La bibliothèque nationale de France
collections, services, publics
La littérature professionnelle sur la Bibliothèque nationale de France (BnF) restait dispersée et fragmentaire, voire parfois plus polémique qu’informative. En demandant aux « copilotes » professionnels du prestigieux établissement (Daniel Renoult, alors directeur des services et des réseaux, et Jacqueline Melet-Sanson, directrice des collections) de conduire un état des lieux, le Cercle de la librairie offre une synthèse sans précédent, qui présente l’intérêt et les limites de l’exercice. Intérêt, car les données rassemblées sont parfois rendues publiques pour la première fois ; limites, car on cherchera en vain l’analyse des polémiques qui ont accompagné la naissance et la mise en route de la nouvelle bibliothèque nationale.
Les deux directeurs du volume ont pris soin de fixer le cadre de leur ambition : « Nous avons cherché à présenter une vue d’ensemble de l’établissement en livrant des données à jour, et rendu compte des pratiques et des méthodes que peut avoir à connaître un professionnel des bibliothèques dans l’exercice de son métier », écrit Daniel Renoult dans l’introduction (p. 14). C’est donc bien un public de professionnels qui est visé. Mais compte tenu de la brièveté du volume (210 pages sans les annexes), confronté à la richesse des collections et activités de la bibliothèque, la visite est parfois elliptique même si elle se veut complète.
Un scrupuleux tour d’horizon
Faisant appel à de nombreux responsables de services de la BnF, l’ouvrage parcourt classiquement les différentes étapes d’un état des lieux, en 9 parties : les missions (avec un bref historique) ; les collections (très soigneusement décrites) ; la politique documentaire et le dépôt légal ; les catalogues (connus) et bibliographies (trop méconnues) ; les classements, la communication et la conservation ; l’apport des nouvelles technologies ; les publics ; la mise en valeur ; la bibliothèque sans frontières (à l’ère des réseaux et du numérique).
Pour classique qu’il soit, le plan peut appeler quelques observations : par exemple, est-ce trop critiquer que de remarquer la part relativement seconde accordée à la conservation, ou de voir relégués les publics après l’exposé des classements, des technologies et des bibliographies ? En outre, la complexité de la « maison BnF » induit quelques redondances (en matière de numérique, ou d’action culturelle par exemple), mais il faut reconnaître que les auteurs ont su en général éviter les discours clos de spécialistes d’un sujet particulier – documentaire ou technique.
La présentation factuelle offre un avantage certain : on dispose ici d’une synthèse de données extrêmement riche. Qu’il s’agisse de la liste des systèmes informatiques concourant au fonctionnement de l’énorme machine, du détail des personnels, du bilan d’une enquête sur les consulteurs de Gallica, de la volumétrie des notices bibliographiques, ou de la répartition de l’activité des échanges, le lecteur trouvera l’ensemble des chiffres (à jour pour 2000) dont il peut avoir besoin. Il pourra aussi faire quelques observations en rapprochant des données : par exemple, il découvrira que si les lecteurs du haut-de-jardin (bibliothèque largement ouverte) sont à 88 % dans le système éducatif (du lycéen au professeur d’université), paradoxalement ils ne sont, pour le rez-de-jardin (bibliothèque de recherche), que 83 % dans ce cas…
Mises en perspective
Tout professionnel sait que les données ne sont rien sans intégration de celles-ci à des indicateurs ou référence à des objectifs. Sur ce point, les auteurs ont délibérément laissé le soin au lecteur de construire sa propre réflexion : pas de ratios, peu d’évaluation prospective, peu de discussion sur les choix opérés. Par exemple, on connaît les dépenses documentaires effectuées, mais on ne connaît pas les besoins prévisionnels ; ou encore les dépenses d’investissement informatique (312 MF hors audiovisuel, numérisation et Catalogue collectif de France-CCFr) ne sont pas référées à un plan d’amortissement ; ou enfin les raisons qui ont conduit à adopter successivement plusieurs systèmes différents de cotation provisoire – minutieusement décrits – ne sont pas expliquées. Bien sûr, de telles analyses mettent parfois en jeu la stratégie de l’établissement, mais leur absence risque de conforter les professionnels – destinataires de l’ouvrage – dans l’idée que les données factuelles se suffisent à elles-mêmes. Bien sûr aussi, l’étonnante complexité d’une institution plusieurs fois centenaire crée un enchevêtrement de fonds et de méthodes difficilement dénouable, mais leur seule description étonne (au sens classique) plus qu’elle ne fait comprendre.
On ne fera pas le même reproche aux réflexions bibliothéconomiques qui émaillent le volume. Même si l’exercice imposé par la forme de cette synthèse conduit parfois à des textes un peu trop descriptifs, on trouve des mises en perspective extrêmement intéressantes qui éclairent la conception que l’on peut se faire d’une bibliothèque encyclopédique au patrimoine considérable. Nous encourageons à s’attarder sur la remarquable analyse de la conception de l’encyclopédisme (p. 85), sur l’effort de compréhension de l’unité des collections (p. 72), sur le rôle central du Département des manuscrits dans la compréhension et l’articulation des différentes entités documentaires (p. 74), sur le lien entre manifestations culturelles et fréquentation des salles de lecture (p. 175), etc. Une analyse intéressera particulièrement les responsables de bibliothèques publiques, qui concerne la nature des collections scientifiques et techniques dans une bibliothèque encyclopédique de référence et de recherche (p. 88). Dans un but de complémentarité avec les bibliothèques universitaires et spécialisées, sont retenus ici les critères suivants : applications des sciences quand elles ont des répercussions sur les domaines généraux de la pensée, attention accordée aux publications des scientifiques français, histoire et philosophie des sciences, monographies de synthèse (souvent absentes des bibliothèques spécialisées, friandes de périodiques)…
Voici donc, malgré les limites imposées par l’exercice de la synthèse, un bilan bienvenu, à l’efficacité duquel ne manquent qu’un index et des plans des sites de Tolbiac et de Richelieu (lesquels auraient été utiles pour situer les collections décrites). La BnF étant un établissement en mutation accélérée, il sera utile de disposer d’un nouveau bilan d’ici à une dizaine d’années. En effet, comme le soulignent les directeurs en conclusion, la BnF doit maintenant affronter trois défis proches : développer la « bibliothèque immatérielle » et la faire coexister avec la bibliothèque matérielle, réorganiser les sites de Richelieu et de l’Arsenal avec l’arrivée de l’Institut national d’histoire de l’art, enfin concevoir une politique de recrutement et de formation d’un personnel appelé à être largement renouvelé dans les dix années à venir. Trois défis parmi d’autres, pour la plus importante bibliothèque de France.