Les bibliothèques, les jeunes et Internet : quelques questions

Nic Diament

Organisé par le BBF et l’Enssib, le 25 mars dernier, dans le cadre du Salon du livre de Paris, le débat « Vous devez filtrer Internet. Quoique. » a permis de confronter des points de vue divers, voire opposés, sur l’accès à Internet. À partir de l’exemple américain, le filtrage des informations a été analysé d’un point de vue administratif, économique et politique. Si certains des intervenants ont mis en avant la liberté d’information, d’autres ont souligné les effets pervers d’une liberté absolue, sans encadrement ni contrôle, de l’accès à Internet. Une seule certitude : le débat reste ouvert.

Organised by the BBF and Enssib on March 25 of this year, in the setting of the Salon du livre de Paris, the debate “You must filter the Internet. But then again…” gave an opportunity for various points of view to be put forward, including conflicting ones, on access to the Internet. Starting from the American example, the filtering of information has been analysed from administrative, economic and political points of view. If some of the contributors have urged freedom of information, others have underlined the perverse effects of absolute freedom, unsupervised and uncontrolled, of access to the Internet. One thing is certain: the case remains open.

Am 25 März 2002 fand eine Diskussion zum Thema “Das Internet muss gefiltert werden. Und trotzdem…” im Rahmen des Büchersalons in Paris statt. Diese wurde von BBF und Enssib organisiert und erlaubte die verschiedenen Gesichtspunkte und Ansichten zum Internetzugang gegenüber zu stellen. Ausgehend vom amerikanischen Beispiel, wurde das Ausfiltern von Informationen unter administrativen, ökonomischen und politischen Gesichtspunkt analysiert. Während einige der Teilnehmer vor allem die Freiheit der Information hervorgehoben haben, unterstrichen andere den perversen Effekt der absoluten Freiheit ohne gesetzlichen Rahmen oder Kontrolle beim Zugang zum Internet. Eines ist sicher: die Diskussion geht weiter.

Organizado por el BBF y el Enssib, el 25 de marzo último, en el marco del Salon del libro de Paris, el debate “Debe usted filtrar internet. No vaya a ser.” Permitió confrontar puntos de vista diversos, incluso opuestos, sobre el acceso a Internet. A partir del ejemplo americano, el filtraje de las informaciones fue analizado desde un punto de vista administrativo, económico y polÌtico. Si algunos de los expositores pusieron por delante la libertad de información, otros subrayaron los efectos perversos de una libertad absoluta, sin custodio ni control, del acceso a Internet. La única certidumbre: el debate está abierto.

Quand on regarde l’article de la Gazette des communes 1 consacré à l’offre d’accès à Internet dans les bibliothèques publiques, on s’aperçoit qu’il nous manque pour parler valablement des problèmes posés par Internet dans les bibliothèques publiques françaises et plus particulièrement dans les sections pour la jeunesse, de renseignements chiffrés et à jour sur cette offre. Selon les données de la Direction du livre et de la lecture (DLL), au 31 décembre 2000, il y aurait en France 828 bibliothèques dotées de postes publics connectés à Internet, soit 28,6 % des bibliothèques. Tout indique que ce chiffre a dû augmenter considérablement depuis la fin 2000, mais nous ne disposons pas d’éléments plus précis sur l’usage qui est fait de cette offre.

Des problèmes spécifiques ?

Il est intéressant néanmoins de se poser la question de savoir si l’accès public à Internet dans les bibliothèques entraîne des problèmes différents en section pour la jeunesse et en section pour adultes. De tout temps, les enfants ont semblé constituer un public plus vulnérable et ont fait l’objet de mesures de protection, au nom de règles juridiques, de principes éducatifs ou même de préoccupations sur le développement psychologique ou affectif des « petites personnes ». Les livres ou documents proposés aux enfants-lecteurs sont censés avoir été choisis avec un soin et une attention toute particulière.

Les propositions « électroniques » des bibliothèques publiques – que ce soit des sites présélectionnés ou des cédéroms – ont tout à fait le même statut et l’article de Jack Kessler nous montre qu’il s’agit là d’un souci partagé par nos amis américains.

Cela dit, pour resituer le débat qui agite aujourd’hui les bibliothécaires américains, il faut se souvenir que la question de la censure dans les bibliothèques pour la jeunesse, et plus spécifiquement dans les bibliothèques scolaires aux États-Unis, ne date pas de l’arrivée d’Internet. Devant, il y a quelques années, préparer une intervention pour un débat organisé par l’ABF au moment de l’affaire « Marie-Claude Monchaux », j’avais fait quelques recherches sur ce sujet et découvert avec stupéfaction l’interdiction dans les bibliothèques de certains États d’Amérique de livres comme Huckleburry Finn, ou la Bible, ou certains contes…

L’offre et son usage

Il faut en préalable se rappeler que, pour les bibliothécaires, la justification de postes Internet dans leurs établissements repose sur la fonction documentaire d’Internet : formidable outil de recherche d’informations, il doit être mis le plus tôt possible à la disposition des enfants et des jeunes et leur permettre ainsi une initiation et une familiarisation précoces.

