Internet et les bibliothèques aux États-Unis
Anne-Marie Bertrand
Organisé par le BBF et l’Enssib, le 25 mars dernier, dans le cadre du Salon du livre de Paris, le débat « Vous devez filtrer Internet. Quoique. » a permis de confronter des points de vue divers, voire opposés, sur l’accès à Internet. À partir de l’exemple américain, le filtrage des informations a été analysé d’un point de vue administratif, économique et politique. Si certains des intervenants ont mis en avant la liberté d’information, d’autres ont souligné les effets pervers d’une liberté absolue, sans encadrement ni contrôle, de l’accès à Internet. Une seule certitude : le débat reste ouvert.
Organised by the BBF and Enssib on March 25 of this year, in the setting of the Salon du livre de Paris, the debate “You must filter the Internet. But then again…” gave an opportunity for various points of view to be put forward, including conflicting ones, on access to the Internet. Starting from the American example, the filtering of information has been analysed from administrative, economic and political points of view. If some of the contributors have urged freedom of information, others have underlined the perverse effects of absolute freedom, unsupervised and uncontrolled, of access to the Internet. One thing is certain: the case remains open.
Am 25 März 2002 fand eine Diskussion zum Thema “Das Internet muss gefiltert werden. Und trotzdem…” im Rahmen des Büchersalons in Paris statt. Diese wurde von BBF und Enssib organisiert und erlaubte die verschiedenen Gesichtspunkte und Ansichten zum Internetzugang gegenüber zu stellen. Ausgehend vom amerikanischen Beispiel, wurde das Ausfiltern von Informationen unter administrativen, ökonomischen und politischen Gesichtspunkt analysiert. Während einige der Teilnehmer vor allem die Freiheit der Information hervorgehoben haben, unterstrichen andere den perversen Effekt der absoluten Freiheit ohne gesetzlichen Rahmen oder Kontrolle beim Zugang zum Internet. Eines ist sicher: die Diskussion geht weiter.
Organizado por el BBF y el Enssib, el 25 de marzo último, en el marco del Salon del libro de Paris, el debate “Debe usted filtrar internet. No vaya a ser.” Permitió confrontar puntos de vista diversos, incluso opuestos, sobre el acceso a Internet. A partir del ejemplo americano, el filtraje de las informaciones fue analizado desde un punto de vista administrativo, económico y polÌtico. Si algunos de los expositores pusieron por delante la libertad de información, otros subrayaron los efectos perversos de una libertad absoluta, sin custodio ni control, del acceso a Internet. La única certidumbre: el debate está abierto.
Jack Kessler :
« Le “Children’s Internet Protection Act” (CIPA) 1
Votée en 2000 par le Congrès, la “Public Law 105-554” est connue sous l’abréviation CIPA (pour “Children’s Internet Protection Act”). Elle prévoit d’exclure des programmes d’aide à l’informatisation les établissements scolaires ou les bibliothèques qui négligeraient de définir et d’appliquer, à l’intention des adultes aussi bien que des enfants, “une politique de sécurisation du réseau Internet comprenant la mise en place de mesures de protection technologique sur tous les ordinateurs équipés d’un accès à l’Internet, afin d’empêcher leurs utilisateurs d’accéder à des images fixes ou animées à caractère ‘obscène’, ‘pédophile’ ou ‘nuisible pour les mineurs’ […] ; s’agissant de la définition des termes “obscène”, “pédophile” ou “nuisible pour les mineurs”, la nouvelle loi renvoie à tout un fatras vieillot et controversé de textes juridiques, de décisions judiciaires et de dispositions sociales, qui, à ce jour, n’ont pourtant jamais réussi à en préciser le sens à la satisfaction des parties entrant périodiquement en conflit à propos de leur signification aux États-Unis…
Ces filtres auraient dû être installés en avril dernier, mais la mise en application de la loi a été repoussée à 2002 à cause de la très vive réaction des défenseurs des libertés civiques.
