Journal of Librarianship and Information Science, 2001, vol. 33, n° 1 à 4
Rappelons que le JOLIS (Journal of Librarianship and Information Science), est l’héritier du Journal of Librarianship créé par la Library Association qui le céda en 1990 à l’éditeur Bowker, lequel adjoignit alors, dans le titre, les sciences de l’information à la bibliothéconomie.
Depuis le début de l’année 2001, ce n’est plus David Stoker, professeur à l’université d’Aberystwyth (Pays de Galles) qui en assure la rédaction en chef, mais Anne Goulding, professeur au très réputé département des sciences de l’information de l’université de Loughborough. Quant au comité de rédaction, relativement équilibré entre universitaires et professionnels des bibliothèques ou de la documentation, il n’a pas connu de modification 1. L’équipe éditoriale, quant à elle, est complétée par six conseillers internationaux 2. La rubrique des comptes rendus d’ouvrages est toujours dirigée par Edward Dudley, dont le riche parcours professionnel couvre aussi bien la gestion de bibliothèques publiques (et même un court passage par les bibliothèques militaires) que l’enseignement ou la rédaction en chef de plusieurs revues (Library Association Record, l’iconoclaste New Library World, aujourd’hui disparu, et Journal of Librarianship). Depuis le dernier compte rendu 3, la qualité de la présentation s’est nettement améliorée : la maquette n’est certes pas d’une originalité débordante, mais les tableaux sont maintenant lisibles.
La ligne éditoriale
La ligne éditoriale d’Anne Goulding se situe dans la continuité de celle de David Stoker : le JOLIS s’adresse aux bibliothécaires, aux documentalistes, aux enseignants et aux chercheurs en sciences de l’information désireux de suivre les derniers développements du secteur. Il se veut « le forum de la recherche et de ses applications et a vocation à accueillir des discussions et points de vue sur les sujets faisant débat dans une profession qui affronte de nombreux défis ». Anne Goulding réaffirme la vocation internationale du titre, mais compte attirer davantage de contributions de professionnels dans une revue demeurée très universitaire. Les quatre numéros publiés en 2001 ne reflètent pas encore cet infléchissement : sur un total de 16 articles, seuls 5 émanent de professionnels. La majorité reste signée par des universitaires dont un nombre non négligeable (5) d’enseignants chercheurs de l’université de Loughborough. À l’international (également 5 articles), sont représentés Israël, la Malaisie, l’Afrique du Sud et – agréable surprise – un article sur les consortiums en France signé de Ghislaine Chartron : le seul signe d’intérêt en trois ans pour un pays de la sphère non anglophone. Les différents types d’établissements documentaires sont représentés : les bibliothèques universitaires viennent en tête avec 6 articles, suivies des centres de documentation, des bibliothèques de lecture publique, et enfin, des bibliothèques scolaires et des écoles en sciences de l’information. Quelques articles transversaux à la documentation n’entrent dans aucune de ces catégories.
À en juger d’après les articles parus en 2001, le volet purement technique du métier ne suscite guère de débats : on recense une contribution sur les outils d’aide au catalogage, des actes de colloques et une autre sur la fourniture de données bibliographiques aux bibliothèques qui révèle quelques surprises : relatant une enquête auprès de 50 bibliothèques, il porte sur les fournisseurs de données bibliographiques et leur utilisation par les bibliothèques. Les fournisseurs les plus courants sont, sans surprise, la British Library (14,6 %), le BLCMP (Birmingham Library Cooperative Mechanization Project) (12,2 %), les grossistes (9,8 %), suivis de très près par… Amazon (9,1 %). Whitaker’s, l’éditeur de Books in print, a décroché avec une part de marché limitée à 7,9 %. Le marché bibliographique au Royaume-Uni serait sur le point de connaître son big bang. Les symptômes sont convergents : changements technologiques majeurs, sentiment que plus personne ne contrôle réellement la situation, marché favorable au consommateur. Les premiers signes en sont visibles : norme Z39.50, apparition d’Amazon. Le marché va inévitablement se concentrer car, comme le disent sur un mode imagé les Britanniques, « il y a trop de doigts dans le dessert bibliographique ». Les offres commerciales sont devenues plus crédibles, menaçant la prédominance des bibliothèques nationales.
C’est l’analyse des coûts et la mesure de la performance qui sont plutôt au centre des préoccupations de nos confrères anglo-saxons : les bibliothèques scolaires font l’objet d’une analyse des outils statistiques disponibles et de la définition d’une méthode de comparaison en vue de l’établissement d’un classement des bibliothèques.