Les bibliothécaires s’efforcent donc en section enfantine de faire des propositions de « sitothèques », de présélection de sites, adaptées au jeune public. Dans les stages de formation professionnelle, il s’agit là d’une question récurrente : à côté des sites destinés aux enfants ou aux adolescents, à travers un propos ou un design très « ciblé », comment et sur quels critères choisir parmi les sites « grand public » ceux qui seront les plus adaptés ou les plus utiles aux jeunes.

En dehors des sites présélectionnés, dont le choix après tout relève de qualités bibliothéconomiques classiques, la navigation libre, quand elle est proposée en bibliothèque, pose d’autres problèmes : comment éviter que nos chères têtes blondes n’aillent visiter des sites pornographiques, des sites incitant à la violence, la discrimination, la haine raciale ou « faisant l’apologie de pratiques illicites »… Tout le problème de filtrage – et surtout de son efficacité – se pose alors de façon encore plus aiguë qu’en secteur adulte.

Enfin, la récupération d’informations issues d’Internet pose des questions spécifiques elle aussi. Les jeunes, peu habitués ou peu experts à la prise de notes, sont toujours d’accord pour obtenir une copie papier de leur recherche : que faire alors des questions de paiement, par exemple, quand les autres services de la bibliothèque restent gratuits pour les moins de 14 ans ?

Quant aux autres usages d’Internet (même s’ils sont expressément interdits dans de nombreuses bibliothèques), il est évident que ce sont d’abord les jeux qui attirent en premier lieu les jeunes usagers, avec, comme question subsidiaire, la pratique des jeux en réseau, plébiscitée par certains ados. En matière de messagerie, ils privilégient, bien plus que leurs aînés, les services de communication en direct : les chat, IRC et autres ICQ 2

Enfin, à propos de l’offre, il faut rapidement évoquer la question des « profils » à définir pour les postes publics : ils sont en général identiques pour les utilisateurs adultes. S’agissant des enfants, on ne déterminera pas le même profil s’il s’agit d’un tout-petit, d’un écolier ou d’un pré-ado. À la bibliothèque des enfants à Clamart, nous avons dû ainsi créer trois profils différents, selon les classes d’âge des utilisateurs.

La formation

Traditionnellement, on a l’habitude de dire que les jeunes ont globalement moins d’appréhension, moins de complexes, moins d’a priori que leurs aînés pour aborder les nouvelles technologies en général, et en particulier Internet. Je crois qu’il faut nuancer cette position ou du moins l’affiner. Même s’il est probable que les jeunes abordent plus facilement les outils, ils sont souvent des lecteurs plus crédules et moins critiques des contenus.

C’est ainsi que les sections pour la jeunesse se proposent dans leurs initiations à la navigation sur Internet de former leurs lecteurs à un usage critique, en leur apprenant à se poser des questions d’actualité, de fiabilité et de validation de l’information.

D’usagers critiques, les jeunes ont aussi vocation à devenir des usagers compétents, voire experts : certaines formations en bibliothèque jeunesse incluent dans leur programme une formation à la création de pages web, au traitement des images « récupérées » sur le net… sans oublier d’alerter systématiquement nos jeunes internautes sur les questions de droit.

Toutes ces formations impliquent – et ce n’est pas un point de détail – soit la formation préalable des personnels des sections enfantines, soit l’embauche d’animateurs extérieurs compétents. Elles s’inscrivent aussi dans un mouvement plus général de changement dans les rapports existant dans les bibliothèques pour la jeunesse entre le ludique et le pédagogique : où commence le jeu – et où s’arrête la recherche documentaire – quand on apprend à devenir un internaute expert ?

Enfin, dans les sections pour la jeunesse, la question des règlements ou des chartes d’usage est chargée d’enjeux et risque facilement de devenir polémique. Le débat n’est pas clos sur les responsabilités respectives des parents et des bibliothécaires en cas de non-respect du règlement, jusques et y compris dans toutes ses implications juridiques…

En conclusion, après cette brève énumération de questions problématiques dans les sections jeunesse, d’autres pistes de réflexion restent ouvertes, encore plus difficiles à aborder sans supports théoriques ou réflexifs : quels sont – ou seront – pour nos jeunes usagers les liens entre le papier et l’électronique à la bibliothèque (et notamment dans quel cas faut-il préférer le dictionnaire ou l’encyclopédie traditionnels à la navigation sur Internet) ? Comment les aider à repérer les ressources internes et extérieures à la bibliothèque ? Et enfin, quelles nouvelles pratiques de lecture, de recherche, d’assimilation ou d’appropriation des connaissances, Internet va susciter chez ces lecteurs nés dans ce contexte technologique ?