulement, ces documents sont à la fois internes et publics. À Philadelphie, le plan de développement des collections est à usage interne, mais communiqué à toute personne intéressée sur simple demande. Quel que soit le statut de ces textes, ils précisent d’une manière détaillée le profil des collections, ainsi que les options et les objectifs documentaires.
Ces documents de travail pour le personnel sont, d’une manière générale, légèrement plus récents que les chartes documentaires. Ils sont régulièrement mis à jour, souvent sur une base annuelle. L’évaluation des collections et l’examen des statistiques aident à leur révision.
Dans les plans de développement des collections, les objectifs en terme d’acquisitions 24 sont définis soit pour l’ensemble du réseau (Lexington, Toronto, Hong Kong), soit à la fois pour l’ensemble du réseau et pour les différents types de bibliothèques 25 (Philadelphie, Brême, Milan, Rotterdam, Copenhague, Zagreb, Singapour) (cf. encadré 5).
Les ressources électroniques sont partout intégrées dans les plans de développement des collections. L’élargissement progressif de l’offre a obligé l’ensemble des professionnels à la définition de principes d’acquisitions clairs et sans cesse réévalués.
Les ressources électroniques sont analysées selon les mêmes critères que les autres documents : contenu, présentation, facilité d’utilisation, pertinence par rapport à la collection de la bibliothèque et disponibilité des produits, etc. Les sites Internet sélectionnés par la bibliothèque sont considérés comme faisant partie intégrante des collections : ils sont donc indexés et accessibles par le biais du catalogue. Les achats de documents imprimés sont, aujourd’hui dans de nombreux cas, examinés à la lueur des disponibilités électroniques. Les bibliothèques signalent un transfert fréquent – voire systématique – des acquisitions vers les documents électroniques dans les domaines suivants : documents de référence, périodiques, normes.
Désherbage
Les objectifs en terme d’élimination y sont également précisés. Cela dit, et d’une manière très surprenante, alors que les questions posées dans le questionnaire à cette rubrique étaient en principe réservées aux bibliothèques disposant d’un plan de développement des collections, les réponses ont été beaucoup plus nombreuses que prévu 26. Ce qui semble signifier que les principes et les procédures de désherbage sont bien établis partout, en dehors même d’une formalisation de la politique documentaire. Beaucoup affirment que les éliminations sont une étape essentielle de la gestion des collections : de la qualité du désherbage dépend la qualité de la collection, au même titre que cette dernière dépend de la qualité des acquisitions. Un désherbage mal maîtrisé peut conduire à un déséquilibre ou à un appauvrissement des collections.
Le processus d’élimination est selon les cas explicité de manière plus ou moins détaillée, mais il obéit partout aux mêmes principes, élaborés par les professionnels. Un document est retiré des collections en fonction des critères suivants : l’état physique du document (documents défraîchis ou détériorés par les usagers) ; l’absence de prêts ou des prêts très réduits ; la disponibilité d’une nouvelle édition actualisée ; la valeur et l’âge de la collection par rapport au sujet ; l’évolution des centres d’intérêt des usagers ; la nécessité de remplacer des documents existants (cassettes audio et cassettes vidéo) par des supports plus récents (disques compacts, DVD vidéos) ; l’existence d’une offre électronique équivalente ou plus performante (cédéroms, DVD-roms), susceptible de se substituer avec profit aux documents imprimés.
En complément, les problèmes d’espace sont également mentionnés : on élimine pour permettre l’introduction de nouveautés dans les collections. Les insuffisances budgétaires, à plusieurs reprises évoquées dans les réponses au questionnaire d’enquête, compliquent les choix et la gestion de la collection dans son ensemble.
Sélection et acquisition
Pour terminer la présentation des résultats et mettre en perspective les informations de politique documentaire fournies par les 28 villes de l’enquête Intamel, quelques indications sur les procédures de sélection et d’acquisition appliquées dans les grands systèmes de bibliothèques, ainsi que sur la répartition des crédits au sein des réseaux. Plusieurs questions ont été posées à ce sujet : la sélection et les acquisitions du réseau sont-elles centralisées ou décentralisées ? Selon quels critères sont répartis les crédits entre les bibliothèques du réseau ? L’attribution des crédits à chaque site est-elle globale ou ciblée, par support ou sujet ?
