Editorial

Anne-Marie Bertrand

Le séisme politique qui a secoué la France le 21 avril dernier ne peut laisser la rédaction du BBF indifférente. De même qu’il n’a pas laissé indifférentes les associations professionnelles, l’ABF, l’ADBDP, l’ADBU, la FFCB, le SNE, la SGDL, dont les communiqués montrent le caractère exceptionnel de la période que nous traversons – comme le montrent les prises de position, elles aussi exceptionnelles, de tant d’acteurs de la société civile, de l’épiscopat à l’Académie des sciences, des footballeurs aux artistes.

Avec Jean-Jacques Aillagon, alors président du Centre Pompidou, on ne peut que souligner « le rôle éminent, particulier et essentiel que joue la culture dans la diffusion et le partage de l’idéal démocratique, rôle qui lui vaut l’honneur d’être attaquée par l’extrême droite chaque fois qu’elle est en mesure de le faire. » *

Les bibliothèques ont le triste privilège de pouvoir parler d’expérience. Souvenons-nous de Pierre Vial, ancien vice-président FN de la commission des affaires culturelles de la région Rhône-Alpes, qui parlait clairement d’une guerre culturelle : « Il serait vain de prétendre assumer le pouvoir politique sans avoir la maîtrise du pouvoir culturel. » De la bibliothèque d’Orange, dont le bibliothécaire disait qu’elle « doit être la vitrine idéologique de la municipalité ». De Marignane, où le rapport d’inspection de la bibliothèque dénonçait « une stratégie politique qui prend la bibliothèque pour terrain et ses collections comme armes ».

Au-delà des menaces que fait peser sur tous cette idéologie raciste, xénophobe et excluante, quelles leçons tirer de cette alarme ? La première, évidente, concerne les valeurs de la République, auxquelles le peuple français a massivement montré son attachement et que les bibliothèques contribuent à rendre vivantes : liberté (liberté d’information, liberté d’opinion, liberté intellectuelle), égalité (égalité des chances, égalité d’accès au service public), fraternité (accueil, générosité, hospitalité). La deuxième est certainement moins consensuelle : la montée du populisme, de l’obscurantisme, de l’intolérance mais aussi d’un sentiment d’abandon interpelle les bibliothèques. La diffusion de stupidités (L’Effroyable imposture !), le conformisme, la répétition des stéréotypes du prêt-à-penser ne contribuent-ils pas à dessiner une certaine vision du monde, amnésique, satisfaite et bien-pensante, où le vivre ensemble ne concerne que certains, où la politique n’a pas de sens et où le vote Le Pen devient possible, voire banal ? Les collections des bibliothèques se doivent d’être un recours contre ce consensus endormissant – se doivent d’être dérangeantes.

Plus que jamais, sans doute, notre profession a besoin de débats, d’interrogations, de doutes, d’incertitudes. Le BBF, à son niveau, cherchera à les encourager.