Réunion des directeurs des bibliothèques de l'enseignement supérieur
Anne-Marie Bertrand
Annie Le Saux
Les 29 et 30 janvier, eurent lieu à Paris les rencontres annuelles des directeurs des bibliothèques de l’enseignement supérieur – auxquelles avaient été conviés les CFCBLD (Centres de formation aux carrières des bibliothèques, du livre et de la documentation), les Urfist et les bibliothèques des IUFM –, organisées par la SDBD (Sous-direction des bibliothèques et de la documentation). Ces journées furent l’occasion de réflexions générales (Francine Demichel, Claude Jolly) comme d’états des lieux particuliers : les ressources électroniques, les projets U3M (Université du 3e millénaire), le point sur le Système universitaire de documentation…, avant de se terminer par un petit coup de théâtre.
Le bilan de Francine Demichel
La directrice de l’enseignement supérieur, Francine Demichel, ouvrit ces journées par une longue intervention que l’on peut sans doute considérer comme le bilan de son action, à ce poste 1, en faveur des bibliothèques.
Bilan quantitatif d’abord : depuis 1997, des subventions augmentées de 140 millions de francs, 876 emplois créés, 140 000 m2 de locaux et 15 000 places de travail supplémentaires. Et une dynamique qui se poursuit dans le cadre d’U3M, qui prévoit 300 000 nouveaux m2. « Il y avait un retard considérable, on est en train de le combler », dit-elle.
Bilan qualitatif surtout, qui commença, une fois n’est pas coutume, par des félicitations : « Je tiens à vous remercier pour l’augmentation des horaires d’ouverture, qui atteignent aujourd’hui en moyenne 56 h hebdomadaires. » Suivit une large réflexion, dans un style très personnel, sur les deux axes à suivre par les bibliothèques : le réseau et la proximité. La mise en réseau des bibliothèques universitaires n’est pas seulement une nécessité technique ou économique. Il s’agit aussi d’une nécessité conceptuelle car, de même qu’il y a une Université française, il faut qu’il y ait une Bibliothèque universitaire – une unité de la bibliothèque malgré la diversité des bibliothèques. Avec l’informatique, les outils de cette unité existent.
Quant à la proximité, elle est induite par l’intégration dans l’université – et dans le projet d’établissement. Le rôle des bibliothèques, dans cette université, dépasse le registre documentaire. Certes, les bibliothèques ont à s’investir dans l’aide à la réussite en premier cycle – et on relève des corrélations entre l’accessibilité de la bibliothèque et le taux d’échec en premier cycle (corrélation mécanique en droit, par exemple). Elles ont aussi un rôle plus large à jouer dans l’identité des étudiants et leur place dans l’université. Car, demande Francine Demichel, comment devient-on étudiant ? Par le rapport au savoir durable et multidisciplinaire, et ce n’est qu’à la bibliothèque universitaire qu’on peut le rencontrer. Pourquoi ? Parce que les amphithéâtres sont les lieux d’un discours éphémère, parce que les laboratoires de recherche sont périphériques car spécialisés, parce que les bibliothèques d’UFR (unités de formation et de recherche) sont les lieux d’un savoir monodisciplinaire donc stérile. Ce qui est important, dit-elle, c’est ce qui est hors programme, les livres d’horizons différents, le savoir multidisciplinaire.
Claude Jolly, sous-directeur des bibliothèques et de la documentation, fit ensuite le point sur les ressources documentaires des bibliothèques, question qui, dit-il, revient au premier plan notamment parce que les usages comme l’offre éditoriale évoluent. Une approche purement statistique met en évidence « un paysage très inégalitaire et encore modeste en capacité d’acquisitions » : parmi les cent BU, les vingt premières détiennent la moitié des collections ; la moitié des BU possèdent moins de 180 000 ouvrages. Depuis 1997, on assiste à l’entrée massive des périodiques électroniques : en 2001, on comptait 53 000 abonnements électroniques pour 123 000 abonnements papier. Ce « choc des ressources électroniques » pose des problèmes économiques, mais aussi de cohérence, de conservation et d’archivage. Le travail de veille documentaire en est alourdi et doit, plus que jamais, être collectif – et mieux diffusé. Ce sera un des projets de travail de la SDBD pour les prochains mois, ainsi que la meilleure connaissance de la couverture documentaire et le point sur les groupements d’achat.
Quelques dossiers et chantiers
Les orientations du plan U3M ont été à plusieurs reprises détaillées dans les pages du BBF 2. Il s’est agi, cette fois, des procédures à suivre pour obtenir un financement au titre d’U3M, procédures que Joëlle Claud a récapitulées. Parmi les démarches incontournables, il y a d’abord l’inscription du financement dans le contrat de plan (construction et équipement), puis sa négociation au niveau local et l’établissement de priorités. La dernière opération consiste en la rédaction d’un dossier d’expertise 3. Ce dossier, absolument indispensable, est transmis à la Direction de la programmation et du développement et à la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation, à des fins d’arbitrage.
Pour la première période d’U3M – 2000-2006 –, l’investissement total partagé par l’État et les collectivités territoriales s’élève à 40 milliards de francs. Les bibliothèques, avec 580 millions d’euros (3,8 milliards de francs), dont 170 millions d’euros (1,1 milliard de francs) pour l’Ile-de-France, représentent environ 10 % de l’ensemble de ce financement.