Sur 26 réseaux de bibliothèques :
–dix réseaux pratiquent une sélection documentaire centralisée et des acquisitions centralisées (Saint Louis, Philadelphie, Toronto, Brême, Milan, Turin, Copenhague, Bucarest, Prague, Singapour). Il s’agit donc d’un système équivalent à celui d’un « office » pour les bibliothèques, sans possibilité de choix de leur part.
Généralement, des comités de bibliothécaires sélectionnent les documents pour l’ensemble des sites dans le cadre de réunions régulières (hebdomadaires ou bimensuelles). Ces groupes, investis d’une responsabilité « réseau » ont des périmètres divers : ce sont soit des comités chargés d’une sélection par support, soit des groupes de bibliothécaires qui effectuent une sélection multisupports. Ils sont composés de responsables d’annexes et de membres du département des collections, auxquels s’associent parfois des spécialistes par sujets. Dans la plupart des cas, l’activité des comités est coordonnée par le département des collections.
La sélection réalisée distingue d’une part la sélection des documents pour la bibliothèque centrale, d’autre part celle des documents pour les annexes. Pour effectuer cette dernière, la plus délicate, les sélectionneurs s’appuient sur des profils de collections, disponibles pour chaque site, tels que définis dans le plan de développement des collections du réseau, et sur les données statistiques traduisant l’utilisation des fonds par les usagers.
À Saint-Louis et à Turin, les comités de sélection examinent également les demandes des usagers et se prononcent sur la pertinence de l’acquisition des titres souhaités.
–six réseaux sont organisés sur la base d’un système mixte sélection centralisée/décision d’achat déconcentrée/acquisitions centralisées (Houston, Dresde, Leipzig, Vienne, Lyon, Paris). Des listes de sélection sont établies, soit par des groupes de bibliothécaires représentatifs (bibliothèque centrale, annexes, département des collections), soit par le seul département des collections. Les bibliothèques du réseau effectuent un choix documentaire au sein de ces listes régulières. Des listes spécifiques sont parfois éditées en complément : par supports, ou après identification de lacunes des collections, par exemple. À Houston, les commandes individuelles des bibliothèques sont à réception reconsidérées dans l’optique d’un système global et cohérent.
C’est sur cette base qu’est organisée la sélection documentaire dans les bibliothèques municipales de Paris. La décision d’achat est déconcentrée ; cependant, depuis quelques années, on essaie de veiller à la variété et à l’équilibre des collections de l’ensemble du réseau, en multipliant les niveaux d’intervention documentaire : offre de proximité dans les bibliothèques de quartier, offre sectorielle de deuxième niveau (6 secteurs de concertation, regroupant chacun 6 à 10 bibliothèques, sont chargés d’achats plus pointus ou plus onéreux), et offre de troisième niveau à la Réserve centrale (175 000 documents en prêt indirect dans n’importe quelle bibliothèque du réseau, souvent en exemplaire unique dans le catalogue).
À Lyon, une nuance : pas de liste de présélection, mais les responsables des annexes et des départements thématiques de la bibliothèque centrale procèdent à une sélection au sein de l’ « office » de la librairie Decître, laissé en dépôt chaque semaine. Le responsable du service Acquisitions facilite le travail de choix, en mettant à disposition des informations complémentaires sur les ouvrages proposés.
–dix réseaux pratiquent sélection et décisions d’achat décentralisées : Queens, Toledo, Los Angeles, Lexington, Zurich, Copenhague, Helsinki, Zagreb, Hong Kong. Un travail préalable de conseil peut être fourni par le département du développement des collections. Deux bibliothèques signalent que, en dépit d’une sélection déconcentrée, les acquisitions sont centralisées, sous la responsabilité du département des acquisitions (Hong Kong, Helsinki). Malheureusement, cette information n’a pas été donnée par les autres réseaux.
Le cas de Rotterdam présente un intérêt certain, puisque les procédures de gestion des collections du réseau sont en cours de modification. Jusqu’à aujourd’hui, chaque site (bibliothèque centrale comme annexes) possédait une entière responsabilité documentaire. Dans le cadre d’un processus de changement prévu en 2002, les acquisitions seront centralisées. Les principes et procédures en sont décrits dans le plan de développement des collections, paru en mai 2001, sous le titre Notitie Collectiebeleid (Notice de politique documentaire), le plus récent des documents d’accompagnement transmis, et sans doute un des plus élaborés.