Achat et emprunt
Plus surprenante est la contribution sur la valeur des emprunts de livres dans les bibliothèques publiques 4 : les enquêteurs ont demandé aux lecteurs la somme qu’ils auraient été disposés à débourser pour emprunter un livre si cet acte avait été payant. Cet exercice consistant à traduire une expérience de lecture en espèces sonnantes et trébuchantes a abouti aux chiffres suivants : romans, 62,2 pence (1,04 n) ; documentaires, 66,3 pence (1,11 n). Ce qui représente approximativement 7 à 8 % du prix d’achat du livre. Certaines démonstrations ne manqueront pas de laisser perplexes des esprits attachés au service public à la française : comment traduire en valeur monétaire l’impact social de bibliothèques et de livres qui ont pu changer la vie de leurs lecteurs ? Autre source d’étonnement quand sont soulignés les bénéfices externes des emprunts : la société récolte les fruits des savoirs acquis dans les livres. Non par l’engagement social des lecteurs, mais par leur contribution au fisc puisqu’ils « paieront plus d’impôts si leur fréquentation de la bibliothèque leur a permis d’obtenir une promotion ».
Les réflexions sur la différenciation entre l’achat et l’emprunt sont plus convaincantes : on ne sera pas étonné de voir les raisons économiques justifier majoritairement les emprunts (52 % pour les romans, 42 % pour les documentaires), suivies, surtout pour les documentaires, par la réticence à acheter un livre qui sera utilisé une seule fois. Un autre argument porte sur les incertitudes quant à l’utilité et au plaisir retiré de la lecture et enfin… sur le manque de place pour ranger les livres.
En conclusion, si les emprunteurs témoignent, au travers de leur évaluation des bibliothèques, de leur attachement à ce service public, ils sous-évaluent sa valeur économique : un emprunt coûte 1,41 £ à la collectivité.
La flexibilité
Après les coûts et la mesure de la performance, une autre notion a depuis longtemps les faveurs du modèle néo-libéral : la flexibilité, évoquée ici dans un article sur les bibliothèques universitaires hybrides 5. Les auteurs soulignent la rigidité des organisations verticales, lentes à prendre des décisions et à les appliquer, peu réactives et innovantes. Ils militent pour la transversalité, un management participatif et surtout une totale flexibilité : des compétences, des services offerts, des organisations mises en place pour fournir ces services. Un mélange complexe de facteurs sociaux, techniques, économiques et politiques a fait de la flexibilité un facteur-clé des organisations modernes. Certains ont toutefois pu écrire que la flexibilité était facteur de régression sociale : développement du travail à temps partiel, du travail posté, annualisation du temps de travail, précarité, etc., s’accompagnant bien souvent de l’externalisation de services entiers. La flexibilité ne serait-elle qu’une stratégie à court terme, inappropriée à des organisations telles les bibliothèques qui visent au contraire le long terme ?
Les technologies de l’information et de la communication sont moins abordées sous l’angle technique que dans leur dimension sociale ; Anne Goulding souligne dans un éditorial la dichotomie entre les attentes des gouvernements et de la société : une vision angélique perçoit l’accès à l’information comme un droit du citoyen, contribuant à l’amélioration de ses conditions sociales, politiques et culturelles, alors que le pouvoir les subordonnerait plutôt à la logique et aux besoins du marché. En grattant un peu sous les discours officiels sur les nouvelles technologies comme pré-requis d’un renouveau de la démocratie, il apparaît très vite que le véritable objectif des investissements publics porte sur l’ouverture de nouveaux marchés par l’accès au commerce électronique. Le défi consiste à réconcilier ces deux logiques : comment la privatisation des canaux de diffusion de l’information peut-elle concilier les droits du citoyen à un accès libre au savoir ? Une récente visite de l’auteur de ce compte rendu dans une grande bibliothèque londonienne de lecture publique ne peut toutefois manquer de susciter quelques craintes : l’accès à Internet dans les espaces publics y est contingenté (inscription le samedi pour une consultation le lundi suivant). On vous oriente alors vers un moderne centre multimédia, dans les propres locaux de la bibliothèque, où un poste vous est proposé dans la minute. Mais le service, payant, est proposé par une société privée, concessionnaire des lieux. Qu’est devenu le service public ?
Les accablés d’information
Anne Goulding persiste dans les enjeux sociétaux des technologies de l’information et de la communication (TIC) : la fracture numérique ne sépare pas seulement pays riches et pays en voie de développement : la ligne de fracture court à l’intérieur même des pays riches. Mais elle se demande si les efforts des pouvoirs publics pour réduire cette fracture ne tendent pas à déverser sur la population plus d’informations que celle-ci ne peut en absorber. Cette surcharge d’informations est désignée sous le terme de « syndrome de fatigue informationnelle » (SFI) dont les symptômes sont la paralysie de la capacité d’analyse, la recherche incessante de nouvelles informations, l’anxiété, l’insomnie et la paralysie devant la prise de décision. C’est en cela que les populations souffrant de ce syndrome ont un sort qui n’est guère plus enviable que celui des pays en voie de développement : à côté des riches et des pauvres s’est créée une nouvelle catégorie : les accablés d’information.