Le système universitaire de documentation
Comme chaque année, des informations furent données sur l’avancée des chantiers entrepris par la Sous-direction des bibliothèques et de la documentation. Il fut tout d’abord rappelé les principaux objectifs du système universitaire de documentation (Sudoc). À la fois catalogue collectif identifiant et localisant les documents des bibliothèques, et fournisseur de documents à distance (sous forme électronique ou papier), le Sudoc permet aussi le catalogage partagé et, par les statistiques qu’il procure, devient un outil d’aide à la décision. Sur les 4,4 millions de notices localisées au 31 décembre 2001, 4,05 millions concernent des imprimés, mais les ressources électroniques deviennent de plus en plus présentes. Ce sont 113 établissements, soit 673 bibliothèques, qui catalogueront dans le Sudoc tous leurs documents.
Ce programme de coopération entre les bibliothèques de l’Enseignement supérieur étant arrivé au terme de sa première phase, les travaux de l’Abes (Agence bibliographique de l’enseignement supérieur) porteront désormais sur les développements à venir, à savoir l’intégration de nouvelles fonctionnalités et de nouvelles rétroconversions, l’accès à de nouveaux réservoirs bibliographiques, le développement du signalement des ressources électroniques, le passage sous Unicode pour un catalogage multi-écritures, et l’octroi de licences supplémentaires.
Les thèses
Un autre dossier, dont le projet, qui remonte à 1994, a été, après quelques années de creux, relancé en 1999, a pour objet le nouveau dispositif de diffusion des thèses et sa mise en œuvre dans les établissements 4. En France, environ 10 000 thèses sont soutenues chaque année, qui représentent en moyenne une capacité de mémoire de 10 Mo par thèse. Les thèses sont considérées à la fois comme des documents administratifs et comme des documents soumis aux règles de la propriété intellectuelle. Elles ne peuvent, de ce fait, être mises en ligne qu’à condition d’avoir répondu à des préalables juridiques et réglementaires, c’est-à-dire après avoir reçu l’accord de l’université où elles ont été soutenues et l’autorisation de chaque doctorant. Pour une mise en ligne rapide, une structuration et une présentation précises de la thèse sont exigées, d’où une formation du doctorant à la rédaction de feuilles de style. Les thèses sont signalées dans le Sudoc et dans les catalogues locaux et archivées par l’établissement de soutenance. Une copie de sécurité sera transmise au Cines 5 (Centre informatique national de l’enseignement supérieur, qui a pris la suite du Cnusc, à Montpellier).
La formation
C’est par le volet formation que s’est poursuivie la réunion. Ce volet avait été largement introduit par le premier vice-président de la conférence des présidents d’université, président de l’université de Toulouse I. Selon les propos de Bernard Belloc, l’intégration des bibliothèques dans les universités passe par la formation. Les formations initiale et continue 6 évoluent dans une même logique de renforcement de l’offre de service aux différents publics des universités, étudiants et enseignants-chercheurs. Différentes actions sont entreprises par les bibliothèques depuis plusieurs années déjà, qui entrent, mais pour une part d’entre elles seulement, dans les cursus. En ce qui concerne la formation des usagers des bibliothèques, ce sont des formations de 2 à 6 heures, souvent intégrées aux modules de Méthodologie du travail universitaire, qui sont organisées en faveur des premiers cycles. Il est constaté que l’implication des enseignants reste variable d’une université à l’autre. La formation des 2e et 3e cycles se fait, quant à elle, à la demande des enseignants, souvent en lien avec la discipline choisie ou la recherche poursuivie. Deux initiatives ont été lancées pour favoriser le développement de ces formations, d’une part, par une meilleure prise en compte des besoins des formateurs et une meilleure connaissance des formations assurées, dans l’objectif de les mutualiser et de créer une base de référence, d’autre part, par le soutien de la formation à distance et de la production de documents pédagogiques 7.
Des questions ont été soulevées par les directeurs de bibliothèque universitaire sur la difficulté à susciter des vocations de formateurs au sein de leurs établissements. Cette fonction relève la plupart du temps du bénévolat. Il fut suggéré que soit étudiée la possibilité d’instituer un statut bien défini de formateur.
De la table ronde sur la formation continue, il est ressorti que cette formation est au cœur des préoccupations des établissements de tutelle et de formation. En effet, que ce soit à la Sous-direction des bibliothèques ou à l’Enssib (École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques), des études sont lancées, des axes de réflexion suivis, des stages envisagés pour mieux structurer la formation continue et développer des synergies pour les années à venir.
Et le rideau se ferma
La dernière demi-journée était consacrée aux questions de personnel. Béatrice Gille, directrice de la DPATE (Direction des personnels administratifs, techniques et d’encadrement), et ses collaborateurs devaient donner des informations et faire le point sur les dossiers en cours. Mais, à l’orée de cette séance, Christian Lupovici, président de l’ADBU (Association des directeurs de la documentation et des bibliothèques universitaires), prit le micro pour lire un texte de défiance 8 vis-à-vis de la DPATE et annoncer qu’en signe de protestation collective, les directeurs de BU allaient quitter la salle pour un quart d’heure – ce qu’ils firent dans leur quasi-totalité, suivis bientôt de Béatrice Gille et son équipe.
Au retour des directeurs de BU dans la salle, Claude Jolly mit fin, « dans des conditions un peu inhabituelles, à cette rencontre ».