Analyse de 3 modèles
Sur les 17 réseaux qui ont indiqué avoir une politique documentaire formalisée, développée dans un document de référence (charte documentaire ou plan de développement des collections), 8 pratiquent sélection et décisions d’achat centralisées (Philadelphie, Toronto, Brême, Milan, Copenhague, Bucarest, Prague, Singapour), 5 sélections et décisions d’achat décentralisées (Queens, Lexington, Helsinki, Zagreb, Hong Kong), 3 sélections centralisées et décisions d’achat déconcentrées (Houston, Dresde, Lyon). Rotterdam, on le sait, est en phase d’évolution.
Dans les réseaux du premier modèle, pourquoi une centralisation de la sélection et des acquisitions existe-t-elle ? Est-ce une pratique ancienne ou récente ? Si la procédure est récente, est-ce en vue d’une application plus facile des principes de politique documentaire ? Ou, au contraire, ce mode de fonctionnement est-il une des conséquences de l’existence d’axes de sélection explicitement établis à la fois pour le réseau et pour les différents sites, qui permettent un suivi documentaire « à distance » ?
Dans les réseaux qui fonctionnent selon le second modèle (sélection et décisions d’achat décentralisées), il est évident que l’application d’une politique documentaire commune, compte tenu de l’éclatement des lieux de réflexion et de décision, s’appuie obligatoirement sur des principes clairement exprimés, approuvés par les équipes, et décrits d’une manière très détaillée dans des documents écrits, servant de cadre à l’action de l’ensemble des personnels. À un degré moindre, c’est également le cas des réseaux du troisième modèle.
Comment interpréter, à la lumière de ce qui vient d’être dit, l’évolution du réseau de Rotterdam, décrite ci-dessus ? Quant aux réseaux qui associent absence de politique documentaire formalisée et décisions d’achat décentralisées (Los Angeles, Leipzig, Zurich, Vienne, Paris), que penser de la gestion de leurs collections ?
Demandes des usagers
Dans l’ensemble des bibliothèques de l’enquête, les demandes des usagers sont systématiquement prises en compte, mais n’aboutissent pas obligatoirement à une décision d’achat. Une grande unité s’observe dans les critères de décision. Les demandes sont approuvées quand elles sont en cohérence avec la politique d’acquisition de la bibliothèque. Elles sont rejetées quand le sujet ou le niveau de spécialisation ne correspond pas à ceux retenus par la bibliothèque, quand le format n’est pas adapté, quand le coût est trop élevé, quand de mauvaises critiques ont été relevées. Plusieurs bibliothèques vérifient préalablement la présence du document dans le catalogue collectif du réseau et dans ceux des bibliothèques situées sur le même territoire, et préfèrent parfois le prêt entre bibliothèques à l’achat.
Répartition des crédits
La ventilation du budget annuel d’acquisitions entre les bibliothèques du réseau suit la plupart du temps une répartition bibliothèque centrale/annexes (et bibliobus, quand ceux-ci existent) : c’est le cas de 23 réseaux sur 26. L’affectation des crédits aux différents sites peut être globale, sans instruction particulière concernant l’utilisation des crédits (14 réseaux) 27 ; ciblée par type de documents (6 réseaux) ; ciblée par type de documents et par domaine documentaire (3 réseaux). Saint Louis, Turin et Bucarest, 3 villes qui pratiquent sélection et acquisitions centralisées, ne répartissent pas les crédits par site, mais attribuent aux bibliothèques du réseau un nombre annuel de documents neufs, en fonction de la taille de la collection, des statistiques d’utilisation du fonds, du nombre et type de services, de l’espace disponible 28. Entre les annexes, la ventilation des crédits s’effectue en fonction d’un certain nombre de critères énumérés dans l’encadré 6 29.
Le dernier critère – le profil socioprofessionnel des usagers des annexes (Toronto) – mérite une attention particulière. En effet, le constat de la présence de nombreuses personnes à bas revenus parmi les usagers de telle ou telle annexe du réseau de Toronto entraîne une augmentation des crédits affectés à ladite annexe. Plus le public est défavorisé, plus la bibliothèque doit être riche. Le rôle social de la lecture publique haussé à son niveau le plus élevé… Le parangon de la conception anglo-saxonne de la bibliothèque.