Un des piliers de l’organisation des bibliothèques universitaires britanniques, le subject librarian (bibliothécaire spécialiste d’une discipline), serait-il remis en cause ? C’est en tout cas ce qui ressort du vibrant plaidoyer pro domo d’un de ses représentants 6. Les arguments en faveur du dispositif soulignent la nécessaire évolution de tâches purement techniques (catalogage et même sélection, de plus en plus dévolue aux enseignants) vers le service aux usagers (formation, relations avec la communauté universitaire, sélection de ressources électroniques, etc.). Ce sont toutefois moins les arguments en faveur de ce dispositif que ceux de ses détracteurs, qui sont intéressants : l’organisation en « territoires » serait incompatible avec les convergences de plus en plus marquées entre bibliothèques et centres de ressources informatiques et audiovisuelles. Une nouvelle structure organisationnelle est en train d’émerger, basée sur des équipes fonctionnelles et non plus disciplinaires. À ces arguments s’ajoute le reproche ancien fait aux subject librarians de se croire propriétaires de leur discipline aux dépens d’une vision plus globale des collections. Le développement de la bibliothèque électronique ne rend-il pas la maîtrise des réseaux et du langage HTML plus importante que la connaissance disciplinaire ? Ce débat intéressera vraisemblablement les bibliothécaires français partagés entre tenants des compétences fonctionnelles et de la maîtrise de la discipline. Faut-il vraiment avoir soutenu une thèse pour être crédible auprès des universitaires ?
Le morceau de bravoure de l’année présente une série d’enquêtes sur la personnalité des bibliothécaires américains, certaines heureusement assez anciennes. Ils seraient « plutôt introvertis, soumis, consciencieux, organisés et intelligents ». « Ils manquent de confiance en eux » mais, rassurons-nous, « sont normaux ». Une légère évolution a été enregistrée ces dernières années : ils sont devenus « plus sympathiques et ouverts au changement ». Changement de décor dans la City de Londres : les grandes institutions financières recrutent des personnalités extraverties, possédant l’esprit de compétition. Elles estiment qu’un manque de compétences professionnelles peut être compensé par la personnalité, la motivation, la flexibilité, l’assurance et la curiosité intellectuelle. Le test a mesuré la notion de glass ceiling (notion intraduisible : mot à mot, « plafond de verre » : niveau professionnel où les femmes ont tendance à plafonner). Le blocage ne tient pas tant au sexe qu’aux qualifications et à l’identification insuffisante aux objectifs de l’institution 7.
La formation
On terminera cette revue de l’année 2001 par l’évocation de la formation. M. Gorman, dans un ouvrage faisant l’objet d’une analyse 8, soutient que « la formation des bibliothécaires est un désastre qui peut tourner à la catastrophe », que les sciences de l’information sont une « discipline bidon » et que la formation est aux mains de « vauriens », mettant dans le même sac professeurs, étudiants, praticiens et toutes les associations professionnelles. Il semble que ces mots très durs émanant d’un membre éminent de la profession aient été suscités par l’évolution technologique des bibliothèques : pour Gorman, la révolution numérique n’est qu’« une métaphore vide » et l’« obsession pour les technologies la dernière des marottes à la mode à avoir envahi la bibliothéconomie ». Gorman n’est pas un adversaire de la technologie mais tient à la remettre à sa place. Son credo : « Utiliser la technologie quand elle est utile, abordable et d’un bon rapport coût/efficacité. »
Sur un registre moins polémique, Anne Goulding s’inquiète de la baisse continue du nombre d’étudiants dans les filières pré-licences des écoles de bibliothéconomie, qui a obligé l’université de Loughborough à fermer son département. La raison principale de cet échec tient à l’endettement des étudiants qui, depuis la suppression de la gratuité des études supérieures au Royaume-Uni, sortent de l’université avec une dette moyenne de 5 000 £ (8 400 n) et sont réticents à se surendetter. Le problème est exacerbé par la faiblesse des salaires proposés qui ont décroché par rapport à ceux du reste de la fonction publique, en particulier les enseignants. Si certains employeurs ne se soucient guère du niveau de qualification tant que la personne s’adapte à son travail, il semblerait qu’un nombre croissant préfère recruter des étudiants titulaires d’un diplôme post-licence, au risque de laisser passer de jeunes recrues enthousiastes et dynamiques prêtes à s’investir dans la carrière des bibliothèques.
L’université d’Aberystwyth aurait-elle trouvé la parade en ouvrant un cours à distance qui prospère ? Le e-learning est encore trop récent pour distinguer ce qui relève de l’effet de mode des tendances profondes.