Aux États-Unis comme ailleurs, les bibliothécaires comptent parmi les défenseurs les plus acharnés de ces libertés, mais nulle part plus qu’aux États-Unis ils ne sont aussi militants, voire combatifs, sur la question de la liberté d’expression. En l’occurrence, la plus importante association de bibliothécaires des États-Unis a officiellement porté plainte contre son propre gouvernement : le principal procès amené par la nouvelle loi sur la censure va en effet concerner “American Library Association versus the United States”. Ce procès devrait être jugé en première instance le 25 mars 2002 par un tribunal à compétence nationale. Toutefois, étant donné les appels pressants à la “protection de l’enfance”, le climat engendré par le “terrorisme” et l’impression générale que “tout a changé” aux États-Unis, il n’est pas exclu que cette affaire soit portée devant la Cour suprême. »
La suite de l’article de Jack Kessler évoque les spécificités du droit américain (pour nous à peu près incompréhensible, malgré les centaines de procédure auxquelles nous avons assisté dans nos séries télévisées favorites) puis revient longuement sur le contexte politique : non seulement les actes terroristes du 11 septembre 2001 mais aussi, qui les ont précédés, les cas de fusillade dans les écoles – c’est dans le but de protéger les enfants contre cette violence que des lois de censure sont élaborées, élaboration à laquelle la lutte contre le terrorisme a donné une nouvelle vigueur.
Revenons sur la réaction des bibliothécaires au CIPA. La réaction de l’ALA a été très vive (l’association a porté plainte contre le gouvernement) parce que les bibliothécaires américains sont très attentifs à l’exercice de la liberté de l’information – dans la droite ligne du Premier Amendement.
L’ALA s’est dotée d’un code d’éthique (The American Library Association Code of Ethics), dont voici deux extraits :
II. We uphold the principles of intellectual freedom and resist all efforts to censor library resources. Nous soutenons les principes de la liberté intellectuelle et nous opposons à toute tentative de censurer les ressources des bibliothèques.
III. We protect each library user’s right to privacy and confidentiality with respect to information sought or received and resources consulted, borrowed, acquired or transmitted. Nous protégeons le droit de chaque usager de la bibliothèque à la vie privée et à la confidentialité de l’information vue ou reçue, et aux ressources consultées, empruntées, acquises ou transmises.
La protestation de l’ALA contre le CIPA n’est pas que symbolique puisqu’elle a porté plainte, on l’a dit. Cette protestation est également appuyée sur le terrain par des atteintes volontaires au dispositif prévu par le CIPA, c’est-à-dire le filtrage de tous les postes publics de la bibliothèque.
Ainsi, beaucoup de bibliothèques ont instauré des règles d’accès à Internet, dans lesquelles les bibliothécaires rejettent toute responsabilité dans l’usage que leurs usagers font d’Internet et en particulier l’usage qu’en font les usagers enfants. Ainsi, par exemple, à la Bibliothèque publique de San Diego, le règlement stipule : « Library users access the Internet at their own discretion and they are responsible for any access points they reach. Parents and guardians of minor children, not the Library or staff, are responsible for their children’s use of the Internet through the Library’s connection. » Ou à Baton Rouge : «…Users should be aware that some information may be inaccurate, outdated, or controversial. Use of these resources carries with it a responsibility to evaluate the quality and validity of the information accessed. Lawful use of electronic resources is the individual’s responsibility. Parents/ guardians are responsible for the use of electronic resources by their children. »
Ce qui frappe l’observateur français, au-delà de la combativité des bibliothécaires américains, c’est aussi combien les points de vue diffèrent entre la France et les États-Unis : là-bas, ils s’affrontent sur des principes sans que, semble-t-il, les contenus soient visés plus précisément que par leur caractère « obscène », « pédophile » ou « nuisible pour les mineurs » ; alors qu’ici, au-delà des principes, il semble que ce soit la réalité des contenus qui pose problème, non seulement leur caractère « pédophile » ou « obscène » (si l’on peut le définir), mais aussi les sites néo-nazis, négationnistes ou racistes. La liberté d’expression semble être intangible Outre-Atlantique mais connaître des limites légitimes chez nous.