Bien que largement tempéré par des analyses parfois fines, le critère principal de répartition des crédits est donc le nombre de prêts réalisé par chaque annexe. On sait à quel point il est courant de ne considérer que le volume des prêts pour évaluer l’activité d’une bibliothèque, attribuer les crédits et les effectifs, et combien cela est contesté, et contestable. Les professionnels français souhaitent faire reconnaître l’importance des services aux usagers, du travail avec les enfants et adolescents et avec les structures scolaires ou parascolaires qui les accueillent, des actions hors les murs. Nos collègues étrangers mènent-ils le même combat ?
Quelques pistes de réflexion
Beaucoup d’informations très intéressantes ont été recueillies par le biais de l’enquête Intamel, des informations peu répandues et d’une nature un peu particulière : celles qui concernent les grands réseaux de bibliothèques publiques, ceux des grandes métropoles, en tout cas ceux des villes d’une population supérieure à 400 000 habitants. C’est une problématique tout à fait spécifique, peu traitée dans la sphère professionnelle nationale. Il est vrai que seules 4 villes françaises ont une population de cette importance et des réseaux dont la structure approche ceux des villes membres de l’Intamel (Paris, Marseille, Lyon, Toulouse) 30. La profession évoque plus volontiers, en effet, des questions communes à tous (BM, BU, BDP) que des aspects particuliers peu modélisants 31.
À la lecture de la synthèse des résultats de l’enquête, bon nombre de curiosités sont sans doute satisfaites, mais de multiples questions surgissent immédiatement. Or, il serait très imprudent d’aller au-delà de ce que disent les réponses au questionnaire. Un travail complémentaire s’impose donc. Pour tirer véritablement profit des renseignements réunis, il conviendra :
– d’établir un lien précis entre les procédures de sélection et d’acquisition décrites et les principes documentaires annoncés, afin d’éclairer l’ensemble des questions posées ci-dessus ;
– d’analyser en détail les chartes documentaires et les plans de développement des collections qui accompagnaient les questionnaires ;
– de recueillir plus d’informations, en prenant contact avec les villes qui n’ont pas d’emblée joint leurs textes de politique documentaire.
C’est alors seulement qu’une mise en perspective des réflexions et travaux étrangers et français pourra être effectuée.
Il ressort de cette enquête qu’il n’y a pas de modèle, mais plusieurs cas très intéressants, voire exceptionnels, comme ceux des bibliothèques de Queens, Toronto, Copenhague, Helsinki, Singapour. L’exemple européen le plus remarquable paraît être aujourd’hui celui de la bibliothèque de Rotterdam, en évolution profonde.
Dans ces villes, la bibliothèque est un des services fondamentaux fournis à la population et la lecture publique y est un enjeu d’importance. Les fondements du système sont solides ; le développement en est réfléchi et cohérent ; les missions, objectifs, procédures sont clairement formalisés et validés ; les moyens sont largement mis à disposition. La mise en place d’une politique documentaire raisonnée est la conséquence logique et facile de l’ensemble.
Les résultats de l’enquête Intamel alimenteront sans aucun doute la réflexion des institutions membres de l’Observatoire permanent de la lecture publique à Paris : de véritables partenariats documentaires entre les bibliothèques de la capitale réussiront-ils à voir le jour ? Des partenariats de service peuvent-ils être imaginés ? La recherche d’un meilleur service aux usagers l’imposerait, mais le chemin risque d’être long… Tout comme celui vers une carte unique d’usager des bibliothèques parisiennes… 32
Ils nourriront également la réflexion de la Direction des affaires culturelles de la ville de Paris : le niveau de développement de certains réseaux étrangers (collections, offre électronique, services, horaires d’ouverture, etc.) n’est-il pas une incitation à un examen approfondi, et sans aucun doute critique, de la situation des bibliothèques municipales parisiennes ? À l’instauration d’un système de lecture publique digne d’une ville-capitale ? À une prise de conscience du rôle et de la place centrale que doivent tenir les bibliothèques publiques, lieux démocratiques d’accès au savoir, dans une société où l’information, et la désinformation, sont au centre de tous les pouvoirs ?
Avril